Interview: PORN

Interview PORN: entretien avec Philippe alias Mr Strangler (chant). Propos recueillis au Black Dog à Paris, le 4 mars 2020 – Interview réalisée en commun avec Pierre Arnaud du webzine Seigneurs Du Metal (questions marquées d’un *)

Metal-Eyes * : Cet album conclue la trilogie de Mr Strangler. La trilogie est terminée ; n’es-tu pas un peu triste d’arriver à la fin ?

Philippe : Un peu triste, et content, parce que, du coup, je regarde le taff qui a été fait et je suis content d’avoir réussi à mener à terme cette trilogie qu’on a bouclée en 3 ans. Il y a toujours un peu de tristesse à se séparer d’un personnage, qui nous a aussi beaucoup apporté puisque beaucoup de choses se sont passées dans Porn grâce à cette trilogie. Mais c’est aussi bien d’en finir et pouvoir passer à autre chose, ne pas être esclaves, asservis à ce personnage et être obligés de rester dans le truc pour pouvoir continuer. Moi, je suis super content de cette trilogie, on boucle ces trois albums et on passe à autre chose.

 

Metal-Eyes : Justement, je m’adresse au chanteur, pas à Mr Strangler : on arrive effectivement à la fin d’une trilogie, mais… Il se fait prendre comment ce psychopathe ?

Philippe : Euh… Eh, bien, ça, on le découvre dans le clip à venir. Quand on suit les clips, on voit qu’il est déjà plus ou moins emprisonné – dans les derniers, notamment Some happy moments où il discute avec une psychiatre –  mais il s’avère qu’il réussit à s’évader. Dans le dernier clip, il se fait attraper – c’est un clip un peu plus d’action – et on le voit après être amené à la chaise électrique. Il y a une scène avec un assaut de police venu pour l’arrêter

 

Metal-Eyes * : Dans cet album, il est en prison ?

Philippe : Oui, il est en prison, ou il s’apprête à y aller. Mais, en gros, l’idée c’était : il est en prison, il s’évade et il se fait rattraper à la fin. Mais la thématique principale, c’est l’enfermement.

 

Metal-Eyes * : Ce que j’ai trouvé intéressant et intriguant dans l’album c’est que, alors qu’il est en prison et condamné à mort, il va se faire exécuter. Il se fait exécuter ou pas ?

Philippe : Il est exécuté.

 

Metal-Eyes : Il y a la chaise électrique sur la pochette qui est explicite…

Philippe : Et dans le clip, il finit sur cette chaise électrique. C’est exactement la même.

 

Metal-Eyes * : Musicalement, je trouve l’album moins sombre que les deux précédent alors qu’il attend la mort. Je trouve l’album très mélancolique.

Philippe : L’idée, c’était de créer une ambiance où il se montre à la fois apaisé, résigne, par ce que quand on est en prison, ben… il faut l’accepter, sinon tu vas passer un mauvais moment… Pour que ça se passe bien en prison, il faut l’accepter. Il y a ce côté « résignation » où il accepte la chose, ce côté mélancolique, parce qu’il sait qu’il va faire face à sa mort imminente puisqu’il va passer à la chaise électrique, et il y a ce petit soubresaut d’espoir, comme dans Lovely day, ou beaucoup plus sombre comme Love winter hope où, là, il est au bout du bout. Mais, oui, en effet, il est un peu plus mélancolique. On voulait un truc un peu plus éthéré, un peu plus soyeux, comme s’il était à l’article de la mort et finalement, comme s’il ne l’était plus… Il y a un peu de ça.

 

Metal-Eyes : Musicalement, on trouve effectivement différentes ambiances, ce qu’on ne trouve pas visuellement puisque les pochettes de chacun des actes sont dans des tons similaires, marron. Il y a une vraie continuité également…

Philippe : Oui, idem dans les artworks des singles qui sont tous très sombres. Par exemple, le single de A lovely day, alors que le titre est plutôt joyeux, l’artwork c’est un chiotte tout pourrave, pour Some happy moments, on a des menottes ensanglantées attachées à un radiateur… On reste dans quelque chose de très sombre parce que c’est la fin, mais on a travaillé sur des sonorités un peu différentes des précédents albums, on a incorporé de la guitare acoustique aussi, ce qui crée un truc un peu plus éthéré. Mais les thématiques restent globalement plus sombres…

 

Metal-Eyes * : D’ailleurs, musicalement – et je sais que tu adores la new wave – il est encore plus new wave, je trouve. 

