Interview ANVIL. Entretien avec Lips (chant, guitare). Propos recueillis au Trabendo de Paris le 25 février 2018
Jamais trop tard pour bien faire, dit-on? Ben tant mieux, car bien c’est au mois de février que cet entretien avec le furieux leader d’Anvil a eu lieu. Pounding the pavement est encore chaud, alors retrouvons Anvil en interview avec un Lips en pleine forme juste avant de rencontrer, pour la toute première fois de l’histoire du groupe, son public parisien!
Metal-Eyes :Lips, merci de me recevoir jsute avant votre concert de ce soir. Nous allons parler de votre album, de scène et de Anvil, naturellement ! Pounding the pavement est sorti il y a un mois. Quels sont les premiers retours que tu en as ?
Lips : J’en sais rien ! Comment le pourrais-je ?
Metal-Eyes :En lisant les critiques….
Lips : Je ne lis pas la presse ! La presse ne signifie rien pour moi, absolument rien ! ça a toujours été comme ça ! depuis 40, ça ne veut absolument rien dire, ça n’a jamais rien changé, et il en sera sans doute toujours ainsi !
Metal-Eyes : Le titre de votre album peut avoir plusieurs significations…
Lips : Hein ?
Metal-Eyes : Oui, en français, « battre le pavé » peut aussi faire référence aux prostituées qui arpentent le trottoir…
Lips : Non, non ! Faire le trottoir ? Non, fuck ! C’est incroyable ce que les gens peuvent avoir l’esprit tordu ! C’est tellement à côté de la plaque, je ne peux pas le croire ! Aw ! « Battre le pavé » signifie simplement que tu vas chercher du boulot. C’est aussi simple que ça ! C’est ce que ça veut dire, je ne sais pas où tu es allé chercher cette idée… Quoi ?
Metal-Eyes : Ben, c’est aussi ce que font certaines, arpenter les rues pour bosser…
Lips : Ce que ça veut dire, c’est comme le VRP qui vend des aspirateurs au porte à porte. Tu vas de porte en porte pour essayer de vendre ton truc. C’est en gros ce que nous faisons, on le fait depuis 40, du porte à porte, de club en club, de ville en ville, tenter de convaincre les gens que nous sommes suffisamment bons pour qu’ils achètent nos CD, t-shirts et pour qu’ils viennent à nos concerts.
Metal-Eyes : Anvil a toujours été considéré comme un porte-parole du heavy metal classique, voire du speed metal, mais les temps ont changés en 40 ans. Alors, sans refaire l’histoire du groupe, quelle a été votre évolution entre vos deux derniers albums.
Lips : Un grand cycle… On a commencé en n’ayant pas idée de ce qu’on faisait, on a fait un paquet de découverte accidentellement exprès, avons développé un public, pas reconnu ce que nous avions créé… Des membres du groupes ont perdu de vue qui et ce que nous sommes, ont créé des tensions, sont partis, ne laissant que Robb (Reiner, batterie) et moi. Tu sais, notre guitariste originel a voulu s’approprier le crédit de « l’importance » qu’avait pris le groupe sur les 3 premiers albums sans pour autant prendre une once de responsabilité d’avoir tout foutu en l’air… Les bonnes choses mais pas les mauvaises ! Tu as le choix entre bosser avec Johnny Z., le patron de Megaforce, ou avec David Krebs, qui s’occupait de Scorpions, Aerosmith… Eh bien, tu ne vas pas t’acoquiner de ce genre de type qui s’occupe de Scorpions ou Aerosmith si tu fait du heavy metal ! Ce mec ne savait même pas qui diable nous étions. Tu te retrouves sur scène à jouer 666 et le mec vient te voir en disant « vous n’allez nulle part avec ça ! » Maintenant, 40 ans plus tard, devine quelle chanson a servi dans le film qui a fait un carton (The story of Anvil, 2008) ? 666 ! Ouais, on va nulle part avec ça ! Le guitariste à l’époque… on devait écouter tout ce qu’il disait : il nous a mis sur des dates avec Bryan Adams et Aerosmith, nous dit « voilà ce qu’on doit devenir » Hein ? Quoi ? A ce même moment, Johnny Z. prend des paris en signant Metallica, Anthrax, Testament et tous ces groupes de metal ! Il voulait signer Anvil, mais Dave ne voulait pas bosser avec lui ! Il a quitté le groupe, mais avant ça, a tout saboté. On a pu jouer avec Aerosmith devant des responsables de label, et le mec se défonçait sur cette putain de cocaïne, l’alcool, baisait n’importe où et… s’est planté en foutant en l’air toutes nos opportunités. Mais ça, il n’en assume rien ! Maintenant, on fait ce qu’on souhaite faire ! C’est pour ça que je parle de cycles : aujourd’hui, je sais exactement ce qu’on doit faire et avec qui le faire !
