INTERVIEW DÉCOUVERTE: WORMFOOD

Rencontre avec Renaud Fauconnier (guitare) et Thomas Jacquelin (batterie) puis Emmanuel Lévy (chant). Entretien réalisé à Paris le 29 avril 2016.

Alors que Wormfood s’apprête à sortir L’envers, son fascinant nouvel album, trois de ses membres se sont prêtés au jeu de l’interview découverte pour Metal-Eyes dans une Machine du Moulin Rouge en proie à quelques fuites… Ambiance glauque de la chaufferie qui colle parfaitement à celle d’un album à découvrir d’urgence. (Note : Emmanuel nous ayant rejoints plus tard, son interview vient compléter celle de Renaud et Thomas)

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Metal-Eyes : Je découvre Wormfood avec ce nouvel album qui parait fin mai. En revanche, les recherches que j’ai pu faire montrent deux grandes périodes de vide pour le groupe : entre France et Posthume, puis entre ce dernier et L’envers. Que s’est-il passé pendant ces périodes qui ont séparé ces trois derniers albums ?

Renaud : Nous ne sommes dans le groupe que depuis 2010, donc on ne peut que s’exprimer sur la période qui a suivi Posthume. Après la sortie de ce disque, on a fait beaucoup de scène avant de moins tourner pour se concentrer sur le prochain album.

Metal-Eyes : Il vous a demandé combien de temps dans sa conception?

Renaud : 4 ans, à peu près…

Thomas : Il a été écrit et enregistré il y a un peu plus de deux ans.

Renaud : On a vraiment pris notre temps, on ne voulait pas stresser, tout le monde avait ses impératifs professionnels. On est tous pro ou semi professionnels dans la musique, donc ceux qui ont du taf à côté, c’était difficile de faire plus vite.

Metal-Eyes : C’est donc une question d’emploi du temps

Thomas : Emploi du temps, et on s’est dit qu’on fait quelque chose à nous, alors on le fait bien.

Metal-Eyes : J’ai vu également que Pierre LePape de Melted Space fait partie du groupe. Il vous a rejoint quand ?

Renaud : En 2010, un peu après nous. Quelques mois après.

Metal-Eyes : Parlons un peu de votre musique, qui donne l’impression d’une approche très théâtralisée. On voit presque les images défiler alors qu’on n’a que du son… Ca me rappelle la lecture du Parfum de Suskind, qui avec des mots parvient à faire sentir des odeurs. En tout cas, on sent une vraie volonté chez Wormfood de marquer les esprits. Déjà le Cd est présenté dans un format inhabituel, on a les éléments d’une affiche de film, un superbe écrin, mais également musicalement. Commet décririez-vous l’évolution du groupe entre Posthume et L’envers.

Renaud : Je pense que, en ce qui concerne Emmanuel, qui est responsable des paroles, et des compositions premières, il y a une évolution de sa vie, tout simplement. Il écrit beaucoup en fonction de son quotidien et sa vie a évolué ces derniers temps – mais c’est plus à lui d’en parler. Au niveau musical, Thomas et moi sommes très friands de metal extrême, black et death, et on a sans doute pu pousser nos arrangements et notre instrumentation vers un peu plus de violence par rapport à Posthume. Nous étions aussi très fans de France, que Thomas m’avait fait découvrir.

Metal-Eyes : Le réenregistrement de Jeux d’enfants, c’est ça ?

Renaud : Exactement, oui.

Thomas : C’est une façon de restaurer ces ambiances qui étaient assez typiques, avec toujours le côté très doom de Posthume. On a rajouté des petits éléments, des petits blasts et autres….

Renaud : Ce n’était pas forcément volontaire ou conscient, ça s’est fait naturellement et les compositions de Manu s’y prêtent aussi.

Thomas : Quand on est arrivés dans le groupe, France et Posthume étaient déjà enregistrés. Sur scène, pour défendre un set, on a incorporé des morceaux des deux albums. En tant que musiciens, qu’interprètes, on a dû s’approprier les morceaux qu’on n’avait ni composés ni enregistrés et je pense que c’est là que s’est créé un mécanisme. Ensuite on a continué naturellement avec cette petite touche à nous. Je pense que ça a pas mal aidé.

Metal-Eyes : L’ensemble de l’album m’évoque tout autant Faust et les aspects les plus sombres du personnage que le côté dérangeant de la petite boutique des horreurs. Comment avez-vous abordé la conception de ce disque ? Les paroles ont-elles été écrites avant la musique ?