Philippe : Au final, oui, mais pas tant dans la composition, où il est plus rock. Il y a ce côté un peu plus… oui, new wave que sur les autres…

 

Metal-Eyes : Lorsque nous nous étions rencontrés il y a un an, tu définissais The ogre inside comme un album « sombre », le second volet, The darkest of human desires, comme plus « exalté ». Comment définirais-tu ce dernier acte ?

Philippe : Un peu comme on a dit là : plus éthéré, plus mélancolique. Peut-être aussi un peu plus rock. J’écoutais beaucoup à ce moment l), quand on était en phase de fin de composition, de mixage, j’écoutais beaucoup Pink Floyd, Wish you were here et The wall. Pour moi, le dernier album est assez particulier et j’ai un peu de mal à le définir…

 

Metal-Eyes : Je voudrais revenir sur un symbole que l’on trouve sur cet album que sont les clés. J’en dénombre 8, or, il y a plus de 10 titres… Ont-elles un rapport avec son internement ?

Philippe : C’est surtout David qui nous avait lancés là-dessus, et j’ai trouvé ça intéressant : la symblique de l’enfermement, la clé, c’est l’ouverture des portes, la fermeture des portes. Et comme on est sur sa fin, sa mort imminente, il y a la clé de l’éternité. Il n’y a pas de symbolique particulière, juste ce rapport à l’enfermement, au fait de fermer la serrure derrière cet homme.

 

Metal-Eyes : Et donc de fermer la trilogie… Je termine avec la symbolique : avec cette trilogie, le logo de Porn a changé. Est-il amené à évoluer encore à la suite ?

Philippe : Je pense qu’il va changer. On est en train de travailler dessus. C’est une volonté sur la suite… On a une cohérence graphique sur cet album, on va tout rééditer sur un seul, un triple album pour lequel on a ce logo, mais on pense à le changer. Si on avait un label, il nous dirait de ne pas le Je trouve que c’est cohérent, ça montre qu’on passe à autre chose. Même si, dans la suite, il y a un peu de Strangler… Il n’a pas dit son dernier mot, même si ce n’est pas le personnage principal. Quelqu’un d’autre va prendre sa place, mais il y aura toujours un peu de Mister Stangler, on lui doit bien ça !

 

Metal-Eyes * : Et l’album, au niveau du son, en dehors du côté new wave dont je parlais… Il a été produit à Los Angeles, c’est ça ? Je trouve qu’il a un son très américain.

Philippe : Oui. Du coup, quand on a fait le choix de Brian Lucey, surtout quand il a accepté… Avant, on avait travaillé avec Tom Baker, qui est très ancré dans les années 2000. A la fin des années 90, il a fait tous les Marylin Manson, Nine Inch Nails, Ministry… Il a beaucoup de talent, il peut faire tout et n’importe quoi, mais l’avantage de Lucey, c’est que c’est quelqu’un qui est vraiment de son époque. Il a fait les deux dernier Manson, le Meliora de Ghost, le dernier Royal Blood. C’était intéressant de se tourner vers lui pour savoir ce qu’il pourrait faire de notre musique avec une approche totalement contemporaine. On a eu la chance que Brian Lucey ait le temps, qu’il accepte de travailler avec nous. D’entrée ça s’est passé super bien, ça a été vraiment cool, et un plaisir de travailler avec lui !

 

Metal-Eyes * : Je trouve le son de l’album nickel, impressionnant. C’est lui qui a apporté ce truc aussi majestueux ?

