Interview: ANTI FLAG

A quelques jours de la sorti de 2020 vision, nouvel album des punks américains de Anti Flag qui sera en bacs le 17 janvier 2020, Metal Eyes est allé parler, pour cette dernière interview de 2019, de politique, du monde et du reste avec Justin Sane, guitariste chanteur d’une douceur et d’un engagement sans pareils.

Interview Anti-Flag. Rencontre avec Justin Sane (chant, guitare). Propos recueillis à l’hôtel Alba Opéra à Paris le 3 décembre 2019

 

 

Metal-Eyes : Je suis en présence de… j’allais dire Justin Time, non, Justin Sane de Anti Flag

Justin Sane (il rit) : Non, tu es juste à l’heure ! Moi, je suis Justin Sane !

 

Metal-Eyes : Tu es là pour nous parler de votre nouvel album, qui arrive le 17 janvier 2020. Tout d’abord, American fall est votre dernier album studio paru en 2017, suivi de American reckoning, en 2018, qui est un album acoustique de reprises de vos deux précédents albums. Quel était l’objectif de réaliser cette compilation acoustique ?

Justin Sane : Je pourrais en parler longtemps…

 

Metal-Eyes : On ne dispose que d’une demi-heure…

Justin Sane : Alors, je vais à l’essentiel. Nous avons joué en acoustique de plus en plus souvent et certaines chansons que nous jouions ainsi n’avaient jamais été enregistrées. Certaines personnes les avaient simplement entendues en concerts, et on a voulu les proposer aux autres. Ça, c’était le point principal. On a enregistré quelques reprises, chacun avait un morceau en tête qu’il voulait enregistrer depuis longtemps – moi, c’était Cheap Trick. Le projet s’est affiné mais il n’y avait pas de véritable travail, nous n’étions pas à fond dedans. A cette époque, ma mère avait été diagnostiquée avec un cancer et je voulais faire quelque chose de créatif mais je n’avais pas l’énergie de me dire que j’allais composer un album. Je me suis dit que ce serais cool de pouvoir travailler sur un disque qui avait déjà été écrit pour moi, et on s’est attaquer à ces versions acoustiques.

 

Metal-Eyes : Le résultat était intéressant et surprenant.

Justin Sane : Oui, c’était intéressant. Je ne dirais pas que c’est notre meilleur album, mais c’était une expérience différente.

 

Metal-Eyes : Ce disque a en quelque sorte clôt la trilogie « American » qui avait débuté avec American Spring en 2015, un an avant l’élection de Donald Trump.

Justin Sane : Exact, oui, oui…

 

Metal-Eyes : Maintenant, nous arrivons en 2020. La pochette de votre nouvel album est assez explicite – 2020 vision, avec un Trump complètement brouillé. Une question : qui penses-tu pourrait affronter Donald Trump lors des prochaines présidentielles ?

Justin Sane : Et gagner ?

 

Metal-Eyes : Simplement s’opposer à lui… Il y a Bernie Sanders qui revient, mais à part lui ?

Justin Sane : Je pense que Bernie pourrait remporter ces élections. La raison principale… Nous habitons à Pittsburg, en Pennsylvanie. Il y a un mélange culturel très intéressant, et Pittsburg est surnommé le Paris des Appalaches (il rit). Où en étais-je ??? Ah oui, ce que je veux dire c’est que nous habitons dans les Appalaches, et beaucoup de gens pauvres vinent là-bas. C’est une résultante du système économique dans lequel nous vivons, beaucoup de gens sont restés sur le carreau. Il est très intéressant de voir que 20 ans après les manifestations anti accords mondiaux du commerce à Seattle et Washington qui ont vu des gens s’élever contre cette mondialisation économique pensant que ça allait affecter beaucoup de gens, l’économie et la planète. Nous voici 20 ans plus tard et on se rend compte que ces prévisions sont exactes : la planète meurt, il y a des gens comme Donald Trump qui sont parvenus à exploiter le système économique pour avoir plus de pouvoir – et finir à la Maison blanche…Beaucoup de personnes qui ont voté pour lui l’ont fait pas parce qu’elles sont racistes ou autre, mais parce qu’il disait que « le système est corrompu, Hillary Clinton fait partie du system, je n’en fais pas partie et je vais travailler pour vous ». Quand tu parles avec les gens des Appalaches te dirons qu’elles ont voté soit pour Trump, soit pour Sanders, parce qu’ils étaient tous deux vus comme des outsiders. Ils auraient voté pour n’importe quelle personne vue comme un populiste extérieur au système. Je crois que Bernie Sander est un de ces outsiders qui a vraiment envie de se battre pour les plus démunis là où Trump est arrivé avec ce côté faussement populaire, et ses idées d’extrême droite, néo fascistes et on a maintenant un suprémaciste blanc à la Maison blanche… C’est pour cela que je pense que Sanders peut le battre.

 

Metal-Eyes : Mais il y a de fortes probabilités pour que Trump soit réélu…

Justin Sane : De très fortes possibilités, oui. Comme Bush a été réélu. Et il était très peu populaire quand il é été réélu…

 

Metal-Eyes : De ce que j’ai pu écouter de l’album, 2020 vision est plus heavy que vos deux précédents efforts (il confirme). Où avez-vous puisé l’inspiration pour retrouver cette énergie et la repositionner dans votre musique ?

