Interview SHAÂRGHOT : Entretien le 13 décembre 2023 avec Brun’O Klose (guitares)
Quatre années séparent les deux derniers albums de Shaârghot, The advent of shadows étant sorti en 2019 et Let me out ce 1er décembre 2023. Est-ce que sans la crise sanitaire ce dernier serait sorti plus tôt ?
Euh… Oui, sans doute, mais il ne serait pas sorti de la même façon. Donc, quelque part, ce n’est pas un drame ni un coup dur pour nous. La cassure nous a aussi permis de nous recentrer sur certains axes du groupe et de savoir ce qu’on voulait et ce qu’on ne voulait plus. Avoir la tête dans le guidon tout le temps… C’est difficile de prendre du recul sur ce qu’on a fait, de faire un bilan. Donc, oui, ça nous a permis de savoir ce qu’on voulait faire.
Vous avez pu tirer profit de cette période…
Oui, tout à fait. On en a tiré profit, déjà, en réalisant un court métrage. « Puisqu’on ne peut pas faire de concerts, on va faire un clip ». Un clip qui, au départ devait durer 7 minutes et finalement ont fini à une vingtaine de minutes… C’est une belle aventure !
Un clip à la Michael Jackson…
Oui, on peut dire ça. Après, on a pu se poser et réfléchir à ce qu’on voulait pour le troisième album.
De quoi ne vouliez-vous plus ?
Il fallait qu’on se pose la question de savoir si on voulait refaire un album comme on avait fait avant ou est-ce qu’on voulait travailler de manière différente et tous ensemble. Paradoxalement, on s’est dit que pour cet album, ce serait bien de faire quelque chose qui soit plus à l’image d’un groupe. La fabrication des deux premiers albums, c’était, comme tout le monde a un home studio, « ah, tiens, je t’envoie ça, tu peux me faire telle partie de guitare ? » Comme beaucoup de groupe, en fait, mais là, on s’est dit qu’on n’allait pas faire comme ça. On a travaillé les nouveaux morceaux tous ensemble. Même si ce sont des ébauches et que ça prend plus de temps… Il y aura un groove, de la spontanéité et des idées de tout le monde. On a travaillé comme ça pendant 7 mois, deux week end par mois pendant lesquels on ‘enfermait. Chacun apportait ses idées sur les compos qu’apportaient Etienne. On a aussi choisi avec qui on voulait travailler : on avait une prod différente sur les deux premiers albums et il y a eu une cassure. On n’était plus vraiment en phase avec notre ancienne prod. On en a parlé comme des adultes et il s’est avéré qu’on devait arrêter de travailler ensemble. On a eu un choix à faire : soit on cherchait une autre prod – on a été sollicités, d’ailleurs – soit on prenait ce nouvel album à notre compte, on le produisait nous-mêmes, avec des gens avec qui on voulait travailler. On a choisi l’option de le produire nous-mêmes. On l’a donc travaillé ensemble, enregistré ensemble, on s’est focalisé sur tel instrument, et ensuite, on a pris quelqu’un pour mettre cet album en son et pour l’arranger… et on arrive à Let me out.
Il y a donc pas mal de changements dans votre façon de travailler… Quand on s’était rencontrés il y a 4 ans tu me disais « Etienne détient les clés de l’histoire ». J’imagine qu’il les détient toujours, mais c’est votre façon de composer qui est différente…
Absolument. L’histoire est toujours entre les mains d’Etienne, mais la façon de travailler les morceaux et de les amener au bout est complètement différente.
Et elle vous apporte satisfaction, j’imagine ?
Oui, tout à fait (rires) ! Ça apporte une dynamique, beaucoup de positivité et l’énergie est vraiment très bonne. On le sent vraiment sur l’album, dans le sens qu’il y a du groove et que tout est cohérent. A mes yeux, en tout cas, tout est cohérent.