Renaud : Les paroles ont été écrites en dernier lieu. Parole et chant, rien n’était fait avant que les morceaux ne soient terminés de A à Z. Tous les arrangements compris. Je pense qu’Emmanuel avait sans doute envisagé des thèmes, on en avait parlé ensemble, mais il y a beaucoup de thèmes qui ont changé. Les paroles sont vraiment se greffer sur la musique.

Metal-Eyes : Comment vous est venue cette idée de long prologue qui dure 2 longues minutes? Et qui fout la trouille!

Renaud : (rires) Oui, ça fout la trouille! On trouvait ça bien d’avoir un début d’album avec juste une voix. Il (Emmanuel) fait pas mal de voix off, et je le lui avais suggéré il y a des années. J’ai découvert le prologue bien plus tard, il l’avait fait dans son coin. A la base, il devait y avoir, derrière sa voix, des bruitages, des bruits d’ambiance, mais ils auraient (Emmanuel et Alex Wursthorn, producteur) décidé de garder la voix telle quelle, sans rien de plus.

Metal-Eyes : Quand vous avez enregistré cet album, aviez-vous en tête l’idée d’enregistrer un album « décadent » ?

Renaud : On a enregistré la musique que nous avions en nous et maintenant… ce n’est plus à nous d’y mettre des adjectifs. Ça émane de nos cerveaux, cœurs, de la vie, de nos inspirations, nos écoutes, nos lectures…

Metal-Eyes : Comment s’est passé l’enregistrement avec Alex Wurstorn, qui est aujourd’hui incontournable dans le paysage français ? Comment avez-vous fait connaissance ?

Renaud : Incontournable, c’est vrai ! On avait tourné avec son groupe, Sérum, mais je sais qu’il est ami avec Emmanuel depuis longtemps, depuis l’époque de Carnival In Coal, puisqu’il en est le compositeur. Ça fait plusieurs années qu’on travaille avec lui.

Thomas : Il a beaucoup participé à la production de France, il a suivi le groupe depuis l’époque, avec une partie de l’ancien line-up de Wormfood et défendait le répertoire de Carnival In Coal sur scène.

Renaud : Et je connaissais Axel de réputation car je suis un grand fan de CinC. Il a aussi joué du clavier en live pour Wormfood.

Metal-Eyes : Pourquoi y a t-il un titre en anglais? C’est le plus court de l’album… Est-ce pour toucher les radios au niveau international ? Pour sortir un single pour présenter Wormfood à l’étranger ?

Renaud : C’est un morceau où on fait intervenir un guest assez particulier, Paul Bento, qui joue du sitar et du tampura.

Thomas : En fait, ce morceau là a été écrit un peu pour lui. Axel joue aussi dessus, d’ailleurs. Emmanuel qui est un bon ami de Paul Bento, tenait vraiment à donner cette dimension un peu… « brooklynesque ». Du coup, il fallait que ce soit en anglais, ça rajoute une petite touche.

Metal-Eyes : Il y a quand même ces paroles assez perturbantes dans cette chanson : « Farewell to France, once and for all », « Adieu France, une bonne fois pour toutes »

Renaud : Je crois que c’est parce qu’il veut vraiment s’établir à Brooklyn, mais n’ose pas le dire!

Metal-Eyes : Si vous deviez, l’un et l’autre, ne retenir qu’un seul titre de L’envers, ce serait lequel?

Renaud : Ordre de mobilisation générale qui est, pour moi, le plus long et le plus complet. Je ne peux pas dire que ce soit mon préféré, je n’en ai pas. Je ne peux pas porter de jugement de valeur, mais je trouve que c’est un pavé qui à lui seul résume bien l’album.

Thomas : J’ai vraiment du mal à départager, je vois ça comme un bloc.

Renaud : C’est plusieurs scénettes qui font partie de la même pièce de théâtre, en fait.

Metal-Eyes : Cette pièce de théâtre, justement : j’imagine qu’il y a de la scène prévue… Le concept laisse imaginer plein de possibilités. Alors, d’abord, y a-t-il une tournée prévue, serait-ce plus une « tournée de week-end » ou quelque chose de plus structuré ?

