Interview: MELTED SPACE

Interview MELTED SPACE. Entretien avec Pierre le Pape (chant, claviers…). Propos recueillis au Hard Rock Cafe de Paris le 9 mars 2018

Metal-Eyes : Darkening light est le quatrième album de ton projet Melted Space. Comment analyses-tu l’évolution de ce projet – je vois plus Melted Space comme un projet que comme un « groupe » ?

Pierre : C’est une bonne question parce que je n’ai pas encore eu le temps de prendre du recul… Ce que j’en retiens, c’est qu’il y a eu un changement à un certain moment. C’est-à-dire qu’au départ, le projet n’était pas censé être autre chose qu’un projet studio. On a commencé à faire de la scène, et à partir du moment où on a commencé à adapter les choses pour la scène, pour un public, pas mal de choses ont changé dans ma perception du projet, dans ma façon d’écrire, dans ma façon de penser, même aux prémices d’un album. En fait, quand j’ai commencé à penser à Darkening light, j’avais déjà la scène en tête. Ce qui n’était pas le cas avant. D’ailleurs, aujourd’hui, on ne joue quasiment plus aucun morceau du premier album parce que les titres sont beaucoup moins adaptés ; tout s’enchaîne et ça ferait des coupes beaucoup trop franches, sans transition, alors que ça n’aurait de sens que si on jouait tout d’un bloc. Darkening light est composé de chansons bien séparées, et là on a une évolution qui vise vraiment la scène.

Metal-Eyes : Donc la grosse différence c’est que cet album, tu l’as envisagé en pensant à la scène, ce qui n’était pas le cas avant. Il y a une autre grosse différence, c’est que pour la première fois, tu chantes.

Pierre : Oui ! (il rit)

Metal-Eyes : Tu as rôle bien définit, aussi, celui de l’Espace. Comment en es-tu arrivé à cela ?

Pierre : Au départ, je n’étais pas pour (rires) ! Je n’ai jamais voulu chanter en lead parce que je ne suis pas chanteur, ce qui est en soi une bonne raison. J’ai été chanteur dans mon premier groupe au lycée, mais je braillais plus qu’autre chose… C’était un groupe de rock punk metal, un peu fourre tout. Mais après, je n’ai pas perduré dans cette voie-là, je n’ai jamais travaillé dans ce sens là. En fait, c’est venu petit à petit parce que je chante sur les démos puisque c’est moi qui les enregistre. Du coup, que ce soit Liv Kristine, Michael Stahne ou autres me demandent régulièrement pourquoi je ne chante pas sur les albums. Je leur réponds que je laisse ça à d’autres, qui savent faire mieux que moi. Et je trouvais ça, je trouve toujours ça relativement prétentieux pour un non chanteur de dire « ben tiens : aujourd’hui je vais aller chanter avec tous ces chanteurs extraordinaires et ça va être bien, et tout le monde va être content » (il rit) !

Metal-Eyes : D’ailleurs, dans l’interview de Rock Hard 184, tu dis avoir envisagé la possibilité de ne pas utiliser ton chant si ça ne convenait pas…

Pierre : Oui, c’est ça…

Metal-Eyes : …Et tu rajoutes même : « je ne veux pas être mégalo au point d’imposer ce genre de choix ». Ma question est la suivante : à quel point es-tu mégalo ?

Pierre : Alors ça, c’est une très bonne question ! (Il explose de rire) Dans les sujets que je traite dans mes albums, qui parlent de dieux, de mythologies, de grandes choses, après c’est de la mégalomanie avec, j’espère, beaucoup de recul, dans le sens où, avec Melted Space, je n’ai pas d’autre ambition que de proposer à l’auditeur un voyage le temps d’un album, d’une chanson, peut-être même d’un court instant. J’ai un regard un peu pessimiste sur le monde dans lequel on vit, qui ça ne me fait pas rêver. Du coup, je vais me réfugier dans des choses qui, moi, me font rêver, qui sont des références, des influences qui viennent de l’enfance. Des trucs qui m’ont marqué comme Les chevaliers du zodiaque, les jeux vidéo, Les mystérieuses cités d’or… Il y a quand même un fil rouge dans tout ça : ce sont des choses grandioses, extraordinaires.

Metal-Eyes : Un monde d’utopie mélangée à de la naïveté ?