Philippe : Non, il a surtout finalisé. C’est moi qui ai mixé en grande partie et il a apporté la touche finale. Je pense que c’est aussi dû au fait qu’on a fait 3 albums en 3 ans, que on a tout enregistré avec le même matériel, ce qui fait une trentaine de morceaux. Donc, à moins d’être le dernier des abrutis, tu t’améliores toujours un peu. Et c’est là aussi que j’ai beaucoup appris en me demandant « mais comment faisaient tous ces groupes de l’époque pour sortir un album tous les ans ? » Le fait d’avoir enregistré tous ces morceaux nous a permis de faire des progrès. Je trouve que mes enregistrements de voix sont meilleurs sur cet album que sur le précédent, on a fait des progrès sur les guitares, même sur la composition, sur les arrangements… C’est comme quand tu fais du sport, que tu t’entraînes beaucoup : tu vas avoir de meilleurs résultats que si tu t’entraînes une fois par semaine. Je pense que c’est dû à ça et au fait d’avoir travaillé avec le même matériel. Quand tu changes de matériel trop souvent, tu redémarres à zéro sans t’en rendre compte. Tu penses que tu as emmagasiné de l’expérience, mais tu perds beaucoup de temps à redécouvrir le matériel, comment ça fonctionne… Comme avec un appareil photo, que tu fasses 500 ou 5000 photos avec le même appareil, jà la fin tu auras progressé. Je pense que ça y fait beaucoup : avoir travaillé sur un espace de temps court, bossé autant de morceaux, d’avoir mixé ces 30 morceaux là, d’avoir travaillé ce premier album seul de A à Z – on a bossé avec un tout petit studio de mastering à Lyon, après on passe avec Tom Baker… C’est de l’expérience, on n’a pas fait les mêmes erreurs qu’avec le premier. C’est pas parfait, loin de là, mais c’est ce qui nous a permis de gagner en expérience sur cet album…

 

Metal-Eyes : Je voudrais qu’on parle un peu de toi, maintenant, si tu le permets…

Philippe : C’est un beau sujet (il rit)…

 

Metal-Eyes : Oui, c’est un beau sujet. Enfin « beau », c’est un jugement de valeurs… Tu as travaillé pendant de nombreuses années avec ce personnage de Mr Strangler que tu incarnes. Vivre avec ce personnage doit laisser des traces. Alors qui est Philippe Deschemins aujourd’hui ?

Philippe : Je ne sais pas… Je dirais que… quand j’étais plus jeune, je lisais des interviews d’acteurs et je pensais qu’ils se la racontaient quand ils disaient « je me suis mis un peu trop dans le personnage, il a pris le dessus » etc, et en fait, sur The darkest of human desires, ça m’a un peu pris, j’étais à fond dans les trucs de tueurs en série, j’ai revu plein d’interview, relu plein de choses sur le sujet, et j’étais vraiment pris dans le truc. Plus que sur le dernier album où j’ai pris plus de distance. Pour répondre à ta question, je n’ai jamais été Mr Stranler, c’est une partie moi, évidemment, puisqu’on se nourrit toujours un peu de soi pour créer un personnage. Mais aussi, ce que j’ai essayé de faire, et je crois que le petit succès que nous avons avec ce personnage et cette trilogie c’est que… les gens s’approprient un peu ce personnage, ils le trouvent intéressant, parce qu’il leur rappelle un peu d’eux. Dans tous les romans, les BD qui fonctionnent bien, il y a une proximité, on trouve une proximité avec le personnage. Je pense que c’est ce qui fait que cette aventure musicale sur 3 albums a un peu de succès. Maintenant, je suis assez éloigné de Strangler mais je lui dois beaucoup. On n’a pas encore abordé la chose, mais il nous a ouvert beaucoup de portes. Qui s’ouvrent encore aujourd’hui, avec l’arrivée de ce nouvel opus, avec les nouvelles collaborations avec d’autres artistes, d’autres grands groupes, ce qu’on n’aurait pas pu faire sans Strangler. L’album va sortir, juste après, il y aura toute une série de remix qui vont sortir, qu’on a fait faire par des gars comme Orgy, Combichrist, Mindness Self Indulgence, plein de grands groupes avec qui on a pu bosser… Strangler nous a apporté ça dans une certaine mesure. On a déjà commencé ç travailler sur l’après trilogie.

