Interview Malemort, entretien avec Xavier Malemort (chant). Propos recueillis au téléphone le 9 septembre 2022
Metal-Eyes : Comment se passe cette journée de promo, le jour de la sortie du troisième album de Malemort ?
Xavier Malemort : Ça se passe très bien, c’est en effet aujourd’hui que sort Château-Chimères, et c’est le jour de la promo, comme quoi, les choses sont plutôt bien faites ! C’est un peu comme une libération, on arrive à ce moment où le disque arrive au stade pour lequel il a été fait, c’est-à-dire être écouté. En plus, ces dernières années ont été compliquées pour tout le monde et pouvoir faire parler la musique, oui, c’est assez libératoire.
Nous nous étions rencontrés la première fois au Glazart, à Paris, puis lors de votre passage remarqué au Hellfest en 2018. Il y a eu beaucoup de changements au sein du groupe depuis. Que s’est-il passé pour qu’il y ait une telle implosion ? L’impact du Hellfest ?
Je ne pense pas que ce soit le Hellfest, non. C’est surtout des histoires de groupe… Un groupe, c’est des musiciens, des caractères et quand on est mis à l’épreuve des difficultés, il y a des choses qui se font et se défont. Là, ça s’est plutôt défait, donc pour la santé du groupe et surtout pour pouvoir un jour créer un troisième album, il n’y avait pas d’autre solution que de se séparer d’un certain nombre de personnes du groupe. Il reste avec moi les deux Sébastien avec qui j’avais déjà écrit Ball Trap. La base des musiciens qui ont créé l’album précédent est là. Après, c’est comme dans les couples : un groupe, c’est parfois des moments difficiles à passer et là c’était devenu indispensable. Mais pour nous tous.
Peux-tu justement présenter tes nouveaux partenaires de jeu ?
Alors… C’est très particulier… Sur cet album-là, on a décidé de ne pas avoir à nous limiter en termes d’écriture du fait du choix de tel ou tel musicien. Donc on a travaillé avec des gens qu’on connait et dont on connait le talent depuis longtemps. On a donc travaillé avec des gens qui ont une histoire avec Malemort et qui étaient très bon sur ce qu’on voulait. Aurélien Ouzoulias, par exemple, était très intéressé par la tournure que prenait cet album et Shob à la basse nous avait été chaudement recommandé, notamment par Aurélien. On avait là des partenaires de jeu hyper solides, ce qui nous a laissé carte blanche pour penser l’écriture du disque et ne pas se limiter.
Est-ce eux qu’on aperçoit sur la vidéo de Je m’en irai ?
Non, pas du tout (rires) ! Ceux que tu aperçois, ce sont deux personnes qu’on aime beaucoup et qui pourraient… On verra bien, mais en tout cas, c’est une incarnation possible live de Malemort. Il y a Romain qui est le batteur de Bukowski et Joe qui joue aussi avec Romain dans un autre groupe. On est tous du Val d’Oise, c’est toute une bande de musiciens, on se connait, on se croise depuis des années. On savait qu’ils feraient super bien l’affaire, au-delà du côté humain.
Puisqu’on parle de clip, il y a aussi le premier, Quelle sorte d’homme, où on te voit marcher seul – ou presque puisqu’il y a des accessoiristes qui sont là pour t’aider. L’idée de ce clip c’était quoi ?
L’idée était d’illustrer la vie de Michel Magne, qui est celui qui a créé le studio dans ce château d’Hérouville assez mythique et qui est un immense compositeur de musique de films, notamment. J’ai illustré ça par des allusions à des titres de films dont il avait écrit la musique. C’est beaucoup de films des années 50, 60 et début des années 70. Il y a aussi beaucoup de musique de polar, et c’est un esprit que j’ai voulu illustrer, mais avec un côté second degré. Il y a ce type qui se voit en héros de polar et que tu retrouves à la fin en train de lire un OSS 117, à moitié à poil.
Tu l’as dit, Château-Chimères est un album concept qui traite de la vie de Michel Magne qui a donc transformé ce château en studio. Qu’est-ce qui a inspiré ce concept ? Le château d’Hérouville est dans le même département que vous…
Tu ne crois pas si bien dire ! Il est à 3 km de chez moi. Quand je suis arrivé dans la région il y a une dizaine d’années, j’ai découvert l’histoire du château, ça m’a passionné et j’ai toujours senti qu’il y avait quelque chose à faire avec cette histoire. Mais en même temps, j’avais peur d’abimer les choses par une annotation maladroite, par exemple. A l’époque de Ball Trap je me posais la question de savoir si je tentais le coup, mais je ne le sentais pas. Je me suis donc laissé tenter par mon autre passion que sont les années folles.