Metal-Eyes : Mais tu es toujours resté le même ?
Lips : Oui, et maintenant, en gros, on continue dans l’esprit dans lequel nous avons débuté, et on fonce. C’est ce que je fais !
Metal-Eyes : En 1983, Anvil connaissait une popularité similaire à celle de Metallica. Comment expliques-tu ces succès opposés par la suite ?
Lips : Parce que, entre 1983 et 1987, il n’y avait pas de disque ! Au moment le plus important de notre carrière, lorsque nous devrions proposer de nouveaux disques, partir en tournée, on fait quoi ? On reste assis et on ne fait rien ! On fait quoi ? On prépare un disque qui n’aurait jamais dû arriver. Et au moment où sort cet album, ce n’est pas le bon type de disque ! On peut toujours voir les choses avec du recul : ce qu’on aurait dû faire, c’est se séparer de cette mauvaise graine (Dave Allison), et si nous voulions avoir un second guitariste, aller chercher quelqu’un comme Marty Friedman, ou avoir un second lead guitariste comme nous l’avions fait pour l’album Worth the weight, et sortir ce disque au lieu de Strength of steel !
Metal-Eyes :Strength of steel, c’était votre choix ou vous avez subi l’influence de gens extériers?
Lips : On a été influencés ! Par David Krebs, et par Dave Allison qui a tout foutu en l’air ! C’était contre ma volonté… Tout était contre moi, j’avais à faire face à une mutinerie. Et j’avais le choix entre partir – ce que mon premier label m’encourageait à faire : « barre toi et monte un nouveau groupe » ! – ou continuer et sombrer avec le navire. Eh bien, j’ai sombré avec le navire !
Metal-Eyes : Parce que tu en es le capitaine.
Lips : J’en suis le capitaine et… Que pouvais-je faire? Je les ai laissés monter à bord.
Metal-Eyes : Tu as sombré avec le navire, cependant, tu n’a jamais fait machine arrière.
Lips : Non!
Metal-Eyes: En 2008, il y a eu le film The story of Anvil. Ressentez-vous encore les effets que ce film a eu sur votre carrière ?
Lips : Oh, bien sûr… Tu vois, ça fait partie d’un tout. Quand tout a merdé dans les années 80, je me suis dit que je continuais, que je savais ce que je devais faire et comment le faire. Je me disais qu’un jour, un de mes fans allait grandir, devenir un responsable de maisons de disques ou quelque chose, et que j’allais enfin signer un contrat, que tout irait mieux, plus tard. C’est ainsi que je voyais les choses. Je sais que je suis un bon, très bon compositeur, je savais ce que j’avais en moi, ce que j’ai créé, ce qui est à moi que personne ne peut avoir : ma voix, mon jeu de guitare, tout cela est vraiment unique et, au bout du compte, ce sera reconnu. Si je travaille suffisamment et que j’en suis vraiment convaincu, c’est ce qui se passera ! Je raconte tout ça à Johnny Z. sur un parking et il me dit que je suis complètement dingue. « On cherche d’autres gars et on met le feu maintenant ! » Mais je ne pouvais le faire à ce moment, il fallait que je laisse toute cette tension retomber. Finalement, ce gamin qu’on a rencontré en 1992 au Marquee de Londres devient… scénariste pour Steven Spielberg. 25 ans plus tard, il revient dans ma vie et me dit « je vais faire un film ! » Moi ? « Bingo !Voilà le gars que j’attendais!” Ce que je disais à Johnny Z. s’est produit ! Et pas seulement ça, mais ce gars est allé voir Johnny Z., lui a parlé et Johnny Z. est dans ce putain de film ! Tout arrive pour une raison… Le film a-t-il eu un impact ? Oui, je le savais, même avant qu’il ne soit tourné ! Aussitôt que le réalisateur a dit – et on ne parle pas d’un rigolo avec une caméra vidéo, on parle d’un mec qui travaille à Hollywood ! – dès qu’il a dit on le fait, je savais que mon moment était enfin arrivé ! ce qui est triste en revanche, c’est le fait que les gens sont stupides, le grand public est vraiment stupide : ils viennent nous dire que la seule raison pour laquelle on est célèbres c’est le film… Allons ! La raison pour laquelle je suis connu, c’est la musique ! Il n’y aurait jamais eu de film s’il n’y avait pas d’abord eu la musique ! C’est