Pierre : Complètement ! Du coup, quand je fais un album, quand je crée une chanson, j’essaye, via le côté assez cinématographique de ma musique, de prendre l’auditeur par la main et lui dire « viens, on va se promener et oublier un peu tout ça. »

Metal-Eyes : Une des particularités de Melted Space c’est le nombre extraordinaire de participants. Il y a des habitués, mais d’autres moins. Comment sélectionnes-tu ces intervenants ? Les rôles ne sont pas les mêmes d’un album à l’autre. Penses-tu en particulier à quelqu’un pour interpréter tel rôle ?

Pierre : Quand j’écris l’histoire, je définis mes personnages. Là, j’ai fait un gros travail de bibliothèque pour lire des choses sur la cosmologie, sur la mythologie autre que gréco-romaine qu’on connait par cœur et qu’on a entendu 600 fois. D’ailleurs, dans Between et From the past, je suis allé chercher beaucoup d’informations scientifiques et littéraires, j’ai lu beaucoup de Stephen Hawkin qui est un très bon vulgarisateur de science. Du coup, quand je crée ces personnages, je fais une fiche par personnage en me demandant comment je le vois, quel caractère j’aimerais lui donner, ce que je voudrais lui faire exprimer, comment il pourrait réagir, quelles sont ses envies, ses attentes… De là, l’orientation vocale se définit. Ensuite, il y a ce que moi j’ai envie de faire aussi. L’exemple plus marquant dans cet album là c’est le personnage de la mort, donc le concept de fin. L’homme en a fait quelque chose de négatif, mais en réalité, il y a un début et une fin, donc ça crée un cycle. Je ne voulais pas rentrer dans le cliché de prendre un chanteur de death ou de black metal, donc tout le monde comprend qu’il est méchant. Je voulais quelque chose de plus aérien…

Metal-Eyes : D’autant plus qu’il y a des croyances qui disent que ce n’est qu’un début, que la mort n’est qu’une étape.

Pierre : C’est ça, d’où, aussi, le choix du titre de la chanson From the begining to the end, parce qu’il y a ce côté cyclique, et ce n’est pas forcément mauvais. Le choix des voix, des personnages se fait en fonction de l’histoire mais aussi de comment j’ai envie d’utiliser le personnage.

Metal-Eyes : Tu viens d’expliquer préparer tes histoires avec des recherches, la rédaction de fiches… Tes univers sont très riches, alors as-tu déjà envisagé de les retranscrire sous forme de roman ? Une grande saga d’héroic fantasy.

Pierre : Alors, de façon générale, je dirais que l’idée de passer par un autre média que la musique m’a déjà traversé l’esprit. En tout cas, ne pas se limiter à juste un disque ou un concert. Ça m’est déjà arrivé d’y penser et ça m’arrive encore. J’ai rencontré il n’y a pas longtemps une metteuse en scène pour envisager, pourquoi pas, des choses ensemble, sous une autre forme. Mais ce sont des projets qui, s’ils peuvent se montrer très enrichissants, passionnants et motivants, demandent beaucoup de travail en amont, beaucoup de temps. L’album a été assez difficile à faire, dans la mesure où l’année dernière n’a pas été terrible d’un point de vue perso et j’ai dû porter deux choses à bout de bras ce qui m’a un peu épuisé… Maintenant, j’aspire à des vacances et un peu de repos, mais ce n’est pas inenvisageable. Avant de me lancer dans un projet qui va me demander deux ou trois ans de travail en amont, à plein temps, j’ai envie de prendre le temps d’y réfléchir. Et s’y j’y vais, j’y vais à fond en ayant pesé le pour et le contre…

Metal-Eyes : Autre chose : Darkening light pourrait-il marquer la fin d’un cycle ? Je parle là d’un cycle visuel (j’aligne devant Pierre les pochettes des 4 albums), il y a des extrémités, avec From the Past et Darkening light bleu nuit, et au milieu une terre qui se détruit, poussiéreuse…

Pierre : Et ben tu sais quoi ? C’est la première fois que je vois les 4 en même temps…

Metal-Eyes : On a un effet de miroir, là…

Pierre : Complètement, oui. Je n’y ai jamais pensé… Je me suis fait la réflexion en passant, chez moi, devant From the past, qu’on était revenu à une même teinte, alors que je n’ai jamais voulu faire un album par couleur…

Metal-Eyes : Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a aussi ces teintes… maronnasse, poussiéreuses sur Between et The great lie, entourées de ces couleurs plus nocturnes.