 

Metal-Eyes : Juste pour finir là-dessus, l’an dernier tu me disais qu’il pouvait y avoir d’autres projets pour continuer de faire vivre Mr Strangler dont une adaptation en BD. C’est toujours d’actualité ?

Philippe : Oui, on avait commencé à bosser dessus, mais le dessinateur avec lequel on travaillait était un peu overbooké, donc on a laissé tomber pour le moment. C’est quelque chose que je voulais vraiment faire, et qu’on va faire… Strangler a encore beaucoup de choses à dire, ce sera soit sous la forme d’un comic book, ou d’un roman, d’une série de romans, ou de courtes nouvelles. J’aimerai bien aussi une série TV, il y a du potentiel pour ça…. Je pense qu’il aura de l’avenir, je pense aussi, en toute modestie, que cette trilogie fera date et qu’elle va vivre d’elle-même. On se rend compte avec le recul qu’on a réussi à faire quelque chose qui n’est pas commun, avec ses qualités et ses défauts. Mais qui interpelle et qui intéresse les gens. Je pense que ce truc aura sa propre vie. C’est un peu comme les enfants, tu acceptes qu’ils suivent leur propre chemin. Et il va apparaitre dans la suite ! Déjà, on va lui sortir son album de remixes qui sera là tout de suite après l’album. Ça s’appellera Mr Strangler’s last words, remixés par ces groupes que j’écoutais quand j’étais gamin. Jamais je n’aurais pensé que des membres de Nine Inch Nails pourraient me dire que ce que je fais est excellent et qu4on travaillerait ensemble sur des morceaux de Porn !

 

Metal-Eyes : Tu t’es aussi un peu extirpé de cette fascination pour les serial killers, tu connais tout de leurs vies, de leur univers. Tu ne l’as plus, cette fascination – enfin, « fascination », je ne sais pas si c’est le mot ?

Philippe : J’avais toujours trouvé ça intéressant parce que ce sont des marginaux par essence. Il n’y a pas plus marginal que ça. Même s’ils sont dans le monde, ils sont dans un « ailleurs ». J’ai beaucoup découvert, souvent, ce sont des pauvres types pas très intéressants, en réalité. Hormis quand on fait des Mr Strangler ou Hannibal Lecter, le plus souvent ce sont des personnages pas intéressants, miséreux et qui s’adonnent à des pratiques… Pas très cool. Tuer des gens, c’est pas très cool… pour les gens que tu tues… J’aime bien trouver quelqu’un qui est un peu plus « marrant », comme Richard Ramirez, qui assume jusqu’au bout. Il y a ceux, plus méprisable qui s’excusent pour manipuler les gens… Je ne l’ai pas eue beaucoup, cette fascination, j’étais surtout intéressé par les mécanismes et l’acceptation de soi quand on est un tueur ou un violeur en série. Parce que pour certains, le meurtre était plus… « accessoire », ils étaient plus intéressés par le viol, le fait de tuer la personne n’était pas la motivation première. Dans la suite, il y aura cette dimension de tueur, mais plus de tueur de masse et de secte plutôt que de tueur en série à proprement parler.

 

Metal-Eyes * : Justement, maintenant, la suite, tu as envie de faire quelque chose de complètement différent ?

Philippe : La suite traitera des marginalités. On part sur deux albums, je ne pense pas qu’on en fera trois. Je suis encore en train de travailler sur l’histoire pour la consolider. On est sur le thème de la marginalité autour d’un personnage un peu mystérieux qui est à la tête d’un genre de cirque caravane, et qui accueille des gens au sein de ce cirque itinérant, qui fait un peu office de secte. Ça questionne sur les marginalités, le fait de sortir des sociétés de consommation, comment les gens peuvent avoir envie d’être en dehors de la société. Alors je leur trouve des noms. Le titre de l’album est trouvé, les compositions pratiquement terminées et là, on entame les sessions d’enregistrement avec Chris Brena qui bosse sur le mix. Ce n’est pas moi qui mixerais cette fois, c’est lui. A la base, on voulait sortir du trip indus, donc les morceaux sont un peu plus rock, plus pop peut-être, et lui apporte une touche un peu rock indus, un peu plus dure dans les sonorités. C’est assez marrant, je ne pensais pas qu’on arriverait à ça, mais en fait, ça se passe bien, il est cool. On a fait un test sur un morceau, ça sonne super bien, il est adorable, donc il se charge de l’album qui sera prêt en juillet.

