SHAÂRGHOT: Vol III: Let me out

France, Metal indus (Autoproduction, 2023)

Au sortir d’une usine de métallurgie, le chaos. C’est l’impression que nous laisse d’entrée de jeu ce Let me out, le troisième volume de la saga Shaârgot avec un album cinématique comme jamais. Cinématique car tout au long de l’écoute, je me retrouve avec des images dans la tête, pas toujours joyeuses, mais c’est l’univers des Parisiens qui, une nouvelle fois, quatre ans après The advent of shadows nous proposent une nouvelle collection de 13 titres forgés dans un metal électro et/ou indus. De cet univers aux rythmes hypnotiques, aux ambiances sombres et violentes – on navigue entre post apocalyptique et SM, voyageant de Mad Max à Orange mécanique avec une visite chez les Watchmen – on revient aussi enjoué que lessivé. Des martellement d’usine qui introduisent The one who brings me chaos ou l’impression d’une armée de Shadows qui envahit les rues sur Chaos area, tout est parfaitement mis en son et orchestré pour que l’auditeur soit submergé d’images. On ne regrette qu’une chose, c’est que les paroles ne figurent pas sur le livret, paroles qui permettraient de mieux comprendre l’histoire de Shaârghot, le personnage, et de ses Shadows qui s’extraient des sous-sols pour envahir les rues – mais Bruno nous explique tout dans la récente interview qu’il nous a accordée. La promesse d’une tournée à venir sera l’occasion de, enfin, découvrir en vrai ce monde étrange. En attendant, foncez sur Let me out. On n’a vraiment rien à envier aux formations étrangères du même genre. bravo et vivement la suite!

Interview: SHAÂRGHOT

Interview SHAÂRGHOT : Entretien le 13 décembre 2023 avec Brun’O Klose (guitares)

Quatre années séparent les deux derniers albums de Shaârghot, The advent of shadows étant sorti en 2019 et Let me out ce 1er décembre 2023. Est-ce que sans la crise sanitaire ce dernier serait sorti plus tôt ?

Euh… Oui, sans doute, mais il ne serait pas sorti de la même façon. Donc, quelque part, ce n’est pas un drame ni un coup dur pour nous. La cassure nous a aussi permis de nous recentrer sur certains axes du groupe et de savoir ce qu’on voulait et ce qu’on ne voulait plus. Avoir la tête dans le guidon tout le temps… C’est difficile de prendre du recul sur ce qu’on a fait, de faire un bilan. Donc, oui, ça nous a permis de savoir ce qu’on voulait faire.

Vous avez pu tirer profit de cette période…

Oui, tout à fait. On en a tiré profit, déjà, en réalisant un court métrage. « Puisqu’on ne peut pas faire de concerts, on va faire un clip ». Un clip qui, au départ devait durer 7 minutes et finalement ont fini à une vingtaine de minutes… C’est une belle aventure !

Un clip à la Michael Jackson…

Oui, on peut dire ça. Après, on a pu se poser et réfléchir à ce qu’on voulait pour le troisième album.

De quoi ne vouliez-vous plus ?

Il fallait qu’on se pose la question de savoir si on voulait refaire un album comme on avait fait avant ou est-ce qu’on voulait travailler de manière différente et tous ensemble. Paradoxalement, on s’est dit que pour cet album, ce serait bien de faire quelque chose qui soit plus à l’image d’un groupe. La fabrication des deux premiers albums, c’était, comme tout le monde a un home studio, « ah, tiens, je t’envoie ça, tu peux me faire telle partie de guitare ? » Comme beaucoup de groupe, en fait, mais là, on s’est dit qu’on n’allait pas faire comme ça. On a travaillé les nouveaux morceaux tous ensemble. Même si ce sont des ébauches et que ça prend plus de temps… Il y aura un groove, de la spontanéité et des idées de tout le monde. On a travaillé comme ça pendant 7 mois, deux week end par mois pendant lesquels on ‘enfermait. Chacun apportait ses idées sur les compos qu’apportaient Etienne. On a aussi choisi avec qui on voulait travailler : on avait une prod différente sur les deux premiers albums et il y a eu une cassure. On n’était plus vraiment en phase avec notre ancienne prod. On en a parlé comme des adultes et il s’est avéré qu’on devait arrêter de travailler ensemble. On a eu un choix à faire : soit on cherchait une autre prod – on a été sollicités, d’ailleurs – soit on prenait ce nouvel album à notre compte, on le produisait nous-mêmes, avec des gens avec qui on voulait travailler. On a choisi l’option de le produire nous-mêmes. On l’a donc travaillé ensemble, enregistré ensemble, on s’est focalisé sur tel instrument, et ensuite, on a pris quelqu’un pour mettre cet album en son et pour l’arranger… et on arrive à Let me out.

Il y a donc pas mal de changements dans votre façon de travailler… Quand on s’était rencontrés il y a 4 ans tu me disais « Etienne détient les clés de l’histoire ». J’imagine qu’il les détient toujours, mais c’est votre façon de composer qui est différente…

Absolument. L’histoire est toujours entre les mains d’Etienne, mais la façon de travailler les morceaux et de les amener au bout est complètement différente.

Et elle vous apporte satisfaction, j’imagine ?

Oui, tout à fait (rires) ! Ça apporte une dynamique, beaucoup de positivité et l’énergie est vraiment très bonne. On le sent vraiment sur l’album, dans le sens qu’il y a du groove et que tout est cohérent. A mes yeux, en tout cas, tout est cohérent.

A mes oreilles aussi, et c’est intéressant que tu dises « à mes yeux » parce que en écoutant l’album, j’ai plein d’images qui me viennent en tête. Pour moi, c’est un album qui est plus que cinématique. A chaque chanson, on est dans une musique qui transmet des images. Avant que je n’entre plus dans mes impressions, comment décrirais-tu la musique de Shaârghot à quelqu’un qui ne vous connait pas ?

Woaw… A quelqu’un qui ne nous connait pas ? Alors, je dirais que c’est une musique qui, parfois, peut être immersive parce que certaines intro font penser à des BO de films ou des passages de jeux vidéo, et en musique on peut très facilement faire passer de l’émotion. Après, évidemment, il y a le rythme, alors quelqu’un qui aime bien la musique énergique, avec des passages immersifs, sera comblé. Après, il y a des codes électro metal, mais on gravite dans plusieurs univers musicaux. On voulait vraiment aller sur ce terrain : autant certains titres peuvent être durs, d’autres plus légers ou immersifs, il y a des instrumentaux intéressant dans notre approche. On est vraiment allés là où on voulait aller avec Let me out. Ce n’est pas par hasard qu’on a cet album et qu’il sonne comme ça. On cherche à retranscrire ce qu’on ressent et ce qu’on voudrait entendre, c’est peut être un peu paradoxal…

Pas forcément, après tout, vous êtes votre premier public, si vous n’aimez pas ce que vous jouez…

Tout à fait.

