ODA: Bloodstained

France, Stoner/doom (Autoproduction, 2024)

La pochette de Bloodstained dit tout, ou presque: une nature morte qui évoque l’univers des frères Le Nain, décor éclairé à la bougie, on va invoquer je ne sais quoi. Lorsque résonnent les premières mesures de Children of the night, on se retrouve plongé dans un univers lent, sombre et froid. Le son, crissant et craquant, sonne et résonne comme si l’on se trouvait dans une crypte. Les guitares saturées et le chant trainant presque mélancolique de Thomas Féraud, la basse ronflante tenue par Emmanuel Brège, la batterie lourde frappée par Cyril Thommeret, tout évoque une sorte de rituel. Les participants ont consommé on ne sait quoi et parviennent à proposer des morceaux lourds proches du stoner et du doom. Une fois ce morceau d’ouverture passé – moins de 4′ – Oda nous entraine dans des décors plus étranges qu’oppressants. Avec ses 11′, Zombi suivi de Inquisitor (même lié à) dépeignent plusieurs tableaux, proposent diverses ambiances que ne renieraient pas les grands du genre. Rabid hole et sa basse ronflante, Succubus, hypnotique ou la (légère) montée en puissance de Mourning star parviennent à séduire même si Oda ne réinvente pas le genre. En revanche, le groupe nous offre un premier album prometteur qui mérite qu’on se penche sur son cas.

DEMANDE A LA POUSSIERE: Kintsugi

France, Doom/Sludge (My kingdom music, 2024)

Pour leur troisième album, les Franciliens de Demande A La Poussière se sont offerts un petit lifting avec l’arrivée d’un nouveau chanteur, Simon Perrin, qui tient également la guitare. Ce Kintsugi – soit « l’art du beau dans l’imperfection, la sublimation de ses blessures pour renaitre de ses cendres » – plonge l’auditeur, dès les premières notes de Inapte, dans les tréfonds d’une âme emplie de désespoir. Ne cherchons pas ici de lumière, le propos musical, lourd, lent et oppressant, et le chant, torturé et dépressif, lui ont simplement empêché tout accès tout au long de la presque heure que dure l’abum. Kintsugi est une œuvre qui interroge, qui pousse à trouver au fond de soi cette force et cette volonté d’aller au-delà des « facilités » d’un certain mal-être. C’est violent plus que brutal, en tout cas, ça secoue intérieurement, et c’est totalement sombre, sans aucun compromis. Amis dépressifs, passez votre chemin… Les autres, plongez dans cette noirceur interrogative.

NEAR DEATH EXPERIENCE: Brief is the light

France, Doom/gothic (M&O, 2024)

Ne pas se fier aux apparences… Eviter les préjugés, aussi. On aurait pu croire, avec un tel patronyme, que Near Death Experience, groupe formé à Nantes en 2022, officie dans le metal extrême et brutal. Que nenni, bien au contraire, le groupe explorant l’univers de son nom. Son premier album, Brief is the light, Propose 10 titres qui, chacun à sa manière, évoque le thème et aborde les témoignages de ces mystérieuses expérience de mort imminentes. Le doom sied à merveille à l’esprit de cet album intriguant, évolue entre l’univers de Paradise Lost et de Metallica, en passant du côté de Katatonia. Si l’album est dans son ensemble sombre, il y a de la lumière au bout de ce tunnel. Le seul défaut réside dans le chant féminin (malheureusement, la bio reçue de quelques lignes ne donne aucune information concernant le line-up…) qui manque parfois de rondeur et dont les paroles sont difficilement compréhensibles. L’ensemble, cependant, reste à la fois lourd et puissant et NDE nous propose au final un album interpelant.

GREYBORN: Scars

France, stoner (Ep autoproduit, 2024)

Une basse ronflante, grasse et saturée introduit lourdement Scars, un Ep de 5 titres qui démarre avec le morceau titre. Greyborn a été formé par le batteur chanteur Théo Jude qui, accompagné du guitariste Maxime Conan et du bassiste Guillaume Barrou propose un premier Ep, Leeches, en 2022 aux sonorités embrumées. Le groupe évolue dans un registre stoner/doom et revient avec ce Scars tout aussi sombre et lourd. Passé le cap d’un chant anglais incompréhensible, l’amateur se plongera dans ces morceaux oppressants et inquiétants. A thousand dreams away se détache du lot par sa rythmique plus dansante, tandis que Tetany, court instrumental, offre un moment plus léger à l’ensemble. La production minimaliste apporte une touche organique vintage, mais la sursaturation peut nuire à une écoute sereine. Volontairement hors du temps, Scars s’inscrit dans un registre sonore qui revient en force. C’est sans doute là la grande faiblesse de ce disque qui ne se démarque pas de la masse. Pas désagréable, certes, mais pas mémorable non plus. Dommage…

WITCHORIOUS

France, Doom (Autoproduction, 2024)