 

Metal-Eyes : Celui-ci fait partie d’une trilogie, donc d’un ensemble. Cependant, si tu devais ne retenir qu’un morceau de No monsters in God’s eyes pour définir ce qu’est Porn aujourd’hui, ce serait lequel ?

Philippe : Putain, c’est très difficile ça ! J’aurai tendance à te dire… soit Lovely day soit Dead in every eyes, parce que je trouve qu’il y a un peu de tout dans ces morceaux-là. Soit Love winter hope

 

Metal-Eyes : Là ça fait trois, je t’en ai demandé un seul !

Philippe : Dead in every eyes alors !

 

Metal-Eyes : C’est ce morceau que tu ferais écouter à quelqu’un en lui disant « tiens, écoute, c’est ce qu’on fait » ?

Philippe (il réfléchit longuement) : Non, ce serait plus Love winter hope alors, il y a de tout, un refrain… Alors que Dead, il n’y a pas de refrain.

 

Metal-Eyes : Love winter hope qui est aussi assez mélancolique…

Philippe : Oui, oui. C’est une composante qu’on retrouve dans toutes les trilogies quand même….

 

Metal-Eyes * : La mélancolie, elle est super forte, cet album est moins dur que les deux précédents. Il y a chez Porn un côté très metal, là, il n’y est presque pas

Philippe : Je pense que, même si beaucoup de gens ne le voient pas, la plus grande influence qu’il y a dans cette album c’est le Pink Floyd de Wish you were here, Dark side of the moon et The wall. Il y a des morceaux extrêmement mélancoliques dans Pink Floyd, mais ce n’est pas ce que les gens retiennent… Pourtant il y a des morceaux… Gilmour, quand il chante, c’est pas trop guilleret… Je pense que l’ombre de Pink Floyd plane sur ces albums.

 

Metal-Eyes * : Tu cites beaucoup Pink Floyd, mais la new wave aussi reste une influence…

Philippe : Oui, bien sûr. The Cure, ça a été l’une de mes plus grandes influences. Mais j’ai tellement écouté que, moi, ça me parait évident, je les cite moins. La patte de Cure a toujours été là, et sera toujours là. Et peut-être que la suite sonnera encore plus The Cure, parce que j’ai travaillé sur des mélanges acoustiques et des distorsions comme on trouve sur l’album The wish de The Cure. Je ne sais pas pourquoi, j’ai du mal à décrire cet album. J’ai beaucoup galéré sur le mix mais, au final, c’est sans doute le plus réussi, techniquement.

 

Metal-Eyes : Quelle pourrait être la devise de Porn en 2020 ?

Philippe : Euh… de profiter, de profiter au maximum parce que la vie, ce n’est qu’un aller simple, et le temps passe vite. Comme dans le morceau Time, de Pink Floyd. Oui, « profitez, et prenez le temps de prendre conscience de tous les instants ».

 

 

 

PORN: No monsters in god’s eyes

France, Metal indus (Les disques Rubicon, 2020)

