Interview JIRFYIA. Entretien avec Ingrid (chant), le 1er mars 2023
On ne va pas revenir sur l’histoire de Jirfyia, le précédent disque, Still waiting était présenté comme un Ep, mais avait la longueur d’un album.
On a fait un Ep, Wait for dawn, en 2019, et en 2020, année du confinemiinn (elle rit), on a réussi à composer et enregistrer un album, Still waiting.
Qui était cependant présenté alors comme un Ep, d’où le fait que je dise que ce nouveau disque est votre premier album… Ce disque est autonommé, cela signifie-t-il que ce soit un nouveau départ, post confinement ?
Alors, il n’est pas autonommé… c’est un peu plus subtil que ça puisque sur la pochette, il y a un W, qui est le titre de l’album. On a gardé cette lettre qui est l’initiale de Women – femmes en anglais – qui est la thématique principale de ce disque, la condition des femmes à travers le monde. Chaque morceau traite du point de vue d’une femme, réelle ou fictive. Chac=que chanson est le portrait d’une femme.
Puisque nous sommes dans l’explication du concept de l’album… La pochette m’évoque un temple ou une sorte de pyramide moderne, SF. Quel est justement le concept de cette pochette ?
En fait, c’est l’ami d’un illustrateur qui avait travaillé avec Born From Lies, le précédent groupe de Jérôme et Pascal. Cet illustrateur n’étant pas disponible, il nous a donné le contact de Quentin, qui travaille dans le milieu du jeu vidéo, principalement dans les décors. On a beaucoup parlé des femmes, l’album en parle mais je ne voulais pas qu’on mette une femme sur la pochette, il fallait quelque chose de plus symbolique. Au départ, on lui a fait part de plein d’idées, et il nous a fait quelque chose qui ressemblait un peu trop à ce qu’on voulait mais n’était pas ce qu’on voulait… (rires) Ce n’était pas super bien parti, et on lui a simplement dire de faire ce qu’il ressentait et de nous le proposer. Il nous a sorti ça, et je trouvais l’image asse forte. Ce n’est pas mon imaginaire mais ça crée cet univers qui permet de rentrer dans l’album. La femme est juste suggérée en haut de cet escalier.
En même temps, si on pense pyramides, on fait le lien avec l’Egypte plus qu’au Louvres, et on imagine volontiers Cléopâtre – et il y a un lien avec votre musique. Pourquoi cette volonté de mettre en avant la femme sur cet album ?
C’est venu après discussions. Sur le précédent album, il y avait un titre qu’on adore jouer sur scène, Silently, qui abordait la question de l’interdiction de l’avortement dans un pays comme le Salvador, qui mène des femmes en prison à vie, qui sont même parfois dénoncées par leur médecin traitant, parfois. C’est un thème qui me touche naturellement. Ensuite, c’est quelque chose qui est naturellement revenu dans nos discussions, à la fin du confinement, période où on a eu plus de temps pour lire ou voir des films. J’avais vu ce film, Le bal des folles, et le premier morceau, Asylum, en est complètement inspiré. Le bal des folles est lui-même adapté d’un roman du même titre qui parle des femmes qui, il y a une centaine d’années en France, étaient envoyées à La Salpêtrière, alors un asile pour femmes, qui, sous couvert d’expérience, était à remettre dans le droit chemin… C’était aussi un asile où on envoyait les jeunes filles de bonne famille dont on voulait se débarrasser… Je trouvais ça très fort et je me suis dit « pourquoi pas, à travers chaque chanson, raconter des histoires de femmes, réelles ou fictives ». Il y en aune sur une militante afghane, par exemple. Il n’y a pas que des victimes, on n’a pas voulu avoir de discours… « misérabiliste », on y a fait attention. Il y a d’autres points de vue, des femmes de pouvoir, comme sur Sister in blood. On a imaginé la sœur de Kim Jong un, le dictateur nord coréen et on s’est demandé si, dans l’ombre de son frère, elle n’était pas plus maligne que lui, si elle ne visait pas encore plus le pouvoir, ce que, de naissance, elle n’a pas eu…
C’est intéressant de parler d’elle, d’autant plus en ce moment où on voit Kim Jong Un mettre en avant sa fille…
Oui, on l’a vu, et c’est dingue parce que la chanson était déjà enregistrée quand il a commencé à montrer sa fille. Ça promet une guerre des clans à la Game of thrones… Avec les reines qui s’entretuent… C’est aussi le sort d’une partie de ce monde qui se joue à travers cette tragi-comédie familiale… Mais ça reste des histoires de femmes et la question de leur place dans ce monde de pouvoir…
Parlons un peu de musique. Jirfyia est un groupe de metal avec pas mal d’influences orientales, d’où, encore une fois ce clin d’œil à la pyramide dont nous parlions un peu plus tôt. Maintenant, si tu devais me vendre cet album, que m’en dirais-tu ?