Il y a une trame d’histoire dans Shaârghot puisque, au départ, le Shaârghot est le résultat d’une expérience qui a mal tourné, transformant les âmes et les peaux en noir. Il n’y a pas les paroles dans le livret, peux-tu me résumer l’histoire ?

Alors, l’histoire générale, c’est en effet celle du Shaârghot qui est un être issu d’une expérience qui a mal tourné et qui a eu des dégénérescences et a mis en avant le côté sombre de ce qu’il vit mentalement. La pigmentation de la peau change, devenant très sombre. C’est l’image de ce coté sombre qu’il y a en chacun de nous… Naturellement, le Shaârgot s’entoure de personnes de confiance qui sont elles-mêmes contaminées. Il y a également les Shadows qui sont également contaminés et vont former une armée. Cette armée qui, dans les deux premiers albums était dans les sous-sols, commence à sortir, même sort sur le troisième album. Aujourd’hui, on en est au stade de l’histoire où Shaârghot est sorti des bas-fonds pour être vu au grand jour.

D’où les images de la ville et le titre Let me out…

Oui, mais il y a deux significations à Let me out : c’est psychologique, à un moment il faut que les choses sortent comme une libération, et le côté physique, il sort avec son armée et commence même à prendre possession de certains districts.

Là on est donc sur l’invasion extérieure du Shaârghot et de son armée de zombies…

De Shadows, en fait…

Tu fais bien de le préciser car sur Chaos area, j’ai noté avoir l’impression d’une armée de zombies en marche, mais je vais changer le terme, c’est une armée de Shadows…

Tout à fait !

Il y a un esprit très post apocalyptique dans votre musique mais aussi sado-maso…

Post apocalyptique, oui… Sado maso je ne vois pas trop…

C’est dans les images que j’ai pu ressentir, ce besoin de faire et de se faire mal..

Alors tu serais un bon Shadow (rires) !

Il y a aussi beaucoup de Orange mécanique dans votre musique…

Oui, comme Mad Max, Blade Runner, tout ça, c’est des références à notre univers.

C’est peut-être un détail pour vous, mais j’ai l’impression que le virus n’a pas infecté que les êtres vivants mais aussi les objets…

… Les objets ?

Le CD, c’est une horloge de 13 heures, et le XIII apparait en vert… Au premier abord, cette horloge m’évoque les Watchmen, mais en regardant de près on voit bien ces 13 heures du cadran. Pourquoi ces 13 heures ?

Tout à fait, bien vu. Mais je ne peux pas le dire… C’est une autre facette de l’histoire. A découvrir. Après, peut être qu’au cours des interviews précédentes Etienne a distillé des petits indices…

Quel genre d’indices ?

Oh, il dit toujours des choses et après il s’arrête… « Non, je ne peux pas aller plus loin »… Je te rassure, il fait ça aussi avec nous !

C’est lui qui détient les clés… Il faut bien que, même pour vous, il garde une part de mystère. Le côté visuel, c’est la base du groupe. J’imagine que vous travaillez autant ce côté visuel pour la scène que l’impact sonore de la musique…

Ah, oui ! Le côté visuel fait aussi partie du travail qu’on doit faire pendant nos mois disons de repos puisque maintenant on s’entoure d’un ingénieur lights qui travaille activement sur notre visuel lumières, et on va apporter des modifications sur notre scénographie actuelle pour la faire encore évoluer. On a tout le temps des idées, alors il faut qu’on expérimente et qu’on valide entre nous des choix.

Vos costumes de scène évoluent aussi ?

Absolument. Il est en projet, effectivement, que certains personnages aient de nouveaux costumes. On a commencé avec Clem-X, à la basse, qui a une évolution sur sn costume, et je pense que le prochain c’est moi (rires) ! j’en suis à la V2 au niveau costume, donc là, je pense sérieusement à la V3 et à faire évoluer mon personnage sur scène.

« Je pense à le faire évoluer », dis-tu. C’est une décision personnelle ou de groupe ?

Là, c’est une décision personnelle. Je créer mes personnages, mes vêtements. Etienne et moi, nous sommes assez connectés coté vêtements, et quand je lui propose quelque chose, généralement c’est lui qui valide. Mais on a exactement les mêmes attentes, je ne suis pas inquiet là-dessus.

Quelle pourrait aujourd’hui être la devise de Shaârghot aujourd’hui ?

La devise c’est de continuer à faire la musique spontanément, sans calcul, et la faire avec le cœur. Je fais de la musique depuis longtemps et je n’ai jamais calculé les choses, j’ai toujours composé avec mon feeling…

C’est souvent ce qui donne les meilleurs résultats. Comme dans n’importe quel art, si on commence à trop réfléchir, intellectualiser, ça perd de son âme…

Tout à fait.

Pour terminer avec Shaârghot, as-tu une idée du nombre d’épisodes restant à l’histoire, en nombre d’albums ?

Aujourd’hui, si on écoute Etienne, il a bien l’équivalent de 4 à 5 albums en tête…

Donc c’est loin d’être terminé, cette aventure.

Ah, non (rires) ! Loin de là ! Après, est-ce que c’est utilisable ou pas, c’est à voir, mais il y a de quoi faire. Au niveau des compos, c’est ouvert à tous les membres du groupe maintenant, parce qu’on se connait très bien. Donc là aussi, ça peut évoluer, prendre des directions qu’on ne soupçonne pas encore.

Une belle aventure là encore… Je terminerai avec cette question vous concernant : quels sont vos métiers respectifs dans vos autres vies ?

Je travaille dans le domaine des réseaux de chaleur urbains. Je travaille pour une société qui chauffe des villes de manière centralisée. Je suis responsable travaux Ile de France pour cette société.

Ce sont des travaux qui se passent hors et sous-sol ?

C’est en sous-sol, oui.

C’est un univers que tu connais bien, finalement…

Finalement, oui, c’est un univers que je connais très, très bien ! Le côté industriel et tranchées, je connais (rires) !

Et les autres ?

Clem est ingénieur du son, Paul, « B-28 », est régisseur lumières, Olivier « O.Hurt—U », le batteur, ben… il est batteur ! et Etienne est monteur vidéo et… beaucoup de Shaârghot.              

Donc, il n’y a que toi qui ne travaille pas dans un métier artistique, tu es, là encore, l’anomalie du groupe !

Ouais, tout à fait (rires) !

