Interview SORTILEGE. Entretien avec Christian « Zouille » Augustin (chant) et Olivier Spitzer (guitare). Propos recueillis au Crick Fest 3 de Cléry Saint André (45) le 13 avril 2024
Depuis le retour de Sortilège, avec tous les changements qu’il y a eu, il y a un engouement réel, une explosion d’intérêt pour Sortilège. Comment le vivez-vous ?
Zouille : « L’explosion », elle vient déjà du fait que le line-up a changé, et je pense que c’est bon pour le groupe. Le fait qu’on se trouve maintenant dans un groupe où il y a une vraie cohésion, une vraie fraternité et une bonne ambiance… ça change tout. A partir de là, on est tous dans le même bateau et on veut tous aller là où on voudrait aller, ensemble. On a aussi eu un peu de chance : il y a des gens qui nous ont vus, se sont occupés de nous, et on a aussi beaucoup, beaucoup travaillé. Et ça donne le résultat que tu vas entendre ce soir, ou que tu as déjà entendu. Il y a une nette différence entre les concerts qu’on faisait il y a un an et maintenant.
Olivier : La cohérence et la cohésion.
Pour toi, Zouille, c’est un peu le line-up de rêves ?
Zouille : Oui, oui, c’est la dream team pour moi ! J’ai beau faire tous les rapprochements avec les line-ups… Même le line-up de reprise qui était un peu brinquebalant…
Dans quel sens ?
Zouille : C’est-à-dire que la « reprise » s’est faite avec des gens que j’avais laissés il y a 35 ans. Il y avait déjà des problèmes et on se retrouve, 35 ou 40 ans après avec les mêmes problèmes ! On ne s’entendait pas à l’époque pour X raison, il y avait une sorte de jalousie, et surtout, ils ont des melons comme ça… Moi, des gens comme ça, ça ne m’intéresse pas. Je préfère les gens simples avec qui tu peux discuter, échanger, sans qu’il y ait une engueulade au bout de trois minutes.
Ce qui est dommage, surtout au regard de ce qu’est Sortilège par rapport au metal français aujourd’hui…
Zouille : Oui, c’est dommage, mais je pense qu’il fallait en passer par là pour avoir le résultat d’aujourd’hui.
Et pour toi, Olivier, est-ce que ce line-up de Sortilège est un peu celui dont tu aurais pu rêver avec Stators dans les années 80 ?
Olivier : Non, parce que chaque situation est unique. Ce line-up, il correspond à ce qu’il faut. Dans Stators, j’avais d’autres problèmes, c’est pas la peine d’en parler, c’est trop vieux… Mais, comme je le disais, c’est une histoire de cohésion. Il ne faut pas forcément les meilleurs joueurs pour faire la meilleure équipe, mais on prend ceux qui s’entendent le mieux et qui vont être les plus cohérents ensemble. Comme dans le sport.
Ce qu’on constate dans cet engouement, ce sont des concerts et des publications : Vauréal en janvier 2023, un autre en janvier dernier, je crois, Apocalypso en 2023, un live qui retrace le premier Vauréal, un autre limité qui vient de sortir hier… Vous n’avez pas peur d’inonder le marché avec toutes ces nouveautés ?
Olivier : Non, parce qu’il y a une demande ! On nous a demandé de sortir les morceaux supplémentaires du premier live qui manquaient et qui avaient été coupés pour des raisons d’image. Il fallait enlever 5 morceaux. Mais comme on avait bossé de manière globale sur le répertoire de Vauréal, il restait ces 5 morceaux qu’on a pu sortir avec le vinyle.
Donc ces nouveaux titres sont ceux qui manquent au concert du 27 janvier 2023…
Zouille : avec ceux du Hellfest.
Olivier : C’est-à-dire que les morceaux qui ne sont pas sur le CD ont été joués au Hellfest : D’ailleurs, Délire d’un fou et Marchand d’homme, par exemple – je ne me souviens plus des cinq… On les avait mis sur le DVD du Hellfest (NdMP : aucune idée de ce qu’est ce DVD, si quelqu’un peut m’éclairer…), mais pas sur le CD de Vauréal. Donc ce 33 tours, ce sont ces morceaux de Vauréal, plus un enregistré au Hellfest. Ce disque, il est limité à 1000 exemplaires, uniquement pour les fans. C’est la première fois qu’on sort quelque chose que pour les fans, d’ailleurs…
Il y a un autre concert dont je voudrais qu’on parle, c’est celui du Bataclan en octobre dernier… Comment avez-vous vécu ce concert ? Je m’explique : j’ai l’impression que l’affiche a été inversée et qu’il y a eu une erreur de communication (ils approuvent). Les fans présents semblaient être venus plus pour Stratovarius que pour Sortilège. Or, Sortilège était en tête d’affiche et, du balcon, je pouvais voir une désertion du public. Vous vous en rendiez compte, vous, depuis la scène ?