A peine plus d’un an aura passé depuis le second volet de la biographie de Mr Strangler. Voici donc le gamin morbide devenu adulte psychopathe revenir pour le dernier acte de son histoire. Avec ce No Monsters in god’s eyes – Act III, Porn met un terme à ce récit grandiloquent et décadent. Les 13 morceaux narrent,  sur fond de metal industriel inspiré autant par Ministry que Rammstein, les derniers jours sur Terre de Mr Strangler. Après l’enfant se découvrant une attirance pour la mort, le second volet le voyait passer à l’acte et prendre du plaisir à tuer. Ici, Mr Strangler est arrêté, interné et exécuté. La froideur des sons industriels, le rythme lourd, oppressant le chant lent posent le cadre dès Dead in every eyes. Dans un délire qui lui est propre, Philippe, le père de Mr Strangler et chanteur de Porn, décomposent certains morceaux (High summer day et Low winter hope) en plusieurs parties qu’il éparpille, tel un corps dépecé, tout au long de l’album. Un jeu de piste qui ajoute encore au mystère de cette sombre histoire. Des touches de Paradise Lost ressortent sur le très sombre Low winter hope, tandis que In an endless dream lorgne plutôt du côté de la cold wave, et certains passages évoquent même l’univers sonore de Pink Floyd… En variant les ambiances et les rythmes, non seulement Porn parvient à maintenir l’attention mais également à dépeindre les différents tableaux de cette oeuvre – car il s’agit bien de cela. Bien que ce troisième acte s’écoute de bout en bout avec plaisir, c’est ensemble que The ogre inside (2016), The darkest of human desires (2019) et No monsters in god’s eyes (2020), les trois volets de cette « aventure », doivent être écoutés pour prendre toute la mesure de cette oeuvre unique, ambitieuse et particulièrement réussie. Ça tombe bien, Porn nous promet un package réunissant l’ensemble de ce « gorepéra » metal.

PORN: The darkest of human desires – Act II

France, Metal industriel (Les disques rubicon, 2019)

Si Porn a toujours voulu interpeler, cette fois, le groupe lyonnais risque de trouver sa voix. The darkest of human desires est l’acte 2 d’une trilogie contant l’histoire de Mr Strangler qui, enfant (acte 1) se découvre des pulsions assassines et passe aujourd’hui à l’acte, faisant resurgir ses pensées les plus sombres et meurtrières, celles qu’il a jadis refoulées et laisse aujourd’hui exploser. Un acte 3 est déjà prévu qui le verra incarcéré et subir un traitement psychiatrique. Un programme aussi sombre que la pochette illustré par 10 chansons d’un metal industriel qui n’a rien à envier à Ministry et consorts. Porn pioche également dans le metal gothique des années 90, celui de Paradise Lost ou des Sisters of Mercy. C’est lourd et oppressant, avec ci et là quelques touches de cette mélancolie que doit ressentir après coups Mr Strangler. The darkest of human desires est une oeuvre à la fois riche et inquiétante, qui s’écoute comme on peut lire un bon thriller ou un roman d’angoisse. S’il s’adresse à un public averti, cet album n’en reste pas moins intrigant et fascinant, tout à la fois. Maintenant, ça va donner quoi, ce concept sur scène???

Interview: PORN

Interview PORN. Entretien avec Philippe, aka Mr Strangler  (chant, compositeur, producteur). Propos recueillis à Paris, Doctor Feelgood le 29 janvier 2019

C’est un Mr Strangler heureux et bavard qui nous reçoit pour nous parler du second volet de sa trilogie racontant l’oeuvre de Mr Strangler. The darkest of human desires sera dans les bacs dès le 22 février et c’est tout un programme…

Metal-Eyes : Le groupe s’est formé à Lyon en 1999…

Mr Strangler : Oui, plus précisément à Grenoble, mais la genèse s’est faite à Lyon.

Metal-Eyes : Votre parcours a été depuis à la fois remarqué – notamment par le nom du groupe volontairement provocateur, mais également accidenté. Comment résumerais-tu l’histoire de Porn ?

Mr Strangler : Je dirais qu’on en est qu’au début ! Pour moi, on ne peut pas définir la carrière d’un groupe par le temps, par une histoire de longévité, mais plus par la concrétisation de l’œuvre artistique. Pour moi, une carrière musicale, c’est un marathon, elle se finit à la fin. Beaucoup de gens pensent que c’est un sprint, et pourtant… Tu peux aller vite à un moment, ensuite, tu stagnes, et puis tu peux repartir assez rapidement. Par exemple, en France… C’est un groupe que je n’écoute pas forcément, mais la carrière d’Indochine : ils ont cartonné au début, puis ils sont tombés dans les oubliettes de chez « les oubliettes », et là, ils sont revenus, doucement pour exploser. Je pense que c’est une histoire de marathon et d’endurance. C’est une discipline, plus qu’un métier. Comme quand tu veux faire un sport de combat, c’est dur. Je pense que j’aurais plus un jugement subjectif sur la qualité de ma musique plus que sur la notoriété ou ce genre de chose.

