Interview: RED MOURNING

Interview RED MOURNING – Entretien téléphonique avec JC (chant) le 11 octobre 2022

En regardant votre discographie, on se rend compte que vos 3 derniers albums sont séparés de 4 ans. Tu ne peux pas utiliser l’excuse Covid pour les précédents, alors c’est dû à quoi ? De la flemme, manque de créativité, autre chose ?

Non, non (il rit)… Ce n’est pas de la flemme… On est plutôt des bosseurs, des compositeurs acharnés. Nous, ce qui nous intéresse, c’est de sortir de beaux albums. On passe beaucoup de temps à fignoler, on est extrêmement exigeants avec nous-mêmes, on bosse avec Francis Caste qui est lui-même exigeant… On ne se permet pas de dire tous les ans ou tous les deux ans on va sortir des morceaux au kilomètre, on en peaufine un ou deux et le reste c’est du « filler ». On préfère prendre plus de temps et faire les choses bien.

Peux-tu nous raconter la genèse de ce nouvel album, Flowers and feathers ?

C’est le 5ème album du groupe, et c’est un peu la continuité du reste. Comme je te le disais, on compose beaucoup, on a continué à avancer, à sélectionner nos morceaux – on compose pas mal, mais on en jette pas mal aussi. Et puis, on a bien réfléchi aux différents arrangements – pendant la période de confinement, on s’est bien concentrés là-dessus. A un moment, comme on a fait sur les précédents, on s’est arrêtés, regardés et on s’est dit « ok, là on a vraiment de quoi faire un bel album ». Il fa fallu ensuite booker le studio, voire quand Francis était disponible et mettre tout ça en boite avec les changements qu’il peut y avoir en enregistrant aussi.

Tu dis que vous prenez le temps nécessaire pour fignoler et donc être totalement satisfaits de votre album (il confirme). Le précédent, Under punishment’s tree, est sorti il y a 4 ans – devrais-je le rappeler ? Comment analyserais-tu l’évolution de Red Mourning entre ces deux albums, Punishment et Flowers and feathers ?

Chacun d’entre nous a évolué, dans sa pratique et dans sa vie perso, naturellement. Mais au-delà, il y a eu un changement de line up il y a maintenant 5 ans. Ce nouvel album est le premier qu’on a composé et enregistré avec le nouveau guitariste, Alex. Forcément, ça change les choses… Aurélien aussi, notre batteur, s’est beaucoup plus impliqué dans la phase de composition, donc avec des compositeurs un peu différents on retrouve des structures de morceaux qui sont aussi différentes avec notamment des structures rythmiques un peu plus complexes, des structures de morceaux un peu plus progressives, plus compliquées… Et on a aussi continué d’expérimenter avec différents instruments comme l’harmonica, l’orgue, le piano, le banjo, etc. On a aussi ajouté de nouveaux instruments. Ce sont des « petites » choses qui font qu’on a un album qui marque une vraie évolution par rapport au précédent. En tout cas, c’est notre ressenti.

Je ressens une plus grande liberté d’expression dans des tonalités bluesy. Sur les albums précédents, c’était plus « doom des bayous ». Il y a ici des morceaux plus blues tout comme ton chant, tu te permets plus de variété et d’exploration vocale.

Oui… avec la maturité, personnelle et de groupe, on se laisse plus de libertés, les barrières, souvent psychologiques, tombent les unes après les autres. On se rend compte que, parfois, on s’obligeait à faire comme ça parce que c’est les codes du metal. Mais en fait, il n’y a aucune raison de se restreindre et il faut se libérer de ces carcans et expérimenter, faire avancer le schmilblick…

Pour ces nouvelles expérimentations, vous avez changé votre manière de composer au cours de ces 4 dernières années ?

Oui, ça a un peu évolué. Aurélien et Alex on beaucoup plus composé sur cet album et leur manière de faire c’est de composer un morceau en entier chez eux. Après, il y a des phases d’adaptation, de retravail, mais ils ont plus l’habitude d’arriver avec des choses toutes faites. Dans le passé, on composait beaucoup en répètes, on jamait et il en ressortait des choses qu’on modifiait sur place. Là il y a peut-être une approche plus réfléchie, un peu moins…

Bourrine…

(Rires) oui, moins bourrine, moins « on fait les choses au hasard et on verra ce qu’il en ressort ». Je caricature, mais il y a un peu de ça, c’est une approche différente.

J’ai écouté l’album plusieurs fois et, pour moi, il y a10 titres et 10 ambiances différentes. C’est très varié, d’où une question pas évidente : si tu devais ne retenir qu’un titre de Flowers and feathers à faire écouter à quelqu’un qui ne vous connais pas, lui dire « écoute ce morceau, c’est ce que nous sommes », lequel serait-ce ?

Ah, ah, ah ! Bon, dans ta question, il y a une partie de la réponse…  C’est forcément impossible. Il y a des questions de préférence, d’ambiance…

Au-delà de tes préférences… Tu as 5 minutes pour me convaincre d’écouter le reste…

Elle est très difficile ta question… Je vais essayer de te répondre quand même : un titre comme Six pointed star, je le trouve très original : il est entièrement joué au lap-steel, y compris les parties metal. Il y a des harmonies vocales, de la violence aussi, donc je mettrais sans doute celui-là… Mais, comme tu le disais, l’album est très varié, donc la réponse est difficile.

Je suis assez d’accord avec toi, il vous représente bien. En revanche, un morceau qui n’est pas représentatif de l’esprit Red Mourning mais qui peut indiquer ce vers quoi vous tendez, c’est Blue times…

C’est marrant, parce que ce morceau-là est le seul qu’Aurélien a composé de A à Z, y compris les paroles. C’est moi qui le chante, mais oui, il change un peu. On s’autorise l’acoustique, et on aime intégrer ce genre de choses de plus en plus. Il est beau, ce titre…

Et ton chant est beaucoup plus « passe partout », ta voix est plus douce…

Oui, je me suis aventuré un peu sur d’autres façons de chanter. D’ailleurs, on sort un clip pour ce morceau en novembre.