Entrez. Entrez dans un univers sonore aussi sombre qu’oppressant, celui de Witchorious, formation francilienne qui a vu le jour (sans doute en pleine nuit sans lune) en 2019. Le trio composé du guitariste chanteur Antoine Auclair, de Lucie Gaget (basse et chant) et de son frère Paul à la batterie, propose un premier single en 2020 avant de proposer son premier album éponyme en 2024. Un nom qui associe Witch (sorcière) et Notorious (notoire) donne déjà une bonne idée du genre musical dans lequel le groupe a choisi d’évoluer. La lecture des crédits indique qu’un certain Francis Caste était au manettes de l’enregistrement au mixage, un gage a priori de qualité. Le trio propose une palette de chansons au chant écorché, aux rythmes lourds comme une masse, à la rage féroce… Ce premier album, s’il souffre, comme tant de groupes français, d’un anglais guère compréhensible (allez, un effort de tous ferait sans doute entrer notre belle nation parmi les sérieux prétendants au trône du metal international au lieu de nous cantonner dans la case « ridiculus » de Martin Popoff!), bénéficie d’une mise en son parfaitement en accord avec la musique. Witchorious a totalement intégré ses influences, de Black Sabbath à Possessed, en passant par Electric Wizard ou encore Cathedral. Un album évidemment recommandé aux amateurs du genre et aux curieux, les dépressifs, quant à eux, passeront leur chemin. Witchorious nous offre un premier album des plus prometteurs, alors, on attend la suite, qu’elle soit scénique ou discographique. Un groupe à suivre.

LAST QUARTER: For the hive

France, Doom (Autoproduction, 2024)

C’est lourd, c’est lent, ça s’intitule For the hive et c’est le nouvel Ep des Parisiens de Last Quarter. Il y a de la mélancolie tout au long des 4 titres de ce premier essais du groupe formé en 2018. On se retrouve dans l’univers d’un Black Sabbath déprimé et dépouillé, de sonorités profondes et d’un chant langoureux. Un ensemble qui commence à se faire explosif au milieu du troisième titre, Next morning. Mais l’ensemble reste résolument plus doom que metal, sombre, intriguant et oppressant. We’ll be just fine, qui vient conclure ce disque – dont on ne peut que reprocher un chant dans un anglais presqu’incompréhensible – de façon plus joyeuse, avec sa basse slappée et ses riffs enjoués, même si le propos devient plus noir et rageur. Je verrai bien Last Quarter investir une certaine Temple à un certain festival, l’esprit est en tout les cas là.

DIRTY VELVET: Far beyond the moon

Suisse, Doom (Fastball music, 2023)

Un œil qui semble à la fois saigner et regarder un univers qui ressemble à un écran de télé… C’est la pochette assez peu attirante que nous proposent les Suisses de Dirty Velvet pour illustrer leur premier album Far beyond the moon. Suisse? Krokus? Gotthard? Que nenni! Formé à Lausanne en 2019, le quatuor, après répétitions et quelques concerts à domicile, décide de se lancer dans l’aventure d’un album en fin 2022. C’est ce premier essai qui déboule aujourd’hui et nous présente une formation au son brut, aux compositions organiques, aux influences plus que vintage. On repart à la fin des années 60 et au cœur des 70’s. Moon, le premier morceau – pas un hasard s’il s’agit du premier, une invitation à aller largement au delà comme le titre de l’album – évoque immanquablement Black Sabbath, tant par ses riffs et rythmes lents, lourds et oppressants que par le chant plaintif et torturé. D’ailleurs, comme les fondateurs du genre, Dirty Velvet, c’est 4 musiciens: Sly Cuts à la guitare, Katy au chant, Garry à la basse et Gyles à la batterie. Quatre musiciens, une formule simple qui a fait ses preuves. Et même si le chant anglais est perfectible, les tripes de ce disques font mouche. Dirty Velvet puise son inspiration bien au delà du groupe de Tony Iommi. Sa musique, tout au long des 10 chansons évoque tour à tour Candlemass (ok, facile, les dignes héritiers du Sab’) que Blue Oyster Cult (Another reality me rappelle sur quelques plans un certain Astronomy) ou encore Pink Floyd. Même le son est quelque peu old school, ce qui participe pleinement au charme de ce premier album plus que réussi. Heavy, plaintif, psychédélique, hypnotique, aérien… il y a beaucoup à découvrir sur ce Far beyond the moon, premier essai réussi de Dirty Velvet.

 

CLEGANE: White of the eye

France, doom black (Almost famous, 2022)

Etrange CD que celui-ci. Arrivé dans une pochette en dentelle bourrée d’étoiles genre décoration de table, ce disque est aussi sombre que sa pochette est froide. Clegane, formé en 2015 nous propose son 3ème enregistrement (un Ep en 2017, un premier album, Funeral at sea, en 2018, sans compter un split cette même année), White of the eye, composé de 5 titres pour une durée totale de 42′. Clairement, le groupe sombre dans le doom le plus lourd et lent qui soit, y ajoutant quelques parties vocales plus black. L’ensemble est lent, lourd et oppressant, évoque par instant les inventeurs du genre Black Sabbath mais aussi Candlemass, incontournable ou d’autres encore. pour le moins inquiétant, le tout est cependant atténué par un chant souvent doux, et des échappées presque lumineuses. Bref, un disque pas toujours évident mais un disque qui a le mérite d’interpeller, d’intriguer et d’attirer. un groupe qui pourrait aisément se produire vous savez où sous Temple. Clegane, dont le nom semble bien emprunté à l’une des familles de Game of thrones – ce qui est confirmé par la pochette de ce disque, un flocon de neige qui évoque « Winter is coming », est une formation à suivre.