Et là, tu t’es senti suffisamment adulte et mûr pour aborder l’histoire du château d’Hérouville…
Adulte et mûr, je ne sais pas (rires), en tout cas, artistiquement, j’ai trouvé quel angle prendre. Le problème c’est que c’est un studio dans lequel on a enregistré de la musique des années 70, qui n’est pas celle que joue Malemort. Il n’était pas questions qu’on fasse de la pale copie de la musique des années 70. J’ai donc trouvé l’idée de ces vignettes, 12 épisodes qui racontent en filigrane l’histoire du château à travers les personnalités fortes qui ont marqué son histoire, mais en fantasmant un peu tout ça, tout en faisant en sorte que l’auditeur qui n’aurait pas forcément envie de se plonger dans cette histoire – il aurait bien tort, même si ça peut se comprendre – ne soit pas obligé de le faire non plus. Tu peux très bien écouter le disque en interprétant les paroles différemment. Pour bien comprendre les paroles, il faut avoir le grimoire qui va avec.
Comment le décrirais-tu ce nouvel album ? On reconnait ta marque vocale, ton écriture. Mais comment vendrais-tu cet album à quelqu’un qui ne connait pas Malemort ?
Je lui dirais qu’on navigue entre le metal, le rock et la chanson. Pour quelqu’un qui connait déjà un peu Malemort, je lui dirais qu’on a voulu mettre dans ce disque plus de profondeur que dans le précédent. On en était très contents, mais on avait le sentiment de ne pas être totalement au bout. Là, je pense que c’est un album qui pourra résister à beaucoup d’écoutes et qui pourra distiller des saveurs pendant longtemps.
Il y a quand même de grosses différences entre Ball Trap et Château-Chimères. Comment décrirais-tu, en dehors des changements de musiciens, l’évolution de votre musique entre ces deux disques ?
Elles se lisent à plusieurs niveaux, et des choses assez paradoxales : il y a une place qui est faite à la guitare et aux soli qui est plus grande, mais on a veillé à ce que cela serve le propos. On a beaucoup plus arrangé l’ensemble, et on s’est interdit moins d’influences… Je crois qu’il y a plus d’influences variées que sur Ball Trap, on n’a pas le sentiment de se limiter. Même lorsqu’on va au-delà de ce que les gens peuvent imaginer, la production permet d’éviter un côté hétérogène. Du côté du chant, j’ai beaucoup travaillé le phrasé, des textes un peu plus concis et légers… Ça a l’air d’être une somme de détails, mais c’est un peu ça… Toi, comment tu l’as vu, comment tu l’as perçu ?
Vu… Je le vois en noir et blanc (il rit). Comment je l’ai perçu ? Comme un album très varié – encore une fois, on reconnait ton chant qui reste assez unique, et il y a une variété de morceaux comme Pyromane blues qui sont assez explosifs là où d’autres, Magnitude pop ou La garçonne, ont des airs plus funs et pop. Il y a une belle variété de styles tout en restant dans l’esprit de Malemort et cohérent.
Tu viens de le dire mieux que moi, en fait (rires) ! Tu sais, j’aime bien ces groupes qui sont capables d’avoir des propos variés sur un même disque, ça te permet de les écouter dans un état d’humeur différent. On peut parler des Beatles, de Queen. Dans les années 70, c’est fou ce qu’ils ont fait ! Les medias mainstream ont détesté Queen pendant sa carrière, mais les fans adoraient. Ils adoraient le fait que Queen puisse passer par tous ces styles, du hard rock au funk, et c’était Queen.
Revenons-en à Malemort. Pour quelle raison le château d’Hérouville est il nommé Château-Chimères sur cet album ?
Parce que je pense que « Château d’Hérouville » c’est un peu trop ciblé, ça nous éloigne du rêve…
Mais une chimère, c’est illusoire…
Oui, mais, même si les albums on les a toujours, le Château d’Hérouville, pour moi, représente cette décennie durnat laquelle on a cru que la musique allait révolutionner le monde, allait tout changer. Les musiciens étaient les premiers à le croire et les fans pensaient aussi que la musique allait changer leurs vies et la société. C’est une croyance fabuleuse qui a généré d’immenses albums et qui s’est écroulée avec l’arrivée des années 80 où finalement la réalité a repris le pas sur les illusions. Tu sais, c’est souvent les utopies qui finissent par foirer qui fascinent. Le château d’Hérouville, c’est ça. C’est un parc en pleine cambrousse où vont venir Pink Floyd, David Bowie, qui vont passer un temps à enregistrer des albums énormes et qui ont aussi eu une vie complètement folle là-dedans.
Si tu devais ne retenir qu’un titre de Château-Chimères pour dire à quelqu’un qui ne vous connait pas : « voilà ce qu’on fait. Malemort, c’est ça », ce serait lequel ?