La pochette également est assez sobre. Il y a une volonté de votre part de montrer une Red Mourning plus sobre ?

Oui, tout à fait. On avait envie aussi de montrer qu’on explore autre chose dans notre identité visuelle, que là aussi on veut s’affranchir des codes. On a voulu quelque chose de plus clair tout en restant organique, quelque chose de simple et agréable, qui soit chaud, on en sent la matière. On a travaillé avec Morgane qui est graphiste et qui avait déjà fait des designs pour nous, des T-Shirts… Oui, il y a une volonté d’aller vers quelque chose de plus clair et différent.

Au niveau des textes, il y avait un thème assez clair sur l’album précédent, y a-t-il ici aussi un thème, y a-t-il des choses qui ressortent plus particulièrement ?

Oui, il y a des thèmes qui ressortent. Ça reste principalement des sujets de préoccupations personnelles qu’on retrouve sur tous les albums. Les textes sont écrits par rapport à des expériences personnelles à différents moments de ma vie, qui tournent autour de choses qui changent, qui disparaissent, qui n’ont plus de sens… Avec l’expérience du Covid, il y a plein de gens qui se sont posés des questions sur leur vie, sur ce qui avait du sens pour eux… et c’est un questionnement qui peut toucher tout le monde : qui on est, pourquoi on accorde de l’importance à certaines choses.

Et y a t-il, au contraire, des thèmes que vous n’aborderiez pas, qui n’ont pas leur place dans le groupe ?

(Il réfléchit) En fait, on ne s’est jamais vraiment posé la question… C’est moi qui arrive avec mes textes et, systématiquement, quand j’écris, c’est toujours sur des ressentis personnels. On n’est pas un groupe politique, donc on ne va pas aborder de thématiques politique contemporaine, même si on a naturellement nos convictions – là, j’ai mon T-shirt Ukraine, je le porte sur scène mais ce ne sont pas des sujets que j’aborde.

Pour terminer, quelle pourrait être la devise de Red Mourning ?

Euh… « Soyons fidèles à nous-mêmes ». Cette musique qu’on fait, on s’exprime et on laisse s’exprimer qui nous sommes. Il faut se regarder en face et pas essayer d’aller reproduire autre chose que ce qui nous correspond.

 

RED MOURNING: Flowers and feathers

France, Metal (Bad reputation, 2022)

Ils ne sont pas pressés les gars de Red Mourning. Un album tous les 4 ans, c’est peu. Mais on ne leur en veut pas car 1/la crise sanitaire est passée par là (mais on va commencer à arrêter d’utiliser ça comme excuse, non?) et 2/ le groupe parvient à se réinventer et ça, c’est bien! Rappelez-vous, leur précédent album était brutal et taillait directement dans le gras. Ici, avec Flowers and feathers, Red Mourning nous propose une dizaine de titres qui savent explorer diverses ambiances, du brutal –  on ne se refait pas – au plus calme, du heavy aux ambiances plus rassurantes et intimistes. Leur nouvel opus, Flowers and feathers, est tout aussi barré qu’intrigant. OK, les deux vont souvent de pair, simplement, cette fois -ci, les gars ont délaissé, en partie tout du moins, ce hardcore aux tonalités parfois sudistes qui les caractérisait au profit d’un doom des bayous dans lequel il fait bon s’enfoncer. 10 titres, 10 ambiances avec un chant ( JC Hoogendoorn) souvent graveleux voire guttural mais souvent, aussi, chaleureux et doux comme sur Blue times. Alors que l’on pouvait avoir l’impression de se sentir dans les bayous de Louisiane, Red Mourning nous entraine aujourd’hui sur des sentiers stoners et bluesy. Les constructions, parfois alambiquées, intriguent et entraînent l’auditeur dans le sillage un peu dingo, parfois criard, souvent lourd mais toujours – à quelques hurlements près – efficaces. Je n’ai pas le souvenir d’avoir trouvé Red Mourning aussi ouvert musicalement qu’il l’est aujourd’hui. La variété des morceaux fait toute la richesse de ce nouvel album, à la fois brutal et doux, enragé et mélancolique. Avec Flowers and feathers, et sans jamais se renier, Red Mourning semble avoir vraiment trouvé sa voie, celle d’un heavy brutal et bluesy doublé d’accents sudistes enjoués. Un cap est franchi, brillamment. Bravo!

 

RED MOURNING: Under punishment’s tree

Metal, France (Bad reputation, 2018)

Voici 4 ans que Red Mourning a livré sa dernière offrande explosive… Mélangeant un chant aussi hargneux que ses riffs et des voix plus bluesy, des riffs tranchants et des rythmes rentre dedans, les 13 titres de ce nouvel opus, Under punishment’s tree, ne font pas dans la dentelle.  Dès A whole different life, le message est clair: ça taille dans le gras, directement et sans concession. Et jamais Red Mourning ne relâche la pression. Si l’on a parfois l’impression de se retrouver au milieu d’un Oh brother déjanté, la virulence vocale nous ramène à la réalité. Cependant, malins, les Français parviennent à lier ce maelstrom auditif à des mélodies sous-jacentes inspirées d’un blues lumineux. Ce mélange d’ombre et de lumière, de violence et de douceur est à la fois détonnant et attirant. Difficile à suivre d’une traite quand on n’aime pas les voix gutturales, mais pour ceux qui apprécient, c’est un vrai défouloir. Red Mourning n’a décidément pas dit son dernier mot!