Metal-Eyes : Quelles ont été pour toi les principales étapes de votre carrière ?

Mr Strangler : Il y a eu le premier album (2004), puis The ogre inside (2017).

Metal-Eyes : Porn est un groupe qui a toujours voulu interpeler, à commencer par le nom du groupe… ça ne passe pas partout, tu fais une recherche sur internet… Merci

Mr Strangler : On a du mal à nous trouver, oui !

Metal-Eyes : Non, mais il faut rajouter quelques informations. Et ne pas avoir d’enfant à proximité ! Vous revenez aujourd’hui avec l’acte 2 de The darkest sides of human desires. Je n’ai pas réussi à trouver l’acte 1.

Mr Strangler : La première partie ? C’est The ogre inside

Metal-Eyes : D’où la numérotation des morceaux qui démarre à 10. Pourtant, il n’y a aucun titre sur The ogre inside qui s’appelle « The darkest of human desires »…

Mr Strangler : Non, non… C’est le concept global, en fait, qui n’a pas de nom. Çà pourrait être « la vie et l’œuvre de Mr Strangler ». C’est une histoire en 3 actes, et je n’ai pas encore trouvé le nom de la troisième partie même si l’album est quasiment fini. The ogre inside, ce serait l’adolescence du personnage : c’est quelqu’un qui se découvre des pulsions meurtrières, et découvre qu’elles sont inadéquates, face à la famille, la société. Il va y avoir un biais entre les pulsions et comment les assouvir. Assouvir des pulsions meurtrières ? Ça ne le fait pas. Donc c’est quelqu’un qui comprend cela et qui est tiraillé par ses pulsions et qui est dans le refoulement. Dans l’acte 2, il est question du meurtre, le plus sombre des désirs humains. Et dans cette partie de sa vie, il est plutôt adulte et il s’assume. Il se dit « j’y vais, je vais tuer des gens ». Dans l’acte 3, il se fait attraper et là, on va parler de psychiatrie et d’emprisonnement.

Metal-Eyes : Ce qui explique aussi le lien qu’il y a entre les pochettes. J’imagine une continuité avec le troisième…

Mr Strangler : Oui, c’est la même personne qui va travailler dessus, avec la thématique de l’emprisonnement, et la psychiatrie.

Metal-Eyes : Même s’il n’y a pas eu beaucoup de temps entre ces deux derniers albums, comment analyserais-tu l’évolution de Porn ? 

Mr Strangler : Il n’y en a pas. En fait, on ne s’est jamais arrêtés dans la composition. A partir du moment, en 2016, où on a commencé à travailler sur The ogre inside, on ne s’est jamais arrêtés. Tout est fait dans la foulé. Quand on a bouclé les 10 morceaux qui, pour moi, étaient finalisés pour The ogre inside, ils sont partis le lendemain au mastering et dans la foulée, j’ai commencé à bosser sur le nouvel album. Celui-ci est fini depuis 2 mois, et j’ai déjà fini la composition du troisième. On va enregistrer dans pas longtemps et tous les morceaux sont quasiment finalisés. S’il y a une évolution, ben… comme j’ai la tête dans le guidon, je ne la vois pas ! Si, dans la recherche des ambiances : The ogre inside est plus sombre, mélancolique, parce que je voulais vraiment illustrer le tiraillement, la personne se sent vidée de l’intérieur. The darkest of human desire est plus exalté, plus speed, malgré de la mélancolie.

Metal-Eyes : Justement, les ambiances, il y en a plein, pas forcément du metal ou du rock, mais plein de choses typées des années 80, 90, et des choses plus électro. Qu’est-ce qui vous influence ?

Mr Strangler : Je dirais tout simplement les vieux groupes de metal industriel et de rock gothique. Type O Negative, The Cure, Paradise Lost… J’espère que comme eux, on va réussir à devenir nous-mêmes. Etre dépositaire d’un style, reconnu comme étant quelque chose d’unique, musicalement. Pour moi, c’est ça, « réussir sa carrière », c’est vers ça que je tends.