Tous deux : Oui, oui, oui…
Zouille : C’était pas énorme, non plus (NdMP : les bacons pleins se sont quand même retrouvés à moitié vides…) Le vrai problème, ça a été la communication : on n’est pas passés en tête d’affiche. On avait chacun le même temps de jeu. Pour tout te dire, Stratovarius, qui jouait avant nous, a eu des problèmes techniques. Ils ont commencé à jouer plus tard que prévu et ils ont raccourci leur setlist pour qu’on puisse commencer à l’heure. Les mecs, c’est des pros. Ce qui était convenu, c’est ça ; il y avait trois groupes, et, voilà, on a joué en dernier. Je ne sais pas si ça a été tiré au sort ou comment ça a été choisi…
Olivier : Non, non, ça a tété une volonté de la production de nous faire jouer en dernier. Ça devait attirer le public de Sortilège sur une date parisienne unique en 2023, et clairement, il y avait besoin d’un troisième groupe, comme nous, pour remplir le Bataclan. J’imagine que si Stratovarius et Sonata Arctica avait pu le faire sans nous, il l’aurait fait, sans nous, comme ils l’ont fait sur le reste de la tournée européenne. Il y avait peut-être un peu trop d’ambition sur la capacité du Bataclan, mais ça nous arrangeait bien puisqu’on n’aurait pas pu remplir le Bataclan seuls. Donc là, ça arrangeait tous les groupes puisque la salle était pleine, mais certains dans le public n’ont pas compris puisqu’il y a eu un problème de communication…
La disposition sur l’affiche était assez perturbante, aussi…
Zouille : Tout à fait, et on l’a dit… « Pourquoi nous mettre là ? On devait jouer en premier, on se retrouve en dernier… » Ça n’a jamais été clair, et même à la fin, on nous a dit qu’on jouait en dernier…
Même le chanteur de Stratovarius semblait confus quand il a dit vouloir jouer un peu plus longtemps « mais il y a un autre groupe après nous » …
Olivier : On va dire que c’était un bon compromis pour chacun des groupes, avec quelques insatisfaits, dont Sonata et Stratovarius qui, soyons clairs, n’en avaient rien à faire de Sortilège. C’est pas forcément le même public. On peut comprendre que certaines personnes du public aient été déçues. Déçues et énervées…
Ce soir, vous êtes en tête d’affiche. Qu’est-ce qui vous a amenés à signer pour cette date presque au milieu de nulle part ? Orléans n’est pas loin, mais il n’y a pas de transport autre que la voiture pour venir ici…
Zouille : C’est l’organisateur (NdMP: Chris, guitariste de Prisma et président de l’association Crick For Zik)… Il est fan de Sortilège, il voulait absolument nous avoir et on a simplement discuté, et on a dit OK. Pourtant, pour nous, ce n’est pas une date « énorme », mais on voulait le faire parce qu’on a besoin de jouer – on ne joue pas si souvent que ça – et ils sont si sympas qu’on ne pouvait que le faire.
Olivier : Ce n’est pas loin de chez nous en plus, c’est cool. Après, on joue chaque date avec autant de sérieux, en fonction de la capacité, du temps de jeu, de la taille de la salle – on rapporte plus ou moins d’effets spéciaux. Le décor de scène du Bataclan, on ne peut pas l’avoir aujourd’hui ! Tout est raisonnablement réfléchi mais chaque concert est fondamental.
En parlant de scène, on ne peut que remarquer qu’il y a aussi un vrai travail sur le look. Jusqu’il y a deux ans, vous aviez un look cuir très metal, là ça évolue, un peu dans l’esprit de la video de Vampire…
Zouille : Dandy vampire, oui. C’est dû au clip de Vampire, et puisqu’on a fait un clip avec un costume particulier, je me suis dit « pourquoi pas le reproduire sur scène ». Tout le monde m’a dit qu’il était super, classieux, que ça fait moins metalleux, alors je l’ai fait et ça m’a plu. Maintenant, on va essayer d’aller plus loin. Tu verras ce soir, j’ai toujours ma chemise à jabots…
J’espère bien le voir ce soir, je ne vais pas partir juste après l’interview ! Donc vous allez sortir de ce look tout cuir qu’on a pu remarquer, un peu comme pour Judas Priest, d’ailleurs. Puisque nous parlons de concerts, il y en a quelques-uns de prévus jusqu’à la date du Heavy Week End de Nancy. Vous avez été super excités de l’annoncer… J’ai l’impression que ça a été une sorte de libération pour vous…
Olivier : Oui, ça faisait un bout de temps qu’on savait qu’on allait le faire et que, effectivement, il fallait le feu vert pour l’annoncer. Les têtes d’affiches avaient été annoncées… Pour nous, c’est vraiment l’évènement de l’année 2024. Si quelque chose d’autre arrive, tant mieux, mais pour le moment, c’est « Ze concert » !