A mes oreilles aussi, et c’est intéressant que tu dises « à mes yeux » parce que en écoutant l’album, j’ai plein d’images qui me viennent en tête. Pour moi, c’est un album qui est plus que cinématique. A chaque chanson, on est dans une musique qui transmet des images. Avant que je n’entre plus dans mes impressions, comment décrirais-tu la musique de Shaârghot à quelqu’un qui ne vous connait pas ?
Woaw… A quelqu’un qui ne nous connait pas ? Alors, je dirais que c’est une musique qui, parfois, peut être immersive parce que certaines intro font penser à des BO de films ou des passages de jeux vidéo, et en musique on peut très facilement faire passer de l’émotion. Après, évidemment, il y a le rythme, alors quelqu’un qui aime bien la musique énergique, avec des passages immersifs, sera comblé. Après, il y a des codes électro metal, mais on gravite dans plusieurs univers musicaux. On voulait vraiment aller sur ce terrain : autant certains titres peuvent être durs, d’autres plus légers ou immersifs, il y a des instrumentaux intéressant dans notre approche. On est vraiment allés là où on voulait aller avec Let me out. Ce n’est pas par hasard qu’on a cet album et qu’il sonne comme ça. On cherche à retranscrire ce qu’on ressent et ce qu’on voudrait entendre, c’est peut être un peu paradoxal…
Pas forcément, après tout, vous êtes votre premier public, si vous n’aimez pas ce que vous jouez…
Tout à fait.
Il y a une trame d’histoire dans Shaârghot puisque, au départ, le Shaârghot est le résultat d’une expérience qui a mal tourné, transformant les âmes et les peaux en noir. Il n’y a pas les paroles dans le livret, peux-tu me résumer l’histoire ?
Alors, l’histoire générale, c’est en effet celle du Shaârghot qui est un être issu d’une expérience qui a mal tourné et qui a eu des dégénérescences et a mis en avant le côté sombre de ce qu’il vit mentalement. La pigmentation de la peau change, devenant très sombre. C’est l’image de ce coté sombre qu’il y a en chacun de nous… Naturellement, le Shaârgot s’entoure de personnes de confiance qui sont elles-mêmes contaminées. Il y a également les Shadows qui sont également contaminés et vont former une armée. Cette armée qui, dans les deux premiers albums était dans les sous-sols, commence à sortir, même sort sur le troisième album. Aujourd’hui, on en est au stade de l’histoire où Shaârghot est sorti des bas-fonds pour être vu au grand jour.
D’où les images de la ville et le titre Let me out…
Oui, mais il y a deux significations à Let me out : c’est psychologique, à un moment il faut que les choses sortent comme une libération, et le côté physique, il sort avec son armée et commence même à prendre possession de certains districts.
Là on est donc sur l’invasion extérieure du Shaârghot et de son armée de zombies…
De Shadows, en fait…
Tu fais bien de le préciser car sur Chaos area, j’ai noté avoir l’impression d’une armée de zombies en marche, mais je vais changer le terme, c’est une armée de Shadows…
Tout à fait !
Il y a un esprit très post apocalyptique dans votre musique mais aussi sado-maso…
Post apocalyptique, oui… Sado maso je ne vois pas trop…
C’est dans les images que j’ai pu ressentir, ce besoin de faire et de se faire mal..
Alors tu serais un bon Shadow (rires) !
Il y a aussi beaucoup de Orange mécanique dans votre musique…
Oui, comme Mad Max, Blade Runner, tout ça, c’est des références à notre univers.
C’est peut-être un détail pour vous, mais j’ai l’impression que le virus n’a pas infecté que les êtres vivants mais aussi les objets…
… Les objets ?
Le CD, c’est une horloge de 13 heures, et le XIII apparait en vert… Au premier abord, cette horloge m’évoque les Watchmen, mais en regardant de près on voit bien ces 13 heures du cadran. Pourquoi ces 13 heures ?
