Fast Eddie, le guitariste avec lequel Motörhead est devenu une légende est décédé dans la nuit du 10 janvier 2018 des suites d’une pneumonie. Après Philthy Animal Taylor (décédé le 11 novembre 2015) et Lemmy (le 28 décembre 2015), c’est le dernier membre du Motörhead légendaire qui disparaît. Cet article est mon hommage à ce guitariste d’exception, ainsi qu’au groupe que fut ce Motörhead, bviereux et dangereux au possible.
Motörhead est à la musique ce que son fondateur était à la médecine : une énigme. En quatre décennies d’existence, Motörhead a connu tant de revers, de trahisons, de coups bas, d’incompréhension, de changements de line-up, s’est retrouvé à la rue on ne sait combien de fois… que le groupe aurait dû, s’il y avait une réelle logique aux choses, disparaître depuis bien longtemps. La vie en a décidé autrement.
1975. Ian Fraser Kilminster, alias Lemmy, retrouve sa terre natale anglaise après s’être fait éjecter de Hawkwind pour possession de drogues (« des mauvaises drogues », dira-t-il plus tard) lors d’un contrôle douanier à la frontière canadienne. Il en faut plus pour démotiver l’ancien roadie de Jimi Hendrix qui décide de monter son propre groupe, qu’il souhaite d’abord appeler Bastards. Mais un management avisé le persuade qu’avec un tel patronyme, Lemmy ne passera jamais à Top Of The Pops. Le bassiste/chanteur choisi alors le nom de la dernière chanson qu’il a écrite pour Hawkwind : Motörhead. Le groupe est alors composé, outre son fondateur, du guitariste Larry Wallis et du batteur Lucas Fox, le trio étant managé Dave Edmunds.
Ce dernier s’attèle à la promotion de son nouveau poulain et parvient à faire entrer Motörhead dans l’écurie de United Artists. Le trio entre alors en studio pour enregistrer son premier album qui ne satisfait pas le label, United décidant de ne pas commercialiser On Parole. La carrière de Motörhead commence mal, d’autant plus que Lucas Fox se fait virer pendant les sessions d’enregistrement et se voit remplacé par Phil Taylor, bientôt surnommé « Philthy Animal » Taylor.
Le groupe répète intensément et Lemmy pense qu’un second guitariste est nécessaire. Eddie Clarke – ou Fast Eddie, né 5 octobre 1950 à Twickenham – entre en scène en 1976 au grand dam de Larry Wallis qui décide de retrouver sa liberté. L’efficacité du dernier arrivé est telle que Motörhead demeurera un trio.
En 1977, les choses n’avancent pas. Alors que le trio est au bord de l’implosion à cause du manque évident de succès de leur entreprise, les musiciens profitent de deux journées dans un studio pour jeter les bases de onze morceaux qui tous se trouveront sur le premier album officiel de Motörhead que le label Chiswick commercialise au mois de septembre. Illustré par un certain Joe Pentagno qui crée War-Pig, le célèbre monstre qui suivra à jamais Motörhead, ce premier album démontre simplement que la rage est là, teintée de ce Blues dont jamais Lemmy ne se départira. Le public est sous le choc de la puissance de l’ensemble. Comment un trio peut-il atteindre ce niveau de violence ? Sous le choc aussi de cette voix née de la rencontre d’une râpe à fromage et de papier de verre. Le résultat, c’est la vigueur de Motörhead, le blues de la reprise Train kept a rollin, le prémonitoire White line fever ou Iron horse/Born to lose. L’album atteint bientôt la 43ème place des charts, pourtant Motörhead décide de mettre un terme à sa collaboration avec Chiswick .
L’arrivée de Douglas Smith comme manager de Motörhead en 1978 marque un véritable tournant dans la carrière du groupe qui se professionnalise vraiment. La première tâche à laquelle s’attelle Smith est simple : trouver un foyer pour son groupe. Motörhead signe alors avec le label Bronze, entame une tournée anglaise de 18 dates, et savoure un premier passage à Top Of The Pops. Puis il est temps de proposer du concret aux fans. Le trio retourne en studio alors que le monde vit sous le joug du punk depuis bientôt deux ans. Mais la brutalité et la spontanéité de Motörhead parvient, comme l’a démontré la tournée, à réunir tout type de public, du simple hardos qui commence à ressortir au skinhead en passant par le punk ou le mod’s. Des jeunes à la recherche de virilité et de décibels.