On parle de votre passage ? Vous n’auriez pas préféré jouer le dimanche, le même jour que Judas Priest, qui correspond un peu plus à votre style ?
Zouille : Si, bien sûr, ça correspond plus à notre musique, mais on n’a pas eu le choix… On ne peut pas dire non. Quand on te propose une telle date…
Olivier : Au début, c’était prévu comme ça, on devait jouer le même jour. Mais je crois que c’est le planning de Ayron Jones qui n’était pas dispo qui a fait qu’on a dû switcher les dates.
Zouille : A un moment, ils avaient même annoncé Europe, qui s’est désisté… ça a chamboulé complètement leur planning ce qui fait qu’on se retrouve le samedi…
Avec Pretty Maids, Megadeth et Deep Purple, ce qiu fait une belle journée, variée et éclectique (Tous deux approuvent). Toujours au sujet des concerts, vos prochaines dates sont des samedis. On le sait pertinemment, il est très difficile pour un groupe, qui plus est de rock ou de metal, de vivre de sa musique en France. Quels sont vos métiers à tous les 5 dans vos autres vies ?
Olivier : Je suis consultant en informatique de gestion. Clément est prof de batterie à Fontainebleau, Bruno est gestionnaire d’un site de cinéma à Tarbes et Sébastien fait du montage vidéo, de la prestation post video.
Zouille : Et moi, je suis coach sportif… à la retraite. Depuis un an et demi.
Donc tu profites à plein de cette retraite pour Sortilège. Parlons maintenant de musique puisque Apocalypso est sorti il y a quelques mois. Les retours ont été dans l’ensemble très bons. C’est le premier album de compositions originales puisque Phoenix était un mix entre des reprises d’anciens morceaux de Sortilège et deux nouveaux titres. Comment avez-vous abordé la composition de cet album ?
Zouille : Ça a été à la fois simple et compliqué… Déjà, il nous a fallu 18 mois pour le pondre, et on a pris des risques. Parce qu’on se demandait si le public allait bien accepter ces morceaux qui sont plus durs, comme Attila ou La parade des centaures, des morceaux plus rugueux… A côté, on a aussi donné au public du Sortilège parce qu’on fait ce genre de musique. Mais on était assez confiants.
Olivier : Et on a pris beaucoup de temps pour les maquettes et prémaquettes, on a eu beaucoup de soutien de Mehdi El Jai de la maison de disques qui nous a amenés à bien cerner le répertoire qui allait faire la continuité. C’est un mélange de ce travail d’équipe qui fait que le résultat a été apprécié.
Zouille, au niveau des textes, tu n’as pas eu trop de difficulté à renouer avec cet esprit « heroic fantasy » ?
Zouille : Non, c’’est venu tout de suite, dès que je m’y suis mis. Même au niveau de la voix, j’ai eu l’expérience de Phoenix et des 18 mois de studio, ça m’a permis de fortifier ma voix et de pouvoir chanter pratiquement le répertoire que je voulais.
Concernant les compositions, vous avez procédé comment ?
Zouille : 90% des morceaux sont réalisés par Olivier, et moi, je mets des textes et une mélodie dessus.
Olivier, tu avais des consignes, des idées ?
Olivier : J’avais plein d’idées, oui, j’avais 12 milliards d’idées !
Il a fallu faire le tri, là-dedans !
Olivier (désignant Zouille) : C’est ce qu’il fait. C’est lui qui décide si tel morceau va fonctionner ou pas. Et puis, il y a les laissés pour compte… Ce n’est pas parce qu’on croit que ça va marcher que ça marche… Pour Apocalypso, je crois qu’on a une dizaine de ratages. Ou d’évités, d’évincés, on va dire…
Zouille : Et puis, il y a les « commandes ». J’ai demandé des trucs à Olivier, je lui ai demandé un doom, parce que j’adore ça. J’aime beaucoup un groupe qui s’appelle Sorcerer, que tu connais peut-être, et je suis fan de doom. C’est comme ça qu’est né Apocalypso. J’aime bien aussi les morceaux qui pêchent, Attila et La parodie des centaures, un peu « hardcore »…
Je n’entends pas la même chose avec hardcore…
Olivier : Des mélodies metal avec l’identité Sortilège…
Zouille : Dans le prochain album, il y aura des surprises comme ça, avec des mélodies et du chant puissant. Je ne pourrais pas faire de growls, par exemple, je ne sais pas faire, c’est une technique particulière, et, pour moi, il n’y a pas de mélodie. J’ai besoin d’avoir une mélodie, besoin qu’on comprenne les textes. On raconte des histoires, il faut que les gens comprennent, qu’ils rêvent…
Olivier : Ce qui n’empêche pas d’écouter des groupes comme Messhugah, d’entendre un riff de batterie et de dire que j’ai envie d’un morceau avec ce type de batterie…
Un groupe de rock, c’est aussi la scène. Olivier, tu parlais tout à l’heure de ratage, c’est aussi « le piège » de la scène : y a-t-il des morceaux que vous allez moins jouer sur scène, ou les retirer, parce que vous vous êtes aperçu que la réaction du public n’était pas là ?