Renaud : C’est un peu tôt pour le dire. Ce qui est sûr, c’est qu’on prépare les live, on se retrouve toutes les semaines pour y travailler. Après en ce qui concerne une tournée européenne, voire mondiale, c’est à l’étude, mais ce sont des investissements. On ne va pas parler d’argent, mais ce sont des choses qui se font…

Thomas : On attend de trouver la bonne opportunité, mais aussi de trouver un public. Parce qu’on a été absents de la scène depuis un bon moment maintenant, donc on attend d’avoir les retours après la sortie de l’album, on va en discuter…

Metal-Eyes :Vous envisagez déjà le concept scénique, les costumes, décors de scène pour illustrer cet album ?

Renaud : On s’est surtout concentrés sur l’aspect musical pour l’instant. On a toujours réfléchi à l’aspect scénique qui est incontournable mais je n’ai rien à raconter sur comment les concerts se dérouleront. Il faut venir voir, de toutes façons !

Metal-Eyes : Qui est à l’origine de ce livret, qui a eu l’idée de présenter cet album dans ce fourreau inhabituel?

Renaud : Le format A5 c’est Emmanuel, il voulait quelque chose qui soit différent. Et c’est vrai que quand tu as le format DVD dans les mains, il y a toute une dimension visuelle qui parait et qui comptait pour nous. De même que le côté casting, comme une affiche de film, la scène de théâtre y participe aussi. La photo, c’est celle du petit théâtre de Marie Antoinette de Versailles photographié par Andy Julia et sur laquelle Isham Adashi, le graphiste de Wormfood depuis… un moment déjà, a travaillé pour en faire ce que c’est aujourd’hui.

Metal-Eyes : L’idée de ce format DVD, c’est pour que les gens se dirigent vers cet album plus facilement? Parce que, derrière, il y a du marketing…

Renaud : Oui, il y a du marketing.

Thomas : On voulait un bel objet. Et le support qui offrait la plus grande surface, en restant facilement commercialisable, c’est ce format-là, qui permet un beau travail graphique, une belle mise en page… On a proposé ça au label, on s’est dit que c’était faisable, et on est vraiment contents de pouvoir marquer le coup avec ce disque. C’est un investissement pour nous, depuis quelques années, on tient à cet album, c’est quelque chose de très précieux.

Metal-Eyes : Le livret, il y a plein de choses, aussi : « Avec privilège de sa majesté » : quelle est la signification de cette couverture ?

Renaud : Si je ne m’abuse, « Avec privilège de sa majesté » s’inscrit dans la cour de Louis XIV, qui est présent tout au long de l’album, ne serait-ce que par la présence du théâtre de Marie-Antoinette, . Si on regarde, un peu partout dans l’album, il y a l’inscription Nec pluricus impar qui signifie « supérieur aux autres » et qui était la devise de la cour du roi Soleil. Et qui nous fait bien rire. Inutile de préciser que ce n’est pas à prendre au sens premier, mais ça donne l’idée d’un microcosme de personnes complètement déconnectées de la réalité, décadents, nobles nantis…

Metal-Eyes : Ca y est, j’ai mes adjectifs !

Renaud : Voilà… (rires) Elle est là, la décadence.

Metal-Eyes : La photo intérieure est également très expressive. Ça peut, justement, donner une idée du visuel à attendre sur scène ?

Renaud : Oui, bien sûr. On travaille aussi par rapport à ça.

Emmanuel Lévy nous rejoignant, je profite de quelques minutes pour l’interroger aussi.

Metal-Eyes : Emmanuel, ton chant me semble bien plus narré que chanté. J’imagine qu’il y a une véritable intention de marquer ton public. C’est ton idée, ça s’est construit avec le temps ?

