BEYOND THE STYX: Sentence

France, Hardcore (WTF records, 2022)

Rater (accidentellement, c’est évident) une interview peut avoir ceci de bon: un recalage à domicile dans un contexte moins carré: l’interview devient alors discussion et la demi-heure originellement planifiée peut s’étendre à l’envi. Echanger avec Émile Duputié, le chanteur des Tourangeaux de Beyond The Styx, au sujet de Sentence, le troisième album du groupe est riche de plaisir. Seulement, même si l’ami Covid est passé par là, Stiigma, le précédent album du groupe, est sorti il y a 4 ans. Qu’a fait le groupe depuis? « On a tourné pendant deux ans pour soutenir Stiigma, et une troisième année, pas prévue à la base, a été planifiée. Stiigma a bien fonctionné, a eu une très bonne réception de la part des programmateurs et du public. On était censés continuer de tourner et composer l’album en 2019 et 2020. Mais il y a eu deux évènements majeurs qui nous ont freinés. A l’été 2019 on avait déjà une démo et on a été signés par WTF records, album qu’on devait à l’origine sortir au premier trimestre 2021. Mais Victor, notre guitariste lead, a fait le choix, pour des raisons personnelles, d’arrêter toute aventure de groupe. On a dû renouveler les troupes, on a casté plusieurs guitaristes et on a fini par trouver Arnaud début 2020. Il avait quasiment fini de maitriser notre set, on a fait deux dates avec lui, et paf! On se retrouve en mars, complètement arrêtés. une date en deux ans, c’est très peu… On dispose de notre local de répétition, ce qui nous a beaucoup facilité la tâche. Mais dès lors que les déplacements se sont limités aux départements, c’est devenu compliqué. Entre Angers, Tours et Paris… »

Sentence a été enregistré à Blois « avec Christian Donaldson  qui, lui, vient même d’un autre pays, du Canada. Ca a été très compliqué pour lui de venir, mais ça a pu se faire et on a commencé mi juillet 2021. On a enregistré en 2 semaines. ce n’était pas la première fois qu’on enregistrait, ce qui a rendu les choses plus faciles, pour nous, pour notre ingé son. » C’est la première fois que le groupe enregistre avec Arnaud. Qu’a-t-il apporté au groupe? « On ne l’a pas recruté uniquement pour ses qualités musicales…. Qui dit groupe dit aussi vie sociale. Arnaud, on le connaissait un peu à côté et tourner, enregistrer, vivre ensemble, c’est aussi une expérience humaine. On savait qu’humainement c’est quelqu’un de simple, drôle et il respecte ses engagements. »

Naturellement, un groupe évolue entre deux albums. Comment Émile analyse-t-il celle de Beyond The Styx entre Stiigma et Sentence ? « Je dirais que Sentence est un brin plus… « incisif » que Stiigma, si c’est possible. C’est le genre de pavé dans une mare qui éclabousse vraiment ». D’évidence, le groupe à la rage au ventre et exprime sa colère avec une virulence non feinte. Dix titres brutaux, qui allient hardcore pus jus, punk et thrash à un chant hurlé et agressif, difficilement compréhensible sans le livret. D’ailleurs, « Christian, lui, semblait comprendre ce que je hurlais et il voulait corriger mon accent. Il trouvait que certaines phrases, certains mots ne collaient pas rythmiquement. Je pense qu’on a gagné en puissance, qu’on a gagné de ce point de vue: une puissance clairement affirmée et prononcée. » Ce qui surprend, c’est d’entendre un hurleur aussi agressif que lui parler d’une voix douce, calme, posée et bienveillante et presque fluette. Comment travaille-t-il sa voix? « Je pense que ma douce voix, je ne la travaille pas, sauf dans ma vie professionnelle puisque je suis éducateur. Ce qui nous oblige à savoir, un peu comme au théâtre, à savoir jouer sur les intonations. Ce n’est pas en parlant fort qu’on obtient grand chose de quelqu’un… Ma voix plus saturée, je l’ai travaillée, même si je ne dispose pas à mon sens d’une technique folle. Je peux juste parler en termes d’intonations de voix, mais pas plus. Je chante avec mes tripes. Ce n’est pas le fait d’avoir fait un stage de chant saturé avec David Ferond qui a révolutionné ma façon de canter si ce n’est deux choses: l’échauffement et l’hygiène de vie, deux choses importantes pour pouvoir tenir une voix. Il m’a aussi fait comprendre l’importance du diaphragme, un instrument magique. » Émile envisage-t-il un jour, comme d’autres le font, d’alterner avec du chant clair? « Non, pas du tout! Inenvisageable, en tout cas pas avec moi au chant. Si un jour ça se fait, ce sera invité, mais pas moi. J’ai peu de certitudes, mais celle là, c’en est une. »