Zouille : Oui, on va moins jouer Apocalypso, par exemple. Quand tu l’écoutes, c’est un morceau extraordinaire, mais sur scène, il est moins efficace. Paradoxalement, on avait un peu évincé Derrière les portes de Babylone, on pensait qu’il n’allait pas fonctionner, mais les gens nous l’ont demandé et il marche mieux, et, sur scène, on s’éclate davantage avec un morceau comme ça. A Vauréal, on avait joué Apocalypso, au Bataclan, on a joué Derrière les portes de Babylone… On avait joué la ballade d’Apocalypso, mais on la met de côté pour l’instant parce que les gens nous demandent Délire d’un fou…
C’est difficile de faire sans Délire d’un fou… (Grand silence, Zouille et Olivier sont interpelés par le chant de Poy qui fait ses balances et vocalises sur scène) Revenons… Si vous deviez, chacun, ne retenir qu’un seul titre d’Apocalypso pour expliquer à quelqu’un qui ne vous connait pas ce qu’est Sortilège aujourd’hui, lequel serait-ce ?
Olivier : Poséidon, je pense… Il est rapide, compact et efficace. Il y a tout ce qu’il faut dedans, un riff qui va bien, une rythmique, un texte top…
Zouille : C’est difficile, il y en a plusieurs… Pour moi, le morceau le plus aboutit, c’est Apocalypso. Celui qui a demandé le plus d’arrangements, qui est le plus fantasmagorique. J’aime aussi beaucoup Vampire…
Mais si tu devais n’en retenir qu’un seul, un qui soit représentatif de l’esprit de Sortilège aujourd’hui…
Zouille : Ahhhh ! Le sacre du sorcier. Parce que c’est du vrai Sortilège : il y a de la speederie, du chant, de la mélodie, des « ohohoh » qui collent au groupe, et c’est un morceau fédérateur ! Quand on l’a fait au départ, les gens ont été surpris. Mehdi nous a dit : « il est particulier ce morceau, mais il faut le faire, ça va plaire ». Il nous a beaucoup aidé dans l’élaboration des morceaux, la suppression ou l’éviction d’autres… Il nous a beaucoup aidés, vraiment.
Quelle pourrait être la devise de Sortilège aujourd’hui ?
Zouille : On pourrait dire « n’abandonne jamais ». Sinon, on ne serait pas là aujourd’hui…
Tu parlais tout à l’heure d’un futur album. 18 mois aujourd’hui, c’est rapide, alors, il est prévu pour quand ?
Zouille : 2025. On ne peut pas dire quand, mais 2025 c’est l’échéance.
Une idée du nombre de titres ?
Olivier : On ne sait pas… On en a une vingtaine de prêts
Zouille : Presque maquettés, il ne reste qu’à trouver les textes…
Avez-vous quelque chose à rajouter pour conclure notre entretien ?
Zouille : Je veux juste remercier les fans qui font, pour certains, des kilomètres pour venir nous voir… il y a ce soir un gars qui vient de Marseille, on voit des gens qui nous suivent partout… Je ne sais pas quoi dire, c’est… trop mignon, c’est des gens qui nous aiment vraiment beaucoup, alors on les fait rentrer plus tôt pour passer du temps ensemble.
Olivier : On peut aussi parler de la soirée spéciale qui est organisée le 24 mai à Levallois Perret. Une soirée spéciale « fans », un concert gratuit. Il faut juste s’inscrire via le numéro de téléphone qu’il y a sur notre Facebook (https://www.facebook.com/SortilegeWithZouille). On prévoit quelque chose de spécial pour que ce soit un concert différent. Trois petits points…
Zouille : Il y a une double raison, aussi : c’est un concert qui est organisé par notre ancien manager, Frank, qui est aujourd’hui gérant de cette salle, et qui va terminer sa carrière. Il veut boucler la boucle avec Sortilège. C’est grâce à lui qu’on a pu faire ce qu’on a fait, les premières parties de Def Leppard, de Viva, Balard… C’est lui l’instigateur de tout ça, on n’aurait pas fait tout ça sans lui, et on ne serait sûrement pas là aujourd’hui non plus ! Donc, on lui rend hommage avec ce concert. Il y aura d’autres surprises…
Merci à Sabrina Cohen-Aielllo (Verygroup) et Marc pour l’organisation de cette interview.