WORKING KLASS HEROES: No excuses, no remorses

France, indus/electro (Autoproduction, 2022)

Interview Working Klass Heroes. Entretien réalisé le 5 décembre 2022 avec Fabien (guitare)

Working Klass Heroes s’est « formé en juin 2010 à Perpignant. Jusqu’en 2015, on était un groupe plus power rock dans le style de Bukowski un peu teinté de metal. Il y a ensuite eu un changement de line-up avec l’arrivée d’un nouveau chanteur, d’un nouveau bassiste et d’un batteur. » C’est ce line-up qui, trois ans plus tard, publie son premier album. Mais arrive 2020 et le confinement pendant lequel « le bassiste et le chanteur sont partis. Ils ont voulu arrêter. Le chanteur à la base est batteur dans un autre groupe et il a préféré retourner vers la batterie. De notre côté, on a profité de la période pour commencer à recomposer et il y a eu l’arrivée d’Adrien, le nouveau chanteur et du nouveau bassiste, Chris, qui est le cadet du groupe, un p’tit jeune de 20 ans. »

L’album est sorti au mois de mars, il est donc assez étonnant de n’en faire la promo que maintenant… Fabien s’en explique : « notre batteur est tombé malade à cette période. Il a eu un cancer de la peau et il a dû se soigner, de la chimio, des laser… Nous, avant d’être un groupe, on est une grosse famille. On a un peu levé le pied et on l’a laissé se soigner. Il va aujourd’hui beaucoup mieux, et on a décidé ensemble de reprendre la promo. »

WKH a intitulé cet album, composé de 11 titres brutaux et très teintés indus/electro agrémentés de quelques touches de death, No excuses, no remorses (ce qui fera sans doute sauter n’importe quel anglophone, Remorse étant généralement à la fois singulier et pluriel dans la langue de Shakespeare et ne prenant la marque du pluriel que pour exprimer divers type de remords. Fin de la leçon, penchons-nous plutôt sur le contenu musical). Comment Fabien décrit-il la musique de Working Klass Heroes ? « Je dis qu’il s’agit d’électro dance metal ! On s’est penché sur le côté electro parce que, dès le premier album, on avait un clavier/machiniste dès le premier album et on n’avait pas exploité toutes les capacités de l’electro. Nos influences font qu’on s’est dirigés dans cette voie. Nos influences ? Ça va de Mass Hysteria à Ministry, en passant par Crossfaith et Prodigy… » On pourrait aussi affilier WKH à ses compatriotes de 6/33, Herrschaft, Punish Yourself, Shâargot… « Oui, mais on a aussi ce côté un peu plus metal qu’on retrouve chez Mass Hysteria ou Sidilarsen. Maintenant, dans le groupe, on a tous des influences différentes, comme Red Hot Chili Peppers, le rock 70’s… on a mis nos influences en commun et ça a donné cet album, un disque plus festif que le précédent. Ce qu’on veut, c’est nous amuser ». S’amuser, oui, mais ça reste dans l’ensemble un disque violent avec quelques passages fédérateurs comme ces « oh oh oh », sur Holy diva qui cache un passage en français – ou celui qui sera obligatoirement bippé et censuré si l’album sort aux USA puisque Children of the porn débute avec un « Come on fuck me » provocateur. Reste que, au-delà de cette brutalité, les guitares sont incisives, la rythmique enlevée et beaucoup de passages sont assez hypnotiques comme une invitation à la transe, d’autres se faisant plus groovy comme sur the end is nigh.

Contrairement à ce que le nom du groupe évoque – les héros de la classe laborieuse – les textes n’abordent pas de sujets politique, mais plutôt des choses du quotidien, la fête et la vie. D’ailleurs, si Fabien devait ne retenir qu’un titre de cet album pour convaincre d’écouter cet album, il retiendrait « The queen of the dancefloor, justement parce que c’est la fête, un titre qui dit qu’on est là pour s’amuser, pour le partage ». Dans le même ordre d’idées, quelle pourrait être la devise de Working Klass Heroes ? « Comme je le dis toujours, ce serait « venez prendre de l’amour dans nos concerts » simplement ! ». Ah, ouais ? Mais il est brutal, l’amour là ! (il rit) « Oui, mais ce n’est que de l’amour, rien d’autre ! »

RAMMSTEIN: Zeit

Allemagne, Metal indus (Universal, 2022)

Ils nous surprendront toujours, les Allemands de Rammstein… Après avoir pris le temps d’une décennie entre leurs deux précédents albums pour accoucher d’un disque (que certains appellent aujourd’hui « L’allumette ») haut en couleurs et hyper efficace, les voici qui reviennent à peine deux ans plus tard avec ce Zeit. Entre temps, Till Lindemann et Richard Z. Krupse ont, chacun de leur côté, publié des disques – F & M en 2019 pour le premier sous son nom, The persistence of memory pour le second avec son groupe Emigrate en 2021. Hyperactifs les gars de Rammstein? Peut-être un peu trop pourrait-on croire. A l’écoute de Zeit, on peut en effet s’interroger car les Allemands donnent ici l’impression soit d’avoir composé03 à la va-vite soit d’utiliser des chutes des sessions de l’album précédent. On retrouve le son martial de Rammstein mais, clairement, au delà des deux premier titres (Armee der Tristen  et le calme  et léger Zeit et ses guitares quelque peu « western ») le réchauffé commence à bruler rapidement. Till s’amuse même avec un vocoder sur Lügen pour un résultat moyen, l’ensemble donnant l’impression d’un groupe qui tourne en rond. Attention: Zeit n’est pas un mauvais album, c’est du Rammstein pur jus, seulement un cran (gros) en deçà de ce que l’on pouvait espérer. Heureusement que Rammstein c’est aussi du visuel car là, rien à dire. Zeit ou l’usure du temps qui passe?

Interview: PORN

Interview PORN: entretien avec Philippe alias Mr Strangler (chant). Propos recueillis au Black Dog à Paris, le 4 mars 2020 – Interview réalisée en commun avec Pierre Arnaud du webzine Seigneurs Du Metal (questions marquées d’un *)

Metal-Eyes * : Cet album conclue la trilogie de Mr Strangler. La trilogie est terminée ; n’es-tu pas un peu triste d’arriver à la fin ?

Philippe : Un peu triste, et content, parce que, du coup, je regarde le taff qui a été fait et je suis content d’avoir réussi à mener à terme cette trilogie qu’on a bouclée en 3 ans. Il y a toujours un peu de tristesse à se séparer d’un personnage, qui nous a aussi beaucoup apporté puisque beaucoup de choses se sont passées dans Porn grâce à cette trilogie. Mais c’est aussi bien d’en finir et pouvoir passer à autre chose, ne pas être esclaves, asservis à ce personnage et être obligés de rester dans le truc pour pouvoir continuer. Moi, je suis super content de cette trilogie, on boucle ces trois albums et on passe à autre chose.

 

Metal-Eyes : Justement, je m’adresse au chanteur, pas à Mr Strangler : on arrive effectivement à la fin d’une trilogie, mais… Il se fait prendre comment ce psychopathe ?

Philippe : Euh… Eh, bien, ça, on le découvre dans le clip à venir. Quand on suit les clips, on voit qu’il est déjà plus ou moins emprisonné – dans les derniers, notamment Some happy moments où il discute avec une psychiatre –  mais il s’avère qu’il réussit à s’évader. Dans le dernier clip, il se fait attraper – c’est un clip un peu plus d’action – et on le voit après être amené à la chaise électrique. Il y a une scène avec un assaut de police venu pour l’arrêter

 

Metal-Eyes * : Dans cet album, il est en prison ?

Philippe : Oui, il est en prison, ou il s’apprête à y aller. Mais, en gros, l’idée c’était : il est en prison, il s’évade et il se fait rattraper à la fin. Mais la thématique principale, c’est l’enfermement.