Overkill parait en mars 1979. Le choc est réel. Dès l’introduction à la double grosse caisse du morceau éponyme, le public et les médias savent que le Rock est en train de vivre un grand moment. Sale, violent, puant la transpiration, la bière tiède et les cendres froides, Overkill , grâce à une collection d’hymnes intemporels (Stay clean, I’ll be your sister, No class, Tear ya down, Metropolis, Capricorn…) permet à Motörhead d’élargir son public à travers l’Europe. Soutenu par deux singles, l’album monte à la 24ème place des charts. Bronze se frotte les mains. A peine Motörhead a-t-il le temps de souffler que le label renvoie les musiciens en studio au mois de juillet. Il faut battre le fer tant qu’il est chaud…
Dès le mois d’octobre, le public retrouve le nouveau groupe le plus dangereux du monde grâce à Bomber qui grimpe à la 12ème place. Oui, trois petits mois auront suffit pour concevoir cet album, qui malgré son succès et malgré la puissance de morceaux comme Dead man tell no tales ou l’éponyme Bomber semble très légèrement moins inspiré que son prédécesseur. Si l’esprit rock direct est partout présent, si Motörhead cherche un peu à se renouveler, une certaine lassitude semble s’installer. Cela transparait avec Lawman ou l’inquiétant Sweet revenge, titres lents et lourds mais joués sans réelle conviction. Pourtant, le succès commence à attiser les convoitises… Rappelez-vous : United Artists avait refusé de sortir On parole en 1976. Trois ans plus tard, le label n’hésite pas à le faire.
Motörhead n’a pas le temps de s’inquiéter de l’accueil reçu par Bomber ; déjà le trio part en tournée pour conquérir le continent en compagnie de Saxon (onze dates en Hollande, Allemagne et France) tandis que le Royaume-Uni commence à céder aux coups de boutoirs de ce phénomène que l’on nommera bientôt la New Wave Of British Heavy Metal. Nous sommes en 1980 et le monde du Rock connait une nouvelle mutation. Motörhead en tirera largement profit, comme le démontre l’énorme succès rencontré par Ace Of Spades qui parait en novembre. Cette fois, point de faiblesse. Motörhead signe l’album parfait de Rock sur lequel rien n’est à jeter… Produit par Vic Maile, rendant hommage aux hommes de l’ombre (We Are The Road Crew), parlant des plaisirs de la vie (Ace Of Spades, The Chase Is Better Than The Catch, Love Me Like A Reptile…) Ace Of Spades est bientôt certifié disque d’or, et entre dans le cercle fermé des indispensables classiques du genre.
Motörhead repart sur les routes. Sillonnant sa terre natale, le trio enregistre ici et là ce qui deviendra son premier album live. Mais avant, Lemmy and Co. s’offrent un petit plaisir et enregistrent un maxi single de trois titres avec les nouvelles copines de Girlschool. St Valentine’s day massacre est propulsé n°5, confirmant le capital sympathie acquis par le trio. Tout va pour le mieux, et avant de s’envoler pour le nouveau continent (vaste territoire qui reste encore à conquérir, les disques de Motörhead n’y étant pas distribués) afin d’ouvrir pour Ozzy Osbourne, Motörhead savoure le plaisir des sommets du podium. No sleep ‘til hammersmith est le parfait témoignage de l’efficacité dévastatrice de Motörhead face à son public au début des années 80. Enregistrés sur plusieurs dates au cours de sa dernière tournée en date, les 11 morceaux figurant sur cet album démontrent que Motörhead n’a pas usurpé son titre de groupe le plus dangereux du monde. Et ce groupe se hisse à la première place des charts ! Plutôt bien pour une formation qui était au bord de l’implosion quatre petites années auparavant, non ?
Un tel succès ne se mérite qu’à force de travail et d’implication. La tournée ne s’est pas passée sans heurts, Eddie et Phithy se battant régulièrement. Lorsque sonne de nouveau l’heure d’enregistrer, il y a de réelles tensions au sein du groupe qui décide de produire lui-même son futur album. Fast Eddie est donc en charge de donner forme au son de Iron fist. Le guitariste verra plus tard dans ce choix l’existence d’un piège destiné à trouver une raison pour le remplacer. Car, oui, Iron fist ne satisfait pas autant les fans lors de sa sortie en avril 1982. Sans être désastreux, les retours sont mitigés. Certes, des morceaux comme Iron fist, Loser ou (Don’t need) Religion sont du pur Motörhead . Mais l’ensemble pêche par manque de dynamisme sonore sans doute. Le 14 mai, Fast Eddie quitte Lemmyet Philthy, et part fonder, en compagnie de Pete Way (bassiste de UFO) Fastway.
Rapidement, les gaillards sont en désaccord, et le bassiste fonde son propre groupe, Waysted. Fast Eddie s’entoure d’une fine équipe et enregistre un premier album, un Fastway remarquable et remarqué et à l’opposé de Motörhead. L’album lorgne plus du côté des Led Zeppelin que de la brutalité lemmyesque. Malgré toutes ses qualités, et malgré le fait que Fastway vende plus que Motörhead ne l’a jamais fait jsuqu’alors aux USA, le disque ne parvient pas à devenir disque d’or: « seulement » 400.000 exemplaires sont vendus. Chiffre qui encourage le groupe à continuer.
C’est confiant que Fastway réintègre les studio afin d’y accoucher de l’excellent Waiting for the roar. Le groupe est en forme et cela se ressent sur chacun des morceaux de l’album qui peine cependant à séduire les acheteurs. Pas grave, c’est aussi ça le rock. Mais mal conseillé ou mal inspiré, Fastway va voir le public déserter par la suite à cause de choix aventureux et pas forcément judicieux.