Interview: CROWN

Interview CROWN : entretien avec Steph et David. Propos recueillis au téléphone le 6 avril 2021

 

 

Metal-Eyes : J’imagine qu’en pleine promo on vous pose souvent le même genre de questions, alors commençons par quelque chose d’original pour faire de cette interview un moment agréable : le dernier album de Crown remonte à 2015. Que s’est-il passé entre temps ?

David : Ecoute, moi, je suis ingé son live, donc je tourne pas mal à l’étranger, jusqu’à ce que le Covid arrive… J’ai tourné avec Alcest, The Ocean et plus récemment avec Abbath, donc j’ai tourné un peu partout. Le processus a donc pris son temps, j’ai commencé à écrire les démos en… 2018. David a un studio, et trouver du temps pour nous retrouver, travailler… ce n’était pas évident.

Steph : Et puis on a fini il y a un an et demi. Ça a été repoussé à cause du Covid. Ça a été moins long que ce qu’il n’y parait.

 

Metal-Eyes : Le Covid a repossé la sortie de ce nouvel album qui arrive le 16 avril. Y a-t-il eu un autre type d’impact que de simplement retarder sa sortie.

Steph : On avait une tournée prévue qui a été repoussée trois fois, comme l’album. Mais il n’y a pas eu trop d’impact, ça nous a permis de bien bosser sur la sortie de l’album, sur sa promo.

David : Pelagic, le label, avait une exigence, d’avoir le temps de faire de la promo avant de le sortir. Donc on l’a fini dans le speed et c’est rigolo : on a fini dans le speed pour, finalement, devoir repousser sa sortie, mais ça, ce n’était pas prévisible…

 

Metal-Eyes : C’est le quatrième album de Crown. Comemnt est-ce que l’un et l’autre, le premier avec une oreille formatrice du… on ne peut même pas parler de « groupe dans votre cas »… – du concept Crown, et l’autre avec une oreille extérieure, celle d’un ingénieur du son, analyse l’évolution de Crown entre Natron (2015) et The end of all things ?

David : Moi, en tant que mixeur et producteur de l’album d’avant où je suis intervenu sur le tard et celui-là où je joue des guitares, claviers et travaillé sur les arrangements… je dirai que ce qui figure sur le dernier était déjà là sur le précédent mais de manière un peu plus discrète. C’est surtout le côté chanté, c’est ce que j’ai dit à Steph, de pousser dans cette voie, de pousser ce côté chanté et surtout de prendre ces voix très mélodiques, claires, un peu crooner… Que ça devienne un peu plus un truc qu’on puisse exploiter. Je crois que Steph, de son côté, il avait aussi cette envie…

 

Metal-Eyes : Attends, David, il est avec toi, laisse le parler, laisse le donner son avis

David : Ok, vas-y Steph (rires)

Steph : C’est venu naturellement. Je n’ai jamais vraiment eu envie à chaque album de faire quelque chose de différent… euh, pardon, de faire quelque chose d’identique (ils se marrent)

David : Voilà pourquoi je ne voulais pas le laisser parler…

 

Metal-Eyes : Là, il va falloir qu’on en parle… Ceci dit, il y en a qui se débrouillent très bien à faire des albums identiques…

Steph : C’est vrai, mais moi, c’est pas mon truc, je m’ennuie rapidement. A la base, je voulais faire quelque chose de plus agressif, mais j’ai commencé à écrire et c’est venu comme ça, naturellement, sans me dire « maintenant, il faut que ce soit comme ça ». J’ai laissé venir ce que j’avais en tête, les émotions, et… voilà !

 

Metal-Eyes : Pour moi, ce que je retiens de l’album c’est que c’est un ensemble assez sombre, rythmé, électro, inquiétant… Qu’avez-vous voulu mettre dans ce nouvel album ?

Steph : C’est par rapport à tout ce qui peut se passer dans le monde, d’un point de vue politique, économique, écologique, du point de vue des relations humaines… On en est arrivés à un point de non-retour. La musique de Crown a toujours été très sombre, aussi. J’ai toujours été attiré par le côté obscur. C’est une vision assez apocalyptique du monde et de ce qui me touche particulièrement. Il y a beaucoup de choses qui me révoltent et j’essaie de faire passer ça dans un côté mélodique, J’aime que chacun puisse se faire une interprétation particulière, de la musique ou des textes… Il y a un peu de lumière, une sorte de dualité entre ténèbres et lumière…

 

Metal-Eyes : Je vois plus le côté « ténèbres », qui arrive d’ailleurs dès la pochette avec ce roi des échecs qui se désagrège, qui part en poussière. Vous avez voulu exprimer quoi avec cette pièce d’échecs ?