clair, non ? Mais c’est facile à oublier parce que les gens oublient le passé, ils ne voient que le présent… Et ils ne regardent pas plus loin que ça ! Maintenant… après le film, le groupe serait mort sur place s’il n’avait pas de crédibilité. Si nous n’étions pas un bon groupe, notre histoire serait morte aussi rapidement que le film est arrivé. Mais ce n’est pas le cas. Nous sommes sortis, avons tourné et battu le pavé comme jamais nous ne l’avions fait de nos vie ! Le groupe est aujourd’hui 10 fois plus important qu’il ne l’a jamais été, même au plus haut des années 80 ! Ce qui est génial pour moi ! Ça ne pouvait tomber à un meilleur moment, dans le sens où… je ne peux plus aller bosser comme livreur, c’est fini, mon dos est flingué, je ne peux plus faire ce genre de boulot ! j’en ai fini avec ces boulots, mais ce avec quoi je n’ai pas fini, c’est le rock n roll. Tu n’en finis jamais ! Tu le fais, jusqu’à ta mort ! Maintenant, je finis par faire ce que j’étais supposé faire. J’ai dû emprunter cette route difficile – qui n’était pas si difficile… Ce qu’elle m’a apporté ? Une famille, ma propre maison, la sécurité pour le reste de ma putain de vie. Il y a des musiciens qui peuvent travailler une vie entière sans jamais rien obtenir ; J’ai tout obtenu, alors il n’y a aucune amertume.
Metal-Eyes : Je n’entends aucune amertume…
Lips : Non, non… Je veux simplement que le message soit clair : le groupe ne s’est pas planté parce qu’on était mauvais, le groupe s’est planté parce qu’on s’est fait baiser. Baisés comment ? Venons-y : en 1982, Attic records a vendu nos droits à un label français, je ne sais plus lequel. Ils ont pressé, piraté, des centaines de milliers de picture discs de Hard and heavy et Metal on metal, les ont distribués à travers la planète sans nous verser un putain de centime ! Anvil a vendu des centaines de milliers d’albums qui n’ont jamais été comptabilisés.
Metal-Eyes : C’est vraiment l’histoire d’Anvil…
Lips : Oui, et personne ne peut dire qu’on pue et qu’on n’a jamais rien vendu, rien de tout ça n’est vrai. Ce sont des faits !
Metal-Eyes : Comment expliques-tu le fait de n’avoir que rarement joué en France, et jamais à Paris ?
Lips : Peut-être qu’il y a un rapport avec ces bootlegs ? Peut-être que les gens dans ce business, ici, en France, sont des branleurs malhonnêtes…J’en sais rien, pour tout te dire. Mais j’ai une punaise dans les fesses qui me gêne, et qui m’a gêné pendant des années : on a signé des dates un bon nombre de fois, et elles ont été annulées. Pourquoi ? Je n’en sais rien.
Metal-Eyes : Mais ce soir, vous êtes ici…
Lips : Nous sommes ici, j’en suis reconnaissant et super content, et je vais donner au public ce qu’il est venu : un spectacle que personne ne sera prêt d’oublier ! C’est ce qui va se passer ! (rires)
Metal-Eyes : Il y a deux ans, vous étiez censés jouer à Paris, mais encore une fois, ça a été annulé, mais pas la date de Lyon… Tu te souviens de la raison de l’annulation…
Lips : Non… Il y a toujours une raison, mais on ne me la donne jamais. En 1983, on devait déjà jouer au Moulin Rouge avec Overkill… Ça avait aussi été annulé ! Je ne sais pas si on déjà joué à Paris ! En 1982, on devait ouvrir pour Accept ! La veille du concert, un des gars d’Accept est tombé de scène et s’est cassé la jambe ! Ce concert aussi a été annulé ! Malchance, j’en sais rien !
Metal-Eyes : Tu a vécu beaucoup de choses avec Anvil, quels sont encore tes rêves de réalisation avec Anvil ?
Lips : Il ne s’agit pas de savoir ce dont je peux rêver ; tous mes rêves sont devenus réalité, tout ce que je voulais est arrivé. Si je meurs demain, ça roule. Ma place est un bon endroit, j’adore ce que je fais et je profite de chaque instant de ma vie, à 100%.
Metal-Eyes : Si tu devais choisir une chanson de votre dernier album pour expliquer aux gens ce qu’est Anvil aujourd’hui, ce serait laquelle ?
Lips: Doing what I want !
Metal-Eyes : Pour quelle raison ?
Lips : Parce que je fais ce que je veux ! (rires)