 

Metal-Eyes * : Ce que j’ai trouvé intéressant et intriguant dans l’album c’est que, alors qu’il est en prison et condamné à mort, il va se faire exécuter. Il se fait exécuter ou pas ?

Philippe : Il est exécuté.

 

Metal-Eyes : Il y a la chaise électrique sur la pochette qui est explicite…

Philippe : Et dans le clip, il finit sur cette chaise électrique. C’est exactement la même.

 

Metal-Eyes * : Musicalement, je trouve l’album moins sombre que les deux précédent alors qu’il attend la mort. Je trouve l’album très mélancolique.

Philippe : L’idée, c’était de créer une ambiance où il se montre à la fois apaisé, résigne, par ce que quand on est en prison, ben… il faut l’accepter, sinon tu vas passer un mauvais moment… Pour que ça se passe bien en prison, il faut l’accepter. Il y a ce côté « résignation » où il accepte la chose, ce côté mélancolique, parce qu’il sait qu’il va faire face à sa mort imminente puisqu’il va passer à la chaise électrique, et il y a ce petit soubresaut d’espoir, comme dans Lovely day, ou beaucoup plus sombre comme Love winter hope où, là, il est au bout du bout. Mais, oui, en effet, il est un peu plus mélancolique. On voulait un truc un peu plus éthéré, un peu plus soyeux, comme s’il était à l’article de la mort et finalement, comme s’il ne l’était plus… Il y a un peu de ça.

 

Metal-Eyes : Musicalement, on trouve effectivement différentes ambiances, ce qu’on ne trouve pas visuellement puisque les pochettes de chacun des actes sont dans des tons similaires, marron. Il y a une vraie continuité également…

Philippe : Oui, idem dans les artworks des singles qui sont tous très sombres. Par exemple, le single de A lovely day, alors que le titre est plutôt joyeux, l’artwork c’est un chiotte tout pourrave, pour Some happy moments, on a des menottes ensanglantées attachées à un radiateur… On reste dans quelque chose de très sombre parce que c’est la fin, mais on a travaillé sur des sonorités un peu différentes des précédents albums, on a incorporé de la guitare acoustique aussi, ce qui crée un truc un peu plus éthéré. Mais les thématiques restent globalement plus sombres…

 

Metal-Eyes * : D’ailleurs, musicalement – et je sais que tu adores la new wave – il est encore plus new wave, je trouve. 

Philippe : Au final, oui, mais pas tant dans la composition, où il est plus rock. Il y a ce côté un peu plus… oui, new wave que sur les autres…

 

Metal-Eyes : Lorsque nous nous étions rencontrés il y a un an, tu définissais The ogre inside comme un album « sombre », le second volet, The darkest of human desires, comme plus « exalté ». Comment définirais-tu ce dernier acte ?

Philippe : Un peu comme on a dit là : plus éthéré, plus mélancolique. Peut-être aussi un peu plus rock. J’écoutais beaucoup à ce moment l), quand on était en phase de fin de composition, de mixage, j’écoutais beaucoup Pink Floyd, Wish you were here et The wall. Pour moi, le dernier album est assez particulier et j’ai un peu de mal à le définir…

 

Metal-Eyes : Je voudrais revenir sur un symbole que l’on trouve sur cet album que sont les clés. J’en dénombre 8, or, il y a plus de 10 titres… Ont-elles un rapport avec son internement ?

Philippe : C’est surtout David qui nous avait lancés là-dessus, et j’ai trouvé ça intéressant : la symblique de l’enfermement, la clé, c’est l’ouverture des portes, la fermeture des portes. Et comme on est sur sa fin, sa mort imminente, il y a la clé de l’éternité. Il n’y a pas de symbolique particulière, juste ce rapport à l’enfermement, au fait de fermer la serrure derrière cet homme.

 

Metal-Eyes : Et donc de fermer la trilogie… Je termine avec la symbolique : avec cette trilogie, le logo de Porn a changé. Est-il amené à évoluer encore à la suite ?

Philippe : Je pense qu’il va changer. On est en train de travailler dessus. C’est une volonté sur la suite… On a une cohérence graphique sur cet album, on va tout rééditer sur un seul, un triple album pour lequel on a ce logo, mais on pense à le changer. Si on avait un label, il nous dirait de ne pas le Je trouve que c’est cohérent, ça montre qu’on passe à autre chose. Même si, dans la suite, il y a un peu de Strangler… Il n’a pas dit son dernier mot, même si ce n’est pas le personnage principal. Quelqu’un d’autre va prendre sa place, mais il y aura toujours un peu de Mister Stangler, on lui doit bien ça !

 

Metal-Eyes * : Et l’album, au niveau du son, en dehors du côté new wave dont je parlais… Il a été produit à Los Angeles, c’est ça ? Je trouve qu’il a un son très américain.

Philippe : Oui. Du coup, quand on a fait le choix de Brian Lucey, surtout quand il a accepté… Avant, on avait travaillé avec Tom Baker, qui est très ancré dans les années 2000. A la fin des années 90, il a fait tous les Marylin Manson, Nine Inch Nails, Ministry… Il a beaucoup de talent, il peut faire tout et n’importe quoi, mais l’avantage de Lucey, c’est que c’est quelqu’un qui est vraiment de son époque. Il a fait les deux dernier Manson, le Meliora de Ghost, le dernier Royal Blood. C’était intéressant de se tourner vers lui pour savoir ce qu’il pourrait faire de notre musique avec une approche totalement contemporaine. On a eu la chance que Brian Lucey ait le temps, qu’il accepte de travailler avec nous. D’entrée ça s’est passé super bien, ça a été vraiment cool, et un plaisir de travailler avec lui !

 

Metal-Eyes * : Je trouve le son de l’album nickel, impressionnant. C’est lui qui a apporté ce truc aussi majestueux ?

Philippe : Non, il a surtout finalisé. C’est moi qui ai mixé en grande partie et il a apporté la touche finale. Je pense que c’est aussi dû au fait qu’on a fait 3 albums en 3 ans, que on a tout enregistré avec le même matériel, ce qui fait une trentaine de morceaux. Donc, à moins d’être le dernier des abrutis, tu t’améliores toujours un peu. Et c’est là aussi que j’ai beaucoup appris en me demandant « mais comment faisaient tous ces groupes de l’époque pour sortir un album tous les ans ? » Le fait d’avoir enregistré tous ces morceaux nous a permis de faire des progrès. Je trouve que mes enregistrements de voix sont meilleurs sur cet album que sur le précédent, on a fait des progrès sur les guitares, même sur la composition, sur les arrangements… C’est comme quand tu fais du sport, que tu t’entraînes beaucoup : tu vas avoir de meilleurs résultats que si tu t’entraînes une fois par semaine. Je pense que c’est dû à ça et au fait d’avoir travaillé avec le même matériel. Quand tu changes de matériel trop souvent, tu redémarres à zéro sans t’en rendre compte. Tu penses que tu as emmagasiné de l’expérience, mais tu perds beaucoup de temps à redécouvrir le matériel, comment ça fonctionne… Comme avec un appareil photo, que tu fasses 500 ou 5000 photos avec le même appareil, jà la fin tu auras progressé. Je pense que ça y fait beaucoup : avoir travaillé sur un espace de temps court, bossé autant de morceaux, d’avoir mixé ces 30 morceaux là, d’avoir travaillé ce premier album seul de A à Z – on a bossé avec un tout petit studio de mastering à Lyon, après on passe avec Tom Baker… C’est de l’expérience, on n’a pas fait les mêmes erreurs qu’avec le premier. C’est pas parfait, loin de là, mais c’est ce qui nous a permis de gagner en expérience sur cet album…