David : C’est Max Loréo qui a fait le design de l’album. L’artwork était déjà prêt en 2018, ce qui est un peu étrange. C’est une référence au roi du film d’Ingmar Bergman, le septième sceau, où c’est un jeu d’échecs…

 

Metal-Eyes : Contre la mort. Qui gagne…

David : Voilà, et c’est un concept par rapport à la fin du monde. La mort n’existe plus, il n’y a plus que le néant.

 

Metal-Eyes : Tu parles de références cinématographiques… Quelles sont vos sources d’inspirations et de distractions à l’un et à l’autre ?

Steph : Moi, j’aime beaucoup le cinéma, je regarde … pas … beaucoup de séries…

David : Beaucoup ou pas beaucoup ?

Steph : Beaucoup, je regarde beaucoup de séries…

 

Metal-Eyes : Vous n’allez pas vous engueuler en direct les gars…

Steph : Ah, ah ! si ! Je suis un gros fan de David Lynch. En ce moment, je suis en train de regarder une série exceptionnelle qui s’appelle Six feet under qui parle d’une famille de croque-morts, et ça illustre très bien ce qu’il se passe en ce moment dans les relations humaines, les difficultés à sortir du monde environnant. C’est assez… authentique.

David : Moi, je suis producteur, c’est mon job de tous les jours… Je fais ça tellement, que quand je me mets devant un truc, en général, au bout de dix minutes, je dors ! Je te dis pas comment c’est sexy pour ma chérie… J’ai dû faire 450 albums et, à mon avis, la production, c’est une grande part de psychothérapie. En termes de découverte de l’humain, de ses fantasmes et de ses envies, il y a beaucoup de choses… C’est pas mal non plus ! C’est concret que virtuel… A part ça, je n’ai pas beaucoup de hobbies.

 

Metal-Eyes : Quel est le dernier film devant lequel tu t’es endormi ?

David (rires) : Très bonne question ! Ecoute, je m’endors pas toujours… Le dernier truc devant lequel je ne me suis PAS endormi, c’est Sea speracy, un truc sur la mer, sur la pêche intensive. Je ne suis pas très écolo, mais je me suis pris un tarte… C’est impressionnant, et ça va très bien avec The end of all things, parce que quand tu as fini, tu te dis « gauche ça va pas, droite, ça va pas non plus… Blanc, ça va pas, et noir non plus… bon, on fait quoi alors… ? »

 

Metal-Eyes : De quoi traitent vos paroles, quels thèmes abordes-tu ?

Steph : Alors là, on rentre dans un côté assez abstrait parce que quand j’écris des textes, je n’ai pas vraiment de thème particulier…

 

Metal-Eyes : OK, merci. Salut, alors ! (rire général)

Steph : Non, c’est plus des espèces de tableaux qui m’apparaissent. Ensuite, ça va rejoindre, se mêler à tout ce que je disais avant par rapport aux relations humaines. Ça peut être la détresse, la domination… C’est difficile d’en parler. Les gens se font leur propre interprétation.

 

Metal-Eyes : Y a-t-il des choses que tu préfères ne pas aborder, qui n’ont pas leur place dans Crown ?

Steph : Euh… Je n’ai pas envie de parler de politique, c’est le genre de truc qui ne m’intéresse pas, mais sinon… Non, je ne me donne pas vraiment de barrière… C’est une bonne question…

David : Ouais, c’est une bonne question ! C’est peut-être même la meilleure question de la journée, franchement ! (ndMP : frime, frime ! yeah, saute partout dans la chambre…)

Steph : En fait, je n’ai envie de rien m’interdire… Depuis que j’ai commencé, je tourne autour des mêmes choses, le monde post apocalyptique…

David : Quand j’étais gamin, je regardais Mad Max 2 en boucle. Et gamin, 9 ou 10 ans, je te jure, je me disais « vivement l’apocalypse, ça va être trop bien : on va être habillés en cuir, on aura des dreads, on roulera dans le désert sur des motos ou dans des bagnoles d’enfer » (Steph est mort de rire) Et franchement, aujourd’hui, on y est quasiment et je me demande si j’ai vraiment envie de le vivre (voir note précédente). Il y a un autre truc que je voudrai ajouter : l’interprétation que les gens peuvent avoir des textes est bien plus intéressante que ce à quoi tu penses quand tu les écris.

 

Metal-Eyes : En parlant de gens, vous avez travaillé avec une invité, Karine Parks d’Arabrot. Elle intervient sur Utopia, le dernier titre. Comment avez-vous pris contact avec elle ?