Mmmhhh… C’est difficile, chacun des morceaux a été pensé et composé comme une entité différente… Non, franchement, je ne peux pas répondre à ça, c’est trop compliqué…Je suis désolé, je voulais faire l’effort mais finalement on induirait la personne sur une piste qui sera fausse. C’est pour ça aussi qu’on a sorti deux singles différents, pour représenter la variété de ce qu’on fait. Le troisième clip, si on arrive à trouver un peu de blé pour le faire, représentera une autre facette du disque.
« Un peu de blé »… Vous êtes passés par le financement participatif, est-ce que ça a répondu à vos attentes ?
On a eu beaucoup de chance, en plus c’était une période difficile pour tout le monde, mais il y a beaucoup de personnes qui nous ont fait confiance, qui nous ont soutenus. De notre côté, tout était prêt, je ne me voyais pas demander aux gens de participer si on n’avait rien, comme c’est parfois le cas dans ces trucs-là… Je savais qu’on avait un album de valeur, il était prêt, on avait tout enregistré, tout masterisé, on avait simplement ce problème de blé, qui est toujours un problème, d’ailleurs, parce que même si on peut dire que le crowdfunding a très bien marché, on est très loin des sommes qu’il aurait fallu récolter pour compenser ce qui a été dépensé. Mais je trouve ça magnifique ce qui s’est passé, ce rapport direct entre les artistes et leur public. On avait promis à ceux qui nous ont donné un coup de main de pouvoir découvrir le disque quelques jours avant sa sortie, et c’est le cas. On reçoit plein de messages, de témoignages de la façon dont les gens vivent leur découverte de ce nouveau disque. C’est ça qui est beau, là, tu te dis que c’est pour ça que tu fais ça, tu vois que tout ce que tu as créé contribue à apporter du plaisir à d’autres.
Et toi, quelle sorte d’homme voudrais-tu célébrer ?
Je dirai un homme qui croit encore un peu aux idéaux, qui pense encore que l’altruisme peut être une voie, qui pense qu’on peut encore faire des choses ensemble. Et puis, en tant qu’homme, un homme qui ont de l’allure, qui peuvent encore t’emporter quelque part, des Gabin, Ventura, Blier, quoi… Ca fait pas du tout 2022, mais personnellement, ce sont ces gens-là qui me font rêver.
J’ai le dernier Rock Hard en mains, je suis à la page 107, je vois Album du mois Megadeth avec 8,5/10. Je tourne 3 pages avant, page 104, je vois Malemort Album du mois avec 9/10. Deux choses : « album du mois », ça fait quoi ? Et avoir une note plus élevée que Megadeth, ça fait quoi ?
(Il rit) Alors là, tu vas toucher le point sensible… Tout le monde ne le lit pas forcément comme tu viens de le faire, mais… Depuis l’adolescence, j’ai toujours été un grand lecteur de la presse metal. C’est quel =que chose qui m’a forgé, qui a forgé ma culture, et les noms des journalistes, ceux qui écrivent ces articles, ça m’a toujours touché. J’ai un rapport très fort avec ça. Donc, pour moi, la presse papier – et Rock Hard a pris la suite de magazines qui ont disparu – je le lis tous les mois depuis le départ et pour moi, c’est une sorte d’accomplissement. Tu parlais « d’album du mois » … Je crois en la parole de ces gens-là, pour d’autres groupes que le mien, donc il n’y a pas de raison que je n’y crois pas lorsqu’il s’agt de Malemort. En plus, ce qui me fait plaisir, la chronique est co-signée par Phil Lageat et Arno Strobl alors qu’ils peuvent avoir des goûts très différents, à l’opposé l’un de l’autre… ce binôme là me parle beaucoup. Quant au 9/10, je suis suffisamment électeur de Rock Hard pour savoir que ce n’est pas une note attribuée en permanence. Donc, oui, j’en suis immensément fier, c’est le moment où je me suis dit « Allez, Xavier, savoure ce moment, pose toi 2 minutes et savoure l’instant … »
Un groupe de rock, c’est aussi la scène. Quels sont vos projets à venir ?
Les projets ? D’abord attendre que tout ce bordel se calme… On a un album qui, je le pense, est solide, qui va infuser et que les gens vont découvrir en profondeur. Je veux le défendre dans de bonnes conditions. Je n’exclus pas quelque chose d’un peu évènementiel, mais pour le reste, ce sera plutôt en 2023 avec quelque chose de solide sur printemps-été-automne. Il y a des choses envisagées, mais, aussi, la réception du disque aura un impact, ce ne sera pas anodin dans ce qui va se passer ensuite.
Une toute dernière chose : quelle pourrait être la devise de Malemort en 2022 ?
Euh… « Toujours plus libre ».
En 2018, tu disais « Liberté égalité fraternité et va te faire… » (rires) Tu concluais en disant « Metal libre ». Donc on rejoint aussi cette idée de liberté cette année encore.
Voilà, on y revient toujours !