 

Metal-Eyes : Je voudrais qu’on parle un peu de toi, maintenant, si tu le permets…

Philippe : C’est un beau sujet (il rit)…

 

Metal-Eyes : Oui, c’est un beau sujet. Enfin « beau », c’est un jugement de valeurs… Tu as travaillé pendant de nombreuses années avec ce personnage de Mr Strangler que tu incarnes. Vivre avec ce personnage doit laisser des traces. Alors qui est Philippe Deschemins aujourd’hui ?

Philippe : Je ne sais pas… Je dirais que… quand j’étais plus jeune, je lisais des interviews d’acteurs et je pensais qu’ils se la racontaient quand ils disaient « je me suis mis un peu trop dans le personnage, il a pris le dessus » etc, et en fait, sur The darkest of human desires, ça m’a un peu pris, j’étais à fond dans les trucs de tueurs en série, j’ai revu plein d’interview, relu plein de choses sur le sujet, et j’étais vraiment pris dans le truc. Plus que sur le dernier album où j’ai pris plus de distance. Pour répondre à ta question, je n’ai jamais été Mr Stranler, c’est une partie moi, évidemment, puisqu’on se nourrit toujours un peu de soi pour créer un personnage. Mais aussi, ce que j’ai essayé de faire, et je crois que le petit succès que nous avons avec ce personnage et cette trilogie c’est que… les gens s’approprient un peu ce personnage, ils le trouvent intéressant, parce qu’il leur rappelle un peu d’eux. Dans tous les romans, les BD qui fonctionnent bien, il y a une proximité, on trouve une proximité avec le personnage. Je pense que c’est ce qui fait que cette aventure musicale sur 3 albums a un peu de succès. Maintenant, je suis assez éloigné de Strangler mais je lui dois beaucoup. On n’a pas encore abordé la chose, mais il nous a ouvert beaucoup de portes. Qui s’ouvrent encore aujourd’hui, avec l’arrivée de ce nouvel opus, avec les nouvelles collaborations avec d’autres artistes, d’autres grands groupes, ce qu’on n’aurait pas pu faire sans Strangler. L’album va sortir, juste après, il y aura toute une série de remix qui vont sortir, qu’on a fait faire par des gars comme Orgy, Combichrist, Mindness Self Indulgence, plein de grands groupes avec qui on a pu bosser… Strangler nous a apporté ça dans une certaine mesure. On a déjà commencé ç travailler sur l’après trilogie.

 

Metal-Eyes : Juste pour finir là-dessus, l’an dernier tu me disais qu’il pouvait y avoir d’autres projets pour continuer de faire vivre Mr Strangler dont une adaptation en BD. C’est toujours d’actualité ?

Philippe : Oui, on avait commencé à bosser dessus, mais le dessinateur avec lequel on travaillait était un peu overbooké, donc on a laissé tomber pour le moment. C’est quelque chose que je voulais vraiment faire, et qu’on va faire… Strangler a encore beaucoup de choses à dire, ce sera soit sous la forme d’un comic book, ou d’un roman, d’une série de romans, ou de courtes nouvelles. J’aimerai bien aussi une série TV, il y a du potentiel pour ça…. Je pense qu’il aura de l’avenir, je pense aussi, en toute modestie, que cette trilogie fera date et qu’elle va vivre d’elle-même. On se rend compte avec le recul qu’on a réussi à faire quelque chose qui n’est pas commun, avec ses qualités et ses défauts. Mais qui interpelle et qui intéresse les gens. Je pense que ce truc aura sa propre vie. C’est un peu comme les enfants, tu acceptes qu’ils suivent leur propre chemin. Et il va apparaitre dans la suite ! Déjà, on va lui sortir son album de remixes qui sera là tout de suite après l’album. Ça s’appellera Mr Strangler’s last words, remixés par ces groupes que j’écoutais quand j’étais gamin. Jamais je n’aurais pensé que des membres de Nine Inch Nails pourraient me dire que ce que je fais est excellent et qu4on travaillerait ensemble sur des morceaux de Porn !

 

Metal-Eyes : Tu t’es aussi un peu extirpé de cette fascination pour les serial killers, tu connais tout de leurs vies, de leur univers. Tu ne l’as plus, cette fascination – enfin, « fascination », je ne sais pas si c’est le mot ?

Philippe : J’avais toujours trouvé ça intéressant parce que ce sont des marginaux par essence. Il n’y a pas plus marginal que ça. Même s’ils sont dans le monde, ils sont dans un « ailleurs ». J’ai beaucoup découvert, souvent, ce sont des pauvres types pas très intéressants, en réalité. Hormis quand on fait des Mr Strangler ou Hannibal Lecter, le plus souvent ce sont des personnages pas intéressants, miséreux et qui s’adonnent à des pratiques… Pas très cool. Tuer des gens, c’est pas très cool… pour les gens que tu tues… J’aime bien trouver quelqu’un qui est un peu plus « marrant », comme Richard Ramirez, qui assume jusqu’au bout. Il y a ceux, plus méprisable qui s’excusent pour manipuler les gens… Je ne l’ai pas eue beaucoup, cette fascination, j’étais surtout intéressé par les mécanismes et l’acceptation de soi quand on est un tueur ou un violeur en série. Parce que pour certains, le meurtre était plus… « accessoire », ils étaient plus intéressés par le viol, le fait de tuer la personne n’était pas la motivation première. Dans la suite, il y aura cette dimension de tueur, mais plus de tueur de masse et de secte plutôt que de tueur en série à proprement parler.

 

Metal-Eyes * : Justement, maintenant, la suite, tu as envie de faire quelque chose de complètement différent ?

Philippe : La suite traitera des marginalités. On part sur deux albums, je ne pense pas qu’on en fera trois. Je suis encore en train de travailler sur l’histoire pour la consolider. On est sur le thème de la marginalité autour d’un personnage un peu mystérieux qui est à la tête d’un genre de cirque caravane, et qui accueille des gens au sein de ce cirque itinérant, qui fait un peu office de secte. Ça questionne sur les marginalités, le fait de sortir des sociétés de consommation, comment les gens peuvent avoir envie d’être en dehors de la société. Alors je leur trouve des noms. Le titre de l’album est trouvé, les compositions pratiquement terminées et là, on entame les sessions d’enregistrement avec Chris Brena qui bosse sur le mix. Ce n’est pas moi qui mixerais cette fois, c’est lui. A la base, on voulait sortir du trip indus, donc les morceaux sont un peu plus rock, plus pop peut-être, et lui apporte une touche un peu rock indus, un peu plus dure dans les sonorités. C’est assez marrant, je ne pensais pas qu’on arriverait à ça, mais en fait, ça se passe bien, il est cool. On a fait un test sur un morceau, ça sonne super bien, il est adorable, donc il se charge de l’album qui sera prêt en juillet.