Pierre : C’est vrai, et tu viens d’utiliser le mot poussiéreux. C’est le mot que j’avais utilisé pour décrire ce que je voulais au graphiste, alors que là, sur les deux autres, j’ai plus orienté les choses sur les grands espaces, le spatial… Pas quelque chose de cassé… Dans l’idée, je suis effectivement revenu vers quelque chose de moins poussiéreux. C’est marrant, là, de voir les 4… Ca me… ça me fait un petit truc. Comme je te disais, ce dernier je l’ai fait dans des conditions pas faciles, je l’ai reçu et mis dans un coin. J’aimerai, maintenant, prendre le temps de les écouter… dans cet ordre là, avec le début, cette espèce de demi-cadence et une fin qui reste ouverte. (NdMP : l’ordre c’est Darkening light, From the past, Between et The great lie). C’est aussi pour ça que j’ai fait cet album : quand j’ai réfléchi à quelle histoire je voulais raconter, j’ai trouvé ça plus intéressant… Jusque là, il manquait un véritable début, donc j’ai voulu expliquer le pourquoi des trois autres. Il me semblait qu’il y avait des fondations qui n’étaient pas posées, et, effectivement, tu parlais de la fin d’un cycle, je peux considérer que c’est le cas, dans le sens où on a maintenant quelque chose de posé, les dernières notes de Darkening light sont les premières de From the past, il y a aussi certaines références dans certains textes, certaines lignes de chant aux autres albums. Donc là, je sais que je peux me dire qu’il y a un gros pavé qui se tient, qu’il y a un univers étendu. J’aime énormément les univers immersifs type Marvel, Star wars ou autres. Maintenant, sur quoi ça va déboucher ? Je n’en sais rien mais aurais-je à un moment envie de raconter la suite de The great lie, est-ce que j’aurais envie de raconter autre chose, est-ce que ça finira ? Pour l’instant, je n’en sais rien. Mais là, effectivement, je pense qu’il y a quelque chose qui se tient, et dont je suis assez fier…

Metal-Eyes : Tu peux l’être, je pense. Darkening light est un tout, cependant, si tu devais ne retenir qu’un morceau de l’album pour expliquer à quelqu’un ce qu’est Melted Space, ce serait le quel ?

Pierre : Hmmm… Pour répondre à ta question, je suis obligé de différencier deux choses : dans l’album, j’ai effectivement une petite chouchoute (rires) qui est Trust in me parce que c’est un combat vocal de lions, parce que Jeff Scott Soto a fait des merveilles, Michael Stahne, depuis The great lie, on est comme des frères. On s’ets revus sur des tournées, des festivals…

Metal-Eyes : C’est ta chouchoute, ce qui sous entend qu’il y en aurait une qui serait plus représentative ?

Pierre : Oui, effectivement. Je pense que dans l’évolution de l’histoire, l’orchestre est beaucoup moins utilisé que sur les autres et petit à petit, on arrive au moment où le Melted space s’est créé et on retrouve ce Melted space qui s’est créé dans les autres albums. Donc, pour donner à quelqu’un qui ne connait pas une bonne idée de ce que c’est, je pense que je prendrais la dernière, Fallen world.

Metal-Eyes : Quel est ton rêve pour Melted Space ?

Pierre : Euh… Quel est mon rêve ? J’en ai plusieurs. L’utilisation d’autres médias pourrait en faire partie, déboucher sur une vraie mise en scène avec orchestre et tout ces chanteurs qui viendraient interpréter leur rôle… Je pourrais rêver d’avoir la belle carrière que peut avoir Arjen Lucassen….

Metal-Eyes : C’est marrant, je pensais à lui ! Il vient de sortir un live avec son projet….

Pierre : Oui, j’y étais, d’ailleurs. Ce sont des moments rares et c’était… Un rêve : réussir à faire à ce point là ce qu’il a fait. C’était vraiment extraordinaire… Et là, j’ai eu envie de dire « quand je serrais grand, je veux faire ça ! »

Metal-Eyes : Ce qui est bien, c’est ton âme d’enfant qui ressort.

Pierre : Je pense que c’est une ambition saine que de vouloir pousser son concept à ce point là, avec une équipe qui le suit. Après, il a quelques années de carrière de plus. Mais ce genre de projet pourrait voir le jour, mais ça demanderait, comme lui, deux ou trois ans de travail. Certains chanteurs m’ont clairement fait comprendre que un concert comme ça, ils étaient partant.