Metal-Eyes : Tu es quelqu’un de très actif, artisiquement, puisque, au-delà de la musique tu écris. Les activités littéraires et musicales s’auto-alimentent-elles ?

Mr Strangler : Oui, totalement, et à chaque fois, l’un est venu de l’autre. Par exemple, lorsque j’ai commencé à travailler sur le deuxième album de Porn, From the void to infinite, j’étais en fait vachement inspiré par un poème de TS Elliott qui s’appelle Les hommes creux. Et c’est de là qu’est venu le concept de The ogre inside : quand je lisais et relisais ce poème, pour moi, ces hommes creux, c’est comme s’ils avaient été mangés de l’intérieur. From the void, pour moi, c’était ce vide intérieur. Et j’ai voulu développé ce concept, ce que j’ai fait dans un roman qui s’appelle Contoyen, mais qui ne parle pas que de ça. Le personnage principal dit cependant qu’il est mangé de l’intérieur par un ogre qui prend le pouvoir. Parti de la musique, c’est devenu un roman, qui a créé l’ogre intérieur, et c’est revenu à la musique. En travaillant là-dessus, j’ai inventé Mr Strangler. Peut-être qu’après la trilogie, je vais arrêter la musique un moment pour me consacrer à un comics dont le héros sera Mr Strangler !

Metal-Eyes : Tout à l’heure, tu me disais que tu ne dessines pas bien et là, tu me parles de comics…

Mr Strangler : Non, non, je ne ferais qu’écrire ! Je ne sais vraiment pas dessiner, c’est une catastrophe !

Metal-Eyes : Au-delà de la fiction, j’ai l’impression que tu portes un regard assez sombre sur la société…

Mr Strangler : Oui… Quand je parle de ce personnage, j’essais de montrer qu’en fait, il s’agit de tout le monde : le gamin qui a des pulsions homosexuelles, qui comprends qu’il faut les refouler avant que ça ne reprenne le dessus et que, comme certains l’ont fait, il décide d’aller tuer d’autres homosexuels. Une manière de tuer sa propre homosexualité va choisir un chemin qui ne sera pas le tien, ou pas accepter, et il y aura toujours cette forme de mélancolie, de regret : « peut-être que ça aurait pu se passer autrement… » Ici, j’exagère une situation pour qu’elle soit compréhensible. On vit dans une société normative, et quand on n’est pas normé, on va entrer en interaction et c’est là que, souvent, on est considérés comme des malades mentaux. Pour moi, la trilogie est le bon format, parce que je peux parler de ces trois étapes : l’enfance, le moment où on assume, et la fin, la phase de psychiatrisation. Est-ce qu’elle sert à quelque chose ?

Metal-Eyes : Si aujourd’hui, pour explique à quelqu’un ce qu’est Porn, tu devais ne retenir qu’un seul titre, ce serait lequel ?

Mr Strangler : Sans hésitation, je dirais Last of a million. Je pense qu’il y a un peu de tout, que c’est, à mon sens, un des plus réussis, tant esthétiquement qu’artistiquement.

Metal-Eyes : Quelle a été la meilleure question qui t’ai été posée aujourd’hui ?

Mr Strangler : Euh… Une question toute simple, en fait : « qui est Mr Strangler ». Dit comme ça, je n’ai pas su trop quoi répondre. Elle ne m’avait jamais été posée comme ça, de but en blanc, ça m’a amené à réfléchir. C’est un personnage qui est un peu en chacun de nous, je ne lui ai pas fait d’état civil…

Metal-Eyes : Quelle pourrait être la devise de Porn en 2019 ?

Mr Strangler : … Quelque chose qui est en filigrane : l’émancipation. Gagner en émancipation, intellectuelle ou physique, financière. Devenir celui qu’on est… Reprendre ce vieux truc d’Aleister Crowley : Fais ce que tu veux sera la loi. Mis à côté de Rousseau : « ta liberté s’arrête où commence celle des autres ». « Deviens toi-même mais sans faire chier les autres ! »

Metal-Eyes : Crowley et Rousseau côte-à-côte, c’est original !