GONEZILLA: Aurore

France, Doom (Autoproduction, 2022)

Gonezilla a été formé à Lyon en 2011 et vient de sortir son second album, Aurore. Comme nous l’explique Julien, le guitariste fondateur du groupe, après avoir débuté en tant que « groupe de reprises, on s’est décidé à composer avec le line-up historique, dans un style non encore défini mais avec le chant en français, ce qui est un incontournable chez nous. Quand on a entamé la composition de ce second album, il y a eu un changement important de line-up avec l’arrivée de Karen, notre chanteuse qui vit sur Paris, et un nouveau batteur, également à Paris. » Aurore est en effet marqué par ce chant français dans un style désormais définit : « un univers plus doom, plus affirmé aussi. » Doom, le mot est lâché. Un doom à ne pas mettre dans les mains d’un dépressif tant l’ensemble est lent, lourd et sombre.  Il rit : « la notion de doom, en effet, ne s’applique pas forcément de la même manière à tout le monde… Il y a de la mélancolie, de la noirceur, mais ne va pas croire qu’on ne va jamais à la plage ! On aime ça, aussi ! L’univers doom peut être parfois caricaturé, même si ce qui le caractérise ce sont des univers sombres, des paroles mélancoliques, un tempo assez lent, mais, pour autant, on peut y trouver de l’énergie. On n’est pas là pour faire pleurer les gens mais pour partager quelque chose ». Comme souvent, le chant double apporte une forme de relief entre clarté et agressivité. Je reste étonné par la pochette, une représentation de Narcisse (une œuvre de John William Waterhouse datant de 1903) qui évoque la mélancolie de l’amour autocentré : « ce tableau colle aussi au thème de la mythologie grecque qui nous intéresse, ce rapport philosophique à l’homme, il y a un rapport entre l’analogie des textes et l’allégorie de notre condition même. Et comme tu le dis, ce double chant, on n’est pas les premiers à le faire, ce concept « la belle et la bête », mais on aime ça, on assume complètement ». Tant mieux, et heureusement que le groupe assume ce qu’il crée ! Si six années séparent Aurore de son prédécesseur, Chimères, Julien, malgré les années Covid, voit cette période comme un passage à une professionnalisation du groupe qui, de fait, devient une priorité dans la conception des morceaux, l’approche de la scène et des outils de communication. Des onze titres que comporte l’album, le guitariste estime que l’identité musicale est définie par « Les couleurs de la nuit – qui va de pair avec le dernier, Outre monde, une entrée et une sortie. Mais Les couleurs de la nuit a du contraste, des nappes de claviers, un peu de guitares lead. C’est ce qui représenterait le mieux ce que nous sommes aujourd’hui. Mais les références mythologiques sont omni présentes, même si on ne parle pas de Narcisse à proprement parler, on garde ce regard sur l’humain et la mythologie grecque ». Si l’ensemble de l’album est lourd, Aurore n’est pas facile d’accès. Il faut plusieurs écoutes pour se l’approprier – ou pas en fonction de son état d’esprit. Un album pour personnes averties, à ne pas mettre entre toutes les oreilles…

 

Propos de Julien (guitare) recueillis le 28 avril 2020 au téléphone

 

DRUIDS OF THE GUE CHARETTE: Talking to the moon

Doom/Stoner, France (Beast records, 2020)

Attention, ami! Si tu n’es pas du genre curieux et ouvert d’esprit, alors passe ton chemin. Car Druids Of The Gué Charette, groupe breton biberoné à l’extrait de dolmen et élevé à la fumée de menhir, nous invite à une expérience sonore qui se situe entre voyage initiatique et rituel spatio-temporel. Ou l’inverse. Le style de ce nouvel album, Talking to the moon, est difficile à décrire, perdu entre Hakwind et Black Sabbath, Candlemass et The Bottle Doom Lazy Band. La lourdeur du propos se mêle à des sonorités spatiales telles qu’imaginées au début de la SF – réverbération et écho à l’envi des notes synthétiques et métalliques. Si l’on omet le plus gros défaut de cet effort – le chant anglais de Reverend Drope est à revoir – les druides nous proposent une oeuvre intrigante voire fascinante qui nous emmène sur les pas de Merlin voyageant autant en forêt de Brocéliande qu’à travers les âges et le temps. Pour peu que l’on se laisse emporter, on se retrouve dans une forme de transe méditationnelle. Peut-être pourrions nous, nous aussi, commencer à parler à la lune, si notre initiation peut aboutir.