 

Metal-Eyes : Celui-ci fait partie d’une trilogie, donc d’un ensemble. Cependant, si tu devais ne retenir qu’un morceau de No monsters in God’s eyes pour définir ce qu’est Porn aujourd’hui, ce serait lequel ?

Philippe : Putain, c’est très difficile ça ! J’aurai tendance à te dire… soit Lovely day soit Dead in every eyes, parce que je trouve qu’il y a un peu de tout dans ces morceaux-là. Soit Love winter hope

 

Metal-Eyes : Là ça fait trois, je t’en ai demandé un seul !

Philippe : Dead in every eyes alors !

 

Metal-Eyes : C’est ce morceau que tu ferais écouter à quelqu’un en lui disant « tiens, écoute, c’est ce qu’on fait » ?

Philippe (il réfléchit longuement) : Non, ce serait plus Love winter hope alors, il y a de tout, un refrain… Alors que Dead, il n’y a pas de refrain.

 

Metal-Eyes : Love winter hope qui est aussi assez mélancolique…

Philippe : Oui, oui. C’est une composante qu’on retrouve dans toutes les trilogies quand même….

 

Metal-Eyes * : La mélancolie, elle est super forte, cet album est moins dur que les deux précédents. Il y a chez Porn un côté très metal, là, il n’y est presque pas

Philippe : Je pense que, même si beaucoup de gens ne le voient pas, la plus grande influence qu’il y a dans cette album c’est le Pink Floyd de Wish you were here, Dark side of the moon et The wall. Il y a des morceaux extrêmement mélancoliques dans Pink Floyd, mais ce n’est pas ce que les gens retiennent… Pourtant il y a des morceaux… Gilmour, quand il chante, c’est pas trop guilleret… Je pense que l’ombre de Pink Floyd plane sur ces albums.

 

Metal-Eyes * : Tu cites beaucoup Pink Floyd, mais la new wave aussi reste une influence…

Philippe : Oui, bien sûr. The Cure, ça a été l’une de mes plus grandes influences. Mais j’ai tellement écouté que, moi, ça me parait évident, je les cite moins. La patte de Cure a toujours été là, et sera toujours là. Et peut-être que la suite sonnera encore plus The Cure, parce que j’ai travaillé sur des mélanges acoustiques et des distorsions comme on trouve sur l’album The wish de The Cure. Je ne sais pas pourquoi, j’ai du mal à décrire cet album. J’ai beaucoup galéré sur le mix mais, au final, c’est sans doute le plus réussi, techniquement.

 

Metal-Eyes : Quelle pourrait être la devise de Porn en 2020 ?

Philippe : Euh… de profiter, de profiter au maximum parce que la vie, ce n’est qu’un aller simple, et le temps passe vite. Comme dans le morceau Time, de Pink Floyd. Oui, « profitez, et prenez le temps de prendre conscience de tous les instants ».

 

 

 

BOOST – Reboot

Metal indus, France (Mystyk prod, 2019)

Dès Silence is a gift, le ton est donné: Boost nous plonge dans l’univers que le collectif a voulu forger à sa création en 1996. Malgré le soutien de Lofofora, Mass Hysteria ou encore Loudblast, Boost disparaît au début des années 2000. Mais les voici de retour avec Reboost, un album que l’on peut résumer en un mot: puissant. Sur chacun des 11 titres, la puissance mêlée aux sonorités industrielles fait mouche. Le chant puissant, déterminé, dans un anglais parfaitement maîtrisé, partagé entre Michael da Silva et Howie Shaw est doublé de choeurs à l’avenant. From darkness into light pourrait passer pour prophétique tant Boost semble ici inspiré. Impossible bien sûr de ne pas penser à la martialité d’un Rammstein ou à la folie d’un Ministry qui auraient fricotés avec du neo metal (Epic fail).  Et si l’on doit faire référence à une formation française, alors Boost se rapproche méchamment et avec sa propre identité d’un Mass Hysteria. Enervé, explosif, enragé, p23as un instant Boost ne baisse sa garde. Son message est clair sur le très speedé Break qui débute avec un « Motherfucker » bien senti et qui continue comme un cri de colère. Lies make laws (oh que c’est d’actualité, au moment de la sortie comme à n’importe quel moment!) démarre certes plus calmement mais, c’est un trompe l’oreille. Ça bastonne à tous les étages, chaque titre apportant sont lot de headbang, de breakdown, de… puissance (on y revient) et de rage.  Impeccable de bout en bout, un conseil aux amateurs de metal indus, bien foutu: jetez vous sur ce Reboot qui devrait, s’il y a une justice, signer le retour en force de Boost.

PORN: No monsters in god’s eyes

France, Metal indus (Les disques Rubicon, 2020)

A peine plus d’un an aura passé depuis le second volet de la biographie de Mr Strangler. Voici donc le gamin morbide devenu adulte psychopathe revenir pour le dernier acte de son histoire. Avec ce No Monsters in god’s eyes – Act III, Porn met un terme à ce récit grandiloquent et décadent. Les 13 morceaux narrent,  sur fond de metal industriel inspiré autant par Ministry que Rammstein, les derniers jours sur Terre de Mr Strangler. Après l’enfant se découvrant une attirance pour la mort, le second volet le voyait passer à l’acte et prendre du plaisir à tuer. Ici, Mr Strangler est arrêté, interné et exécuté. La froideur des sons industriels, le rythme lourd, oppressant le chant lent posent le cadre dès Dead in every eyes. Dans un délire qui lui est propre, Philippe, le père de Mr Strangler et chanteur de Porn, décomposent certains morceaux (High summer day et Low winter hope) en plusieurs parties qu’il éparpille, tel un corps dépecé, tout au long de l’album. Un jeu de piste qui ajoute encore au mystère de cette sombre histoire. Des touches de Paradise Lost ressortent sur le très sombre Low winter hope, tandis que In an endless dream lorgne plutôt du côté de la cold wave, et certains passages évoquent même l’univers sonore de Pink Floyd… En variant les ambiances et les rythmes, non seulement Porn parvient à maintenir l’attention mais également à dépeindre les différents tableaux de cette oeuvre – car il s’agit bien de cela. Bien que ce troisième acte s’écoute de bout en bout avec plaisir, c’est ensemble que The ogre inside (2016), The darkest of human desires (2019) et No monsters in god’s eyes (2020), les trois volets de cette « aventure », doivent être écoutés pour prendre toute la mesure de cette oeuvre unique, ambitieuse et particulièrement réussie. Ça tombe bien, Porn nous promet un package réunissant l’ensemble de ce « gorepéra » metal.