Euh… ce sont 8 chansons construites comme des petits films avec des moments de tension et de repos bien définis, toutes les nuances qu’il faut pour découvrir la psyché de chaque personnage. On a rajouté des instruments qu’on n’attend pas forcément dans le metal – des violons, violoncelles et trompettes – qui nous amènent ailleurs et servent de moments de calme et d’introspection et qui rajoutent à cette dramaturgie qu’on a voulu créer sur chaque morceau.
Et si tu devais décrire l’évolution de Jirfyia entre Still wating et W ?
Je dirai qu’on s’affirme plus dans le sens où il y a toujours eu ces textes militants, sur l’écologie ou le capitalisme destructeur. C’est quelque chose qu’on voudrait et qu’on va assumer plus. On ne veut pas passer pour des donneurs de leçon et on a fait attention à ce qu’on écrivait sur des sujets un peu casse-gueule en essayant de ne pas porter de jugement, de faire preuve d’empathie à chaque situation et chaque personne, et, à travers ça, on cherche à donner envie à chacun de réagir et d’agir plus.
Pour l’enregistrement, vous avez de nouveau travaillé avec Andrew G. aux Hybride studio, qui est au final un autre membre de l’équipe…
Oui, quasiment (rires) ! Il est très sollicité et demandé dans le milieu du metal et du death metal. Je crois qu’il n’avait pas l’habitude de travailler avec des voix féminines, et il a compris, nous a amené à forger notre son de manière élégante et efficace. Donc pour l’instant, avec lui, c’est une équipe gagnante, donc pourquoi changer ?
Pour cet album, Ingrid, tu t’es laissée influencer par quoi ?
Ouh, là… Le metal ce n’est pas vraiment mon bagage à la base… Il y a un groupe que j’aime beaucoup et… presque honteusement, je ne les ai découverts que l’an dernier au Hellfest, c’est Lacuna Coil. J’ai beaucoup aimé cette harmonie entre les deux chants, et le côté visuel qu’on cherche aussi à amener un peu plus sur scène. On a créé un petit personnage qui arrive sur scène, un peu plus marqué par l’esprit metal. Je ne suis pas vraiment influencée par ce milieu, je ne suis pas une metalleuse pure et dure même si j’ai quelques références. Mais il y a tout un… bestiaire du metal que j’essaie d’éviter et qu’on veut interpréter différemment. Le nom du groupe, qui est celui d’une météorite, j’ai imaginé qu’elle s’était réincarnée en déesse… Justement, on en revient aux femmes… Une espèce de déesse des tourments qui, en arrivant sur Terre, voit cette espèce de foie. Elle n’a pas envie de se battre mais elle ne veut pas se taire…
Vous prévoyez des concerts en soutien de ce nouveau disque ?
Oui, il y a quelques dates qui arrivent, dont une à la Péniche Antipode de Paris le 26 avril, et on a aussi contacté des bookers – on est chez Splintering booking agency – qui nous prennent dans leur rooster et on espère pouvoir aller présenter ce disque sur scène partout en France… Tu es sur Orléans ? Il y a le Dropkick à Orléans, non ?
Oui, une petite salle en sous-sol qui chauffe très vite, avec les loges dans un couloir, mais une scène très sympa.
Il y a plein de groupes qui y jouent, on devrait avoir une date là-bas, il y a de quoi faire !
Si tu devais ne retenir qu’un seul titre de W pour expliquer à quelqu’un ce qu’est Jirfyia aujourd’hui, ce serait lequel ?
Sur ce projet-là, je pense que ce serait Asylum. C’est celui qui a le plus d’instruments différents, et c’est un condensé de ce qu’on fait de mieux. C’est ce qui nous représente aujourd’hui le mieux. Et si on l’a mis en premier, ce n’est pas un hasard…
Pour terminer, quelle pourrait être la devise de Jirfyia ?
La devise ? Ah… pour un groupe militant comme nous en plus, je ne sais pas, « levez le poing », Rage Against The Machine… Ce serait dans cet esprit là : « gardez l’émotion et la rage au cœur », voilà !