La lecture de certains titres peut également évoquer certaines choses: Self hatred, par exemple, est-il un titres autobiographique? « Waow! j’aime bien ces questions inhabituelles! Peut-être en partie… Une partie de moi, oui, en bon Gémeau que je suis. J’ai toujours du mal à me distancer du genre humain dont on a été séparé depuis 2 ans. Quand je parle de la haine de soi, c’est la haine de sa propre espèce. On a parfois l’impression d’être entourés de personnes plus monstrueuses les unes que les autres alors que nous sommes censés être l’espèce ultime, dotée de conscience. De quoi? Je m’interroge… J’ai l’impression qu’on est une espèce de plus en plus auto centrée, et ça m’agace au plus haut point! » Les thèmes abordés font sur cet album référence à l’humanité et au pouvoir, aussi. Émile reconnait volontiers, comme nombre d’autres, avoir mal vécu la période de confinement, en bon citadin vivant en appartement. « Collateral fait référence aussi au pouvoir que nous avons tous. On est tellement écrasés par la technologie, par le quotidien… d’une certaine manière, on a l’impression que nous ne sommes que juste bons à être dans notre quotidien sans pouvoir en sortir… On nous parle du monde d’après mais il reste encore à construire. »

Collateral est un des titres qui a fait l’objet d’une video, démarrant en partie d’air soft version jeu de guerre (OK, c’est pareil) pour terminer sous forme de jeu vidéo tourné en automne. « Non, ça a été tourné en forêt de Chinon en plein hiver. On l’a fait le 1er janvier. » Overload montre une tête d’ampoule bouffeuse de pizzas. « oui, oui… Le thème, c’est un peu ce que j’ai eu l’impression de traverser pendant le confinement: cette impossibilité de projection dans l’espace et dans le temps. On est conscient qu’il y a un mur qu’on ne pourra pas franchir. Ca aborde le thème du burn out avec tout ce qu’on a pu nous imposer, à tort ou à raison parce qu’il y a aussi de la raison dans ce confinement. »

Tous ces éléments, les nuages, la puissance, l’impuissance, on les retrouve sur la pochette. Avec ce personnage qui porte le numéro 7 sur son maillot. une signification particulière? « Ah! Tu es le second à m’en faire part, mais le premier en interview…  Ammo, le graphiste, est parti du numéro 80 que je porte sur un maillot de la NFL. D’ailleurs, dans Collateral, un joueur porte le maillot avec le numéro 8, chiffre qui peut renvoyer à l’infini. » Cette notion de pouvoir, on la retrouve partout sur la pochette, de l’ado à l’immeuble  prêt à tomber sur le Cerbère… « Là, pour le coup, tu es le premier à m’en parler. C’est bien, ça me fait voir des codes que je ne voyais pas au départ! »

Si le vocaliste devait ne faire écouter qu’un titre de Sentence pour définir ce qu’est aujourd’hui Beyond the Styx, ce serait lequel? « Je m’arrêterais au choix du groupe, je pense. Pas forcément ma préférée mais DC est représentative avec l’aspect metal, hardcore, un tempo assez contrasté. Si on aime pas celui-là, il y a peu de chance qu’on aille plus loin! »

Terminons avec ce classique de Metal-Eyes: quelle pourrait être la devise de Beyond The Styx? « On en a déjà une, c’est une devise que j’ai écrit en anglais: No more borders, cross the river. Plus de frontières, traversez la rivière. Ca rime aussi en français, je m’en rends compte juste là en traduisant (il rit). Brisons un maximum ces frontières qui peuvent nous distancier les uns des autres. »

Brutal et intègre, Sentence est sans aucun doute un album à découvrir en live. Amateurs de hardcore et de thrash, lancez-vous!

Entretien téléphonique mené le 11 février avec Émile Duputié (voix)

PRIMAL AGE: Masked enemy

France, Hardcore (WTF records, 2021)

Avec Masked Enemy, leur nouvel album – cinquième méfait, les Français de Primal Age, que certains ont pu découvrir lors de la dernière édition du Hellfest (2019) veulent frapper un grand coup . Fidèles à leurs brutales convictions musicales, les 5 nous délivrent un hardcore sans concession, direct et dans ta face. La rage est présente de bout en bout, cachée par une intro faussement rassurante. Les thèmes abordés sont actuels – défense de l’écologie et de la cause animale, végétarisme, consommation de masse… – et l’on imagine volontiers le groupe s’engager auprès d’ONG et d’associations diverses. Alors certes, les amateurs de colère vont être servis, la brutalité est à l’image d’une charge de cavalerie syncopée et épileptique – Rollins & Co. n’ont qu’à bien se tenir, croyez moi ! – mais il est difficile de suivre cet album d’une traite. A mi parcours, une pause s’impose afin de mieux repartir. C’est que 11 morceaux, 11 bastos, plutôt, ça ne se digère pas en un claquement de doigts. Non, il faut un peu de temps pour tout assimiler. Sensations fortes assurées.