Interview: HERRSCHAFT

 

Interview HERRSCHAFT. Entretien avec Zoé H. (guitare). Propos recueillis au Black Dog à Paris le 4 juillet 2019

 

Metal-Eyes : Herrschaft s’est formé en 2004, vous publiez aujourd’hui votre troisième album studio. Que s’est-il passé pour vous ces 6 dernières années ?

Zoé H. : Le dernier album studio, Les 12 vertiges, est en effet sorti en 2013. En 2014, on a décidé de fêter nos 10 ans d’existence avec un album de remixes, qui a demandé beaucoup de travail. On a fait, en 10 ans, des remixes pour plein de groupes et plein de groupes ont aussi remixé Herrschaft. En 2015, on a sorti notre tout premier clip avec le morceau How Real men do, qui apparait dans l’album actuel, et aujourd’hui, on sort, enfin, après 56 ans d’absence effectivement, Le festin du lion (chronique à retrouver avec ce lien)

Metal-Eyes : Pour le quidam qui ne vous connait pas trop, dont je suis, et qui fait quelques recherches, on constate que le premier album est sorti en 2008, les 12 vertiges en 2013 et le festin du lion en 2019. Soit des écarts de 5 et 6 ans. Ca sous entends que le prochain sortira en 2026 ?

Zoé H. : On n’espère pas ! Quand on finit un album, on se dit que le prochain on le sort dans un an, peut être deux ans. Et au final… Je pourrais très bien te dire que le prochain sort dans deux ans, mais j’en sais rien…

Metal-Eyes : Qu’est-ce qui fait que vous avez cet aspect « pas trop foudre de travail » ?

Zoé H. : Ecoute, en fait on travaille d’arrache-pied. Pour cet album, c’était un peu particulier puisqu’on a dû se réorganiser en 2014. Au début on était 3, Max et moi avons toujours été le noyau dur du groupe. On avait un autre chanteur, MZX, qui a décidé de partir en 2014. Il a fallu se recentre avec Max, voir si on allait continuer à 2, prendre un autre chanteur, et on est tombés d’accord sur le fait qu’on est bien à deux et qu’on veut faire les choses ensemble. Du coup, je ne sais plus qui de nous deux a proposé qu’il prenne le chant. Il n’avait jamais chanté avant, il a dû travailler très dur pour trouver sa voix, donner une nouvelle voix à Herrschaft. Ça, ça a été long, il a fallu qu’on fasse des tests en studio, voir si ça nous plaisait. On a coché cette case, ensuite, il a fallu voir si cette nouvelle formule fonctionnait aussi en live. Ça fonctionnait aussi. Déjà, là, on a deux ans qui sont passés, avant de se dire qu’on allait faire un nouvel album. Il nous a fallu 3 ans pour le faire, mais c’est aussi parce que j’ai mon propre studio. On est complètement maîtres de notre production de A à Z, on ne se laisse influencer par personne et on ne sort quelque chose que quand on en est à 200% satisfaits. On aurait pu sortir des choses avant, mais on n’en aurait pas été satisfaits, alors on a pris notre temps. Le fait d’avoir un studio, c’est un avantage parce que personne  ne nous dit quoi faire, mais c’est aussi un inconvénient parce qu’on n’a pas de pression ni de date limite ;

Metal-Eyes : Votre musique est très brute, très organique ; En plus de l’aspect indus, le nom allemand rappelle évidemment Rammstein, qui n’est pas votre seule influence. Mais qu’est-ce qui vous démarque de cette scène… je ne peux même pas décrire votre musique…

Zoé H. : Ben, tu vois, finalement, c’est peut-être ça qui nous démarque. Le fait que les gens aient du mal à nous coller une étiquette. On n’est pas qu’un groupe d’indus à influence germanophone. On a toujours voulu ce vrai mélange d’électro, on a essayé de le pousser plus loin, par rapport à d’autres groupes. On n’a pas privilégié le coté metal ou le coté électro, on a voulu faire une vraie fusion homogène des deux et aujourd’hui, on a inclus encore plus de choses avec du black metal, de la drum and bass… Certaines personnes nous disent même que maintenant on est presque prog, alors qu’il y a toujours cet aspect électro metal. J’ai l’impression, en tout cas je l’espère, c’est ce qu’on a voulu faire sur cet album, que c’est de l’électro metal mais très riche, avec des chants grégoriens, des chœurs d’enfants…

Metal-Eyes : En dehors du départ de MZX, comment décrirais-tu l’évolution de Herrschaft entre vos deux derniers albums ?

Zoé H. : Entre nos deux derniers albums ? Il y a un renouveau, parce qu’une nouvelle voix, et la continuité parce qu’on a gardé ce côté électro metal. Peut-être que maintenant on a un ton un peu plus léger…

Metal-Eyes (je ris) : Je n’aurais pas pensé à ce terme !

Zoé H. : Pourtant, si… Avant on était beaucoup plus sérieux, plus sombres et plus glacials. Peut-être dans les paroles, dans lesquelles il y a beaucoup d’humour, il y a un côté satanique, effectivement, mais avant c’était du satanique au premier degré, maintenant c’est du satanisme très cynique, décadent, voire grotesque. La vraie différence est là. Même la musique est plus légère. Je ne dirais pas « festive »,  on n’est pas « rigolo metal », même si je respecte tout à fait. On a ce côté grotesque, burlesque, moins lourd qu’avant.

Metal-Eyes : La pochette nécessite aussi quelques explications : on vous voit tous les deux avec vos masque, mais quel rapport y a-t-il entre cette illustration, ces deux personnages sataniques, et le titre, Le festin du lion ?

Zoé H. : Ces deux personnages sataniques pour moi représentent parfaitement ce qu’il y a dans l’album : il y a le diable et son assistant qui regarde l’humanité les implorant de les aider. Le diable regarde les hommes, en se disant «  je suis désœuvré, ils n’ont même plus besoin de moi pour faire n’importe quoi. » De ce point de vue, on a deux entités qui ont une supériorité sur un groupe, l’humanité. Le festin du lion, c’est un peu pareil : le lion, c’est le chef de clan qui envoie les autres chasser à sa place, qui se repose en attendant et qui se sert en premier. C’est une entité, un chef de clan qui dirige un groupe de personnes, d’individus qui sont à sa solde. Dans cet album, chaque morceau parle d’un arcane de pouvoir différent, toujours d’un individu, une entité ou une hiérarchie qui contrôle, de façon malsaine la plupart du temps mais pas forcément, un autre groupe d’individus qui sont à leur solde. Ça peut être d’un point de vue financier, un avocat véreux… Sur Technosatan c’est le diable qui se fout de l’humanité parce qu’il lui a donné la technologie et qu’ils en font n’importe quoi, sur New world order, c’est les complotistes qui voient le mal partout, qui sont persuadés qu’on les manipule, qu’une entité supérieure les manipule et qu’on leur vend n’importe quoi…

Metal-Eyes : Et que même si on cherche à leur démontrer le contraire alors c’est nous qui sommes manipulés…

Zoé H. : Voilà, exactement… The great fire c’est Satan qui regarde le monde brûler et qui se moque de dieu en lui disant «  regarde, je n’ai plus rien à faire, ils se débrouillent tous seuls, sans moi ! » A chaque fois, on aborde un thème différent, toujours en lien avec l’humanité.