Tout à fait, bien vu. Mais je ne peux pas le dire… C’est une autre facette de l’histoire. A découvrir. Après, peut être qu’au cours des interviews précédentes Etienne a distillé des petits indices…
Quel genre d’indices ?
Oh, il dit toujours des choses et après il s’arrête… « Non, je ne peux pas aller plus loin »… Je te rassure, il fait ça aussi avec nous !
C’est lui qui détient les clés… Il faut bien que, même pour vous, il garde une part de mystère. Le côté visuel, c’est la base du groupe. J’imagine que vous travaillez autant ce côté visuel pour la scène que l’impact sonore de la musique…
Ah, oui ! Le côté visuel fait aussi partie du travail qu’on doit faire pendant nos mois disons de repos puisque maintenant on s’entoure d’un ingénieur lights qui travaille activement sur notre visuel lumières, et on va apporter des modifications sur notre scénographie actuelle pour la faire encore évoluer. On a tout le temps des idées, alors il faut qu’on expérimente et qu’on valide entre nous des choix.
Vos costumes de scène évoluent aussi ?
Absolument. Il est en projet, effectivement, que certains personnages aient de nouveaux costumes. On a commencé avec Clem-X, à la basse, qui a une évolution sur sn costume, et je pense que le prochain c’est moi (rires) ! j’en suis à la V2 au niveau costume, donc là, je pense sérieusement à la V3 et à faire évoluer mon personnage sur scène.
« Je pense à le faire évoluer », dis-tu. C’est une décision personnelle ou de groupe ?
Là, c’est une décision personnelle. Je créer mes personnages, mes vêtements. Etienne et moi, nous sommes assez connectés coté vêtements, et quand je lui propose quelque chose, généralement c’est lui qui valide. Mais on a exactement les mêmes attentes, je ne suis pas inquiet là-dessus.
Quelle pourrait aujourd’hui être la devise de Shaârghot aujourd’hui ?
La devise c’est de continuer à faire la musique spontanément, sans calcul, et la faire avec le cœur. Je fais de la musique depuis longtemps et je n’ai jamais calculé les choses, j’ai toujours composé avec mon feeling…
C’est souvent ce qui donne les meilleurs résultats. Comme dans n’importe quel art, si on commence à trop réfléchir, intellectualiser, ça perd de son âme…
Tout à fait.
Pour terminer avec Shaârghot, as-tu une idée du nombre d’épisodes restant à l’histoire, en nombre d’albums ?
Aujourd’hui, si on écoute Etienne, il a bien l’équivalent de 4 à 5 albums en tête…
Donc c’est loin d’être terminé, cette aventure.
Ah, non (rires) ! Loin de là ! Après, est-ce que c’est utilisable ou pas, c’est à voir, mais il y a de quoi faire. Au niveau des compos, c’est ouvert à tous les membres du groupe maintenant, parce qu’on se connait très bien. Donc là aussi, ça peut évoluer, prendre des directions qu’on ne soupçonne pas encore.
Une belle aventure là encore… Je terminerai avec cette question vous concernant : quels sont vos métiers respectifs dans vos autres vies ?
Je travaille dans le domaine des réseaux de chaleur urbains. Je travaille pour une société qui chauffe des villes de manière centralisée. Je suis responsable travaux Ile de France pour cette société.
Ce sont des travaux qui se passent hors et sous-sol ?
C’est en sous-sol, oui.
C’est un univers que tu connais bien, finalement…
Finalement, oui, c’est un univers que je connais très, très bien ! Le côté industriel et tranchées, je connais (rires) !
Et les autres ?
Clem est ingénieur du son, Paul, « B-28 », est régisseur lumières, Olivier « O.Hurt—U », le batteur, ben… il est batteur ! et Etienne est monteur vidéo et… beaucoup de Shaârghot.
Donc, il n’y a que toi qui ne travaille pas dans un métier artistique, tu es, là encore, l’anomalie du groupe !
Ouais, tout à fait (rires) !