*Emmanuel : Ca a toujours été le cas avec Wormfood, cet aspect narré et joué. Posthume est beaucoup plus sombre, et noir. Pour revenir à L’envers, j’ai une double activité, musicale et d’acteur. Je suis comédien, je fais de la voix off, et par le passé, j’ai fait une formation littéraire et enseigné la littérature. Tout ça se mélange et donne ce résultat, ce qui est une erreur de parcours totale : normalement je devrais être professeur d’université mais les choses sont parties en vrille totalement (rires). Et voilà que je chante ce genre d’horreurs pour les gens… au lieu de faire des choses plus sérieuses, des colloques sur Diderot… Donc cette volonté se traduit par cette volonté de jouer des personnages et ce disque, L’envers, je le vois vraiment comme un voyage. C’est-à-dire que la personne écoute ce disque, qu’elle mette son casque sur ses oreilles et traverse tout cet univers, soit en prise avec tous ces personnages. Tu remarques aussi que j’essaie de parler très près de l’auditeur. L’image que j’ai en tête, c’est que si tu gueules, si tu brailles, ce que font certains et c’est très bien aussi, c’est une autre énergie, mais si tu gueules, tu craches ta haine au monde entier. Sur Wormfood, c’est l’inverse, je veux me rapprocher très très près de l’auditeur, lui glisser dans l’oreille des choses épouvantables avec… élégance, et je crois que c’est une autre démarche. J’essaie de faire en sorte que les gens qui reçoivent ce disque aient l’impression qu’on s’adresse à eux directement.

Metal-Eyes : Cette approche complètement théâtralisée est donc une démarche totalement volontaire. Et ce Prologue – qui comme je le disais m’a fait peur quand je l’ai écouté dans la voiture…

Emmanuel : Surtout dans la voiture… Il y a des choses à dire sur ce Prologue, parce qu’en plus il devait être un peu plus mis en son, il devait y avoir plus d’atmosphère, l’ambiance d’une rue… J’avais ça en tête, et on l’a enregistré en studio avec Alex Wursthorn avec qui je travaille aussi sur d’autres projets, de cinéma, de théâtre, et on a enregistré ce morceau, un one-shot, très près du micro bien sûr, et finalement c’est juste terrifiant comme ça ! On a l’impression d’avoir ce type dans ton oreille, en train de te dire des horreurs, « viens avec moi dans cette ruelle sombre »…

Metal-Eyes : Ou plutôt “ne viens pas, rentre chez toi”…

Emmanuel : Oui, et c’était bizarre, avoir cette petite provocation pour commencer. Après, c’est à double tranchant, si les gens sont obéissants, ils vont juste ressortir l’album de la platine et ne l’écouteront pas… Mais je sais que les gens sont plutôt désobéissants, surtout à Paris, on leur dit de faire quelque chose, ils font l’inverse… On est quand même d’un naturel chaotique, et insubordonné en France. On s’est donc retrouvés avec ce prologue, brut sans retouche, de ce type… Tu vois, je parle de moi à la troisième personne, c’est donc que c’est un autre personnage, pas moi, qui parle…

Metal-Eyes : Tu parlais tout à l’heure de ton erreur de parcours (il me regarde interloqué)… Oui, tu aurais dû être prof…

Emmanuel : Ah, ça..

Metal-Eyes : Je voudrais justement revenir sur le texte d’Ordre de mobilisation générale qui me fait penser à ces Paroles de poilus, ce recueil de lettres de soldats de la grande guerre. C’est quelque chose qui t’a inspiré ? On est dans l’horreur de la guerre…

Emmanuel : Justement, et ça prend le contre pied de ce qui peut se faire dans le métal. Ca ne me ressemblerait pas d’écrire une chanson qui dirait « ah, la guerre, c’est génial, le sang, le meurtre, j’adore ça… » Non, ce n’est pas du tout ce que je souhaite véhiculer. Ou alors, c’est par le biais d’un personnage pour dénoncer ce genre de choses. Donc c’est bien un morceau sur l’horreur de la guerre, et, pour tout te dire, les morceaux de l’album sont tous en lien avec mon vécu. J’ai du mal à écrire sur autre chose. Ça part un peu de mon histoire familiale puisque mon arrière grand-père était haut gradé pendant la guerre de 14-18, il a fait les Dardanelles, la bataille de la Marne et d’autres choses. Et il y a une chose qui m’a toujours frappé, c’est qu’il était d’une extrême douceur et d’une grande bienveillance. Et, avec le recul, je pose la question, cet homme, si bon et bienveillant, en 14-18… Il a forcément du sang sur les mains, c’est quelque chose, pour nous, dans ce début de deuxième millénaire, de n’avoir pas connu, en France, de guerre, la plupart d’entre nous n’avons pas fait notre service militaire…  C’est très troublant de penser à ces hommes qui se sont battus, qui ont été obligés de tuer d’autres hommes, qui ont du sang sur les mains… Demain, si je m’engageais sur un conflit, quel serait mon comportement ? Non, la guerre c’est pas cool du tout.

Merci à Roger Wessier d’avoir organisé cette rencontre.