Metal-Eyes : Ou la déshumanité, selon le point de vue.

Zoé H. : tout à fait. Moi, c’est ce qui m’amuse le plus dans les histoires aujourd’hui… Cette histoire, par exemple, hier, d’un directeur d’école catholique qui a été pris la main dans le sac en train de faire des orgies de cocaïne et de sodomie dès que les gens ont le dos tourné (NdMP : je ne sais pas si l’allusion est volontaire, Zoé, mais c’est un peu le principe de la sodomie, « le dos tourné », non ?) C’est de ça dont on parle, d’histoires qui nous amuse. On ne les juge pas : on les prend, on les présente au public et on laisse chacun se faire son opinion. Ça peut aborder le côté religieux avec les curés qui font n’importe quoi dans leur presbytère…

Metal-Eyes : D’où la nécessité de se plonger dans ces textes qui sont écrits en tout petit et qui nécessitent…

Zoé H. : Une loupe, oui ! Le festin du lion parle aussi de ça : c’est une métaphore d’un prédateur sexuel. On revient toujours à ce fil rouge.

Metal-Eyes : Si tu devais ne retenir qu’un titre de l’album pour expliquer ce que vous êtes aujourd’hui, ce serait lequel ?

Zoé H. : Ah, c’est compliqué… J’aime tous les titres de cet album, c’est la première fois que j’en suis aussi fier ! Pour quelqu’un qui ne nous connait pas, je pense que le plus simple pour entre dans l’univers de cet album c’est de prendre How real men do, parce qu’il a fait le sujet d’un clip (voir ci-dessous, attention, scènes surprenantes à déconseiller aux enfants). Dans ce clip, il y a toutes les idées qu’on veut véhiculer maintenant. C’est un clip très beau, et très drôle. Il y a beaucoup d’humour, de décadence, de grotesque et de cynisme. Il faut le voir… How real men do, on ne sait pas trop ce que ça veut dire, « comment font les vrais hommes », mais il y a un vrai truc dans ce clip qui, à mon avis, peut faire sourire tout le monde à la fin.

Metal-Eyes : Un groupe de rock, de metal, c’est aussi la scène. Vous avez des projets en ce sens ?

Zoé H. : Oui, on a un nouveau tourneur qui travaille sur la tournée. Pour l’instant je ne peux annoncer qu’une date, mais qui sera très belle : le 1er novembre à Nantes, au Warehouse. On partagera la scène avec d’autres confrères du même univers musical, Shâarghot, Punish Yourself qu’on connait bien, on est très liés à eux, on se connait très bien. Il y aura aussi OstFront, un groupe allemand. Ce sera une soirée multidisciplinaire avec des performances artistiques. Ca va être une très belle soirée.

Metal-Eyes : Il faut s’attendre à quoi sur scène avec Herrschaft ?

Zoé H. : Il faut s’attendre à beaucoup de visuel, de costumes parce qu’on incarne beaucoup de personnages différents. Ca fait très longtemps qu’on travaille la vidéo projection, les lumières que je programme moi-même pour accompagner les morceaux. C’est du spectacle pendant lequel on ne s’ennuie pas. Quand je vais à un concert et que je vois juste des musiciens qui jouent, je me lasse vite et je vais chercher une bière. Nous on veut capter l’attention du public.

Metal-Eyes : Donc faire en sorte que les gens n’aillent pas chercher de bière…

Zoé H. : ou qu’ils reviennent vite devant avec leur pinte !

Metal-Eyes : Quelle pourrait être la devise de Herrschaft en 2019 ?

Zoé H. : « manger des gens » ! Ou « regardez les brûler » ! C’est ce que font ces deux personnages sur la pochette : Satan regarde le monde brûler et il est presque déçu de ne pas en être partie prenante. Nous aussi, on regarde le monde brûler. Avec un peu de tristesse, malgré tout, mais on ne juge pas : on le prend et on constate. On en est spectateurs, simplement. On n’a pas le pouvoir de faire quelque chose, mais on regarde ceux qui en ont et on constate parfois qu’ils ne font rien. On essaie d’en rire…

Metal-Eyes : Toi tu es qui, Satan ou le bouc ?

Zoé H. : Je suis son assistant, là, le petit personnage rouge. Satan c’est le bouc. Pour moi, c’est le bouc le vrai patron.

Metal-Eyes : Donc, tu te situes à la droite du diable. Tout un symbole… Que souhaites-tu ajouter pour les lecteurs de Metal Eyes ?

Zoé H. : Déjà j’espère que vous aurez la curiosité d’aller voir le clip, et j’espère que ça vous plaira. Et allez voir les groupes d’indus sur scène, ils en ont besoin. C’est un mouvement qui est juste en train de ressurgir après une traversée du désert. On a eu un bon indicateur cette année avec plus de groupes électro – Combichrist, Eisbrescher, Shâarghot, Punish Yourself qui ont tous eu beaucoup de succès. J’espère que les organisateurs du festival vont l’entendre et en mettre plus. Et on a besoin de vous, public, en concerts, alors si vous aimez ça, il faut nous soutenir.

 

 

FREAK INJECTION: Freak is fashion

Metal barré, France (2017, autoproduction)

Freak Injection, c’est qui? Formé à Paris en 2016 à la suite  de la rencontre entre Mac-F (« adepte de masques de chiens ») et Charlie Red, chanteuse « addict aux crinières de feu et aux vestes à piques » , Freak Injection développe rapidement son concept musical, à la croisé du metal, du rock, de l’electro et de l’indus. Un programme défendu sur le premier Ep, Freak is fasion.

Freak is fashion, ça donne quoi? Barré comme il est écrit plus haut, cet Ep de 4 titres se laisse écouter avec étonnement et amusement. Toujours énergique, le chant souvent agressif, ou plutôt, déterminé, rappelle, dès le morceau titre, le coté déjanté d’une Nina Hagen shootée au punk industriel. Sex me est légèrement plus soft bien qu’explicite et volontairement provocateur. On se laisse surprendre et entraîner sur Crosses, le bien nommé, très électro hypnotique inspiré par le Blondie des années disco. La grande force de Freak Injection réside sans doute en ceci que le groupe ne se donne pas de limite. En ratissant large, en incluant à sa musique des influences variées et, à priori, incompatible, en y croyant dur comme fer, le groupe se fait plus qu’originale et crédible. Tout ça en ne se prenant pas au sérieux, la pochette et le sous titre (Alien sexfriends, pinkbloods & unicorns) parlant d’eux mêmes. La seule question qui se pose est: et sur un album complet, ce serait aussi efficace? C’est la prochaine étape et le plus gros pari de Freak Injection. A suivre, donc.&12

Note: 8/10