David : Je m’occupais du son sur la dernière tournée de The Ocean, et en général, soit tu fais le son pour un groupe, soit pour tous les groupes de la tournée. Là, c’était le cas et il y avait Arabrot dans le lot. Je les avais vus à Colmar, mais Karine n’était pas encore là. Je les ai vus plus tard en duo avec son mari et sa voix m’a mis sur le cul, elle a un registre énorme. On avait un morceau qui était en chantier, et je me souviens que Robin, son mari, m’a suggéré de lui demander. Je lui ai fait écouter l’album, elle m’a dit que c’était vachement sombre… Je lui ai fait écouter un morceau, ça lui a plu et je lui ai proposé de le faire. Elle a dit oui… Un ou deux mois après, elle nous a envoyé une maquette avec ses voix, c’était assez pop, et ça a été un challenge de le faire…

 

Metal-Eyes : Même si vous naviguez dans des univers musicaux différents, Arabrot a aussi des aspects sombre. On pourrait même dire que certains aspects doom vous lient.

Steph : Oui, c’est cohérent, totalement.

David : Son texte est aussi sombre que les tiens, c’est vrai. Et puis, dans tes lignes de chant – tu vois, je parle à Steph en même temps… – il y a ce truc un petit peu lumineux. C’est très beau, et ce qu’a fait Karine, c’est très beau aussi, avec des tessitures différentes, mais ce n’est pas si éloigné.

 

Metal-Eyes : En même temsp, je trouve que votre album, s’il est sombre, possède aussi un côté… pas lumineux mais presque joyeux, sautillant, dansant…

Steph : Waow… on ne me l’avait pas dit encore ça !

David : Je dirais qu’il y a… dansant, oui, mais peut-être plus lumineux quand même, pour rendre l’ensemble plus accessible, plus émotionnel on va dire.

 

Metal-Eyes : Si, pour expliquer ce qu’est Crown aujourd’hui, ne retenir qu’un seul titre de l’album, ce serait lequel et pour quelle raison ?

Steph : Je dirais, le premier titre, Violence, ou Illumination…

David : T’en as pris deux, là !

Steph : Oui, je sais… C’est dur. C’est une bonne question aussi…

David : Je dirais que c’est les deux qui résument…

 

Metal-Eyes : Oui, mais tu viens de lui dire que ça en fait deux ! A la limite, vous en prenez une chacun et ça fera l’affaire…

David : Oui, c’est ce que j’allais proposer. Il en aurait dit une, j’aurai choisi l’autre, mais il a cité les deux ! Je suis baisé… On est assez fiers de tout ce qu’on a fait, mais ce n’est pas un hasard si on met ces deux là un peu plus en avant, ils résument assez bien le disque.

Steph : C’est vrai que j’ai une préférence pour Violence…

 

Metal-Eyes : Oui, pour quelle raison ?

Steph : Alors là (rires) ! Quand je l’écoute, ça me fait ressentir beaucoup de chose.

David : Le texte est assez personnel aussi. Quand tu dis « be part of my violence », à chaque fois, je me dis « waow, j’aurai bien voulu l’écrire cette phrase »… Comme articulation de couple, c’est pas mal (Steph se marre), c’est comme ça que je le vois ! Tu dis ça à ta meuf, mon vieux, t’as intérêt à courir vite après (rire général) !

 

Metal-Eyes : Si vous deviez penser à une devise pour Crown, ce serait quoi ?

David : Je veux bien commencer : « A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ».

Steph : Ecoute, je suis totalement d’accord !

David : Ah, non, il t’en faut une aussi ! Non, je pense que ça s’applique assez bien à ce qu’on a voulu faire… On a envie de se renouveler, de prendre des risques, d’aller plus loin. Là, c’est plus artistique.

Steph : Je dirais « sortir de sa zone de confort », parce que c’est important de prendre des risques.

 

Metal-Eyes : Une dernière chose : vous avez signé avec Pelagic qui grandit et signe un certain nombre de compatriotes. Qu’est-ce que ça vous apporte que vous n’aviez pas avant ?

Steph : Avec Candlelight, la communication n’était pas au top. Pelagic, ils sont totalement passionnés, et j’ai une totale confiance en eux et à ce qu’ils proposent : les vinyles, il y a de super beaux objets. Et ils ont un catalogue qui montre bien à quel point ils s’investissent.

David : Et en terme de travail de promo, ils sont efficaces : l’ensemble des vinyles a été vendu le premier jour !  

 

Metal-Eyes : Lequel des deux a la barbe la plus longue, pour qu’on puisse vous repérer ?

Steph :

David : Moi, David, c’est moi qui ai la plus longue barbe. C’est pas la seule chose que j’ai de plus long (rires). Non, c’est pas vrai, je tiens à préciser que ce n’est pas vrai (rires) !

 

Metal-Eyes : Je te rassure, je ne viendrai pas vérifier ! En plus, tu es à plus de 30 km, donc pas possible ! J’espère qu’on pourra bientôt vous retrouver en live et que votre album trouvera son public.

Steph : Merci à toi, c’était cool.

David : Oui, c’était fun !