Justin Sane : Tu sais, ça vient sans doute du fait que nous avons décidé d’écrire un album qui traite de maintenant. Souvent, sur nos albums précédents, on parlait de choses plus généralistes, et même si on abordait des sujets d’actualité, nous ne mentionnions pas George Bush ou Barak Obama. Maintenant, nous pouvions parler de leur politique intérieure ou extérieure… Nous sentons, avec Trump, que nous passons à autre chose : dans notre histoire moderne, on n’a jamais vu un néo fasciste de son niveau entrer à la Maison Blanche. Ce disque devait traiter de lui, de lui en tant qu’icône de poster pour tous ces extrémistes qui gagnent du terrain partout dans le monde. Mais si nous devions composer un disque qui traite de « maintenant » alors donnons lui le son d’aujourd’hui. Nous ne voulions pas répéter nos deux derniers albums, nous avions l’intention, volontairement, d’aller explorer d’autres horizons qui feraient que les gens puissent dirent que c’est bien un disque de la fin des années 2020.

 

Metal-Eyes : Alors comment analyserais-tu l’évolution musicale de Anti Flag entre vos deux derniers albums ?

Justin Sane : Mmh… Clairement, il y a un certain nombre de choses. Trump pourrait n’être que le symptôme d’un problème beaucoup plus vaste. Mais s’il n’est qu’un symptôme, il est toujours LE symptôme. Je veux dire qu’il représente vraiment le pire de tout ce qu’il représente.

 

Metal-Eyes : Le pire, et sans doute aussi le plus comique de ce qu’il veut représenter…

Justin Sane (il rit) : Oui, c’est vrai ! Ce serait tellement distrayant de voir ce type de comédie ! Mais c’est une comédie, d’une certaine manière. Sauf que cela affecte vraiment la vie des gens, et c’est là que c’est vraiment douloureux. Je crois que ce que nous avons voulu faire avec ce disque, c’est de laisser les gens considérés comme des boucs-émissaires, les persécutés, les membres de la communauté LGBT, les pauvres, les femmes… Laisser savoir aux gens qui se sentent persécutés qu’il y a d’autres personnes qui sont à même de prendre leur défense. Nous, on est quatre mecs blancs dans un groupe, et cela nous donne un privilège que beaucoup de gens, dans notre société, n’ont pas. Nous voulons que les gens persécutés sachent que nous sommes là pour eux ; « nous sommes là pour vous, pour prendre votre défense, nous élever avec vous si vous avez besoin de nous pour vous aider ». Il s’agit bien de solidarité, parce que nous savons bien que, nous aussi, nous pourrons avoir besoin de l’aide d’autrui à certains moments. C’est vraiment le message que nous voulons faire passer avec ce disque, vous pouvez compter sur nous.

 

Metal-Eyes : Ce qui semble être très clair. Si tu devais ne retenir qu’un seul titre de 2020 vision pour expliquer ce qu’est Anti Flag aujourd’hui, lequel serait-ce et pour quelle raison ?

Justin Sane : J’adore Don’t let the bastards beat you down, parce qu’il s’agit, en effet, uniquement de solidarité. Nous prenons en compte le fait que le monde actuel connait beaucoup de problèmes. Pour moi, ce morceau nous ramène aux tout débuts du groupe, à la raison pour laquelle on a monté ce groupe : nous avons cette musique, elle est celle d’une communauté de gens, s’adresse à tout le monde. Si tu es inadapté, cette musique est pour toi. Si tu es plus dans le courant, mainstream, mais que tu crois en l’entraide, que tu es emphatique, alors, notre musique est aussi pour toi. Si tu es quelqu’un qui s’intéresse à quelqu’un d’autre que ta petite personne, notre communauté est faite pour toi.

 

Metal-Eyes : Si tu veux construire des ponts plutôt que des murs…

Justin Sane : Exactement ! Pour moi, cette chanson est fun, elle est dynamique, mais témoigne du fait que les problèmes existent mais que nous pouvons lutter ensemble. Si nous remontons à nos origines, la raison pour laquelle je me suis investi dans le punk c’est que c’était fun ! Je m’intéressais à la politique, mais le fait est que lorsque j’allais en concert, on s’amusait avant tout. Si les gens ne se sentent pas bienvenus dans un endroit, ils n’auront aucune envie d’y rester. Cette chanson couvre un peu tous ces aspects.

 

Metal-Eyes : Tu parles de concerts. Vous serez en juin à l’affiche du Hellfest. La dernière fois que vous y avez joué c’était en 2013. Mais vous allez cette fois jouer assez bas sur l’affiche. N’est-ce pas un peu frustrant pour toi ?

Justin Sane : C’est juste un défi, on a intérêt à tout donner ! On a 40 minutes, donc à nous de prouver que nous méritons d’être là.

 

Metal-Eyes : Et vous allez jouer sur la nouvelle Warzone, que vous n’avez pas encore vue…

Justin Sane : Oui, j’ai entendu qu’elle est vraiment super. Tu sais, on ne fait pas vraiment attention à notre position sur l’affiche d’un festival. Si tu joues tôt, les gens sont en forme et excités, prêts à foncer ! Et ils ne sont pas encore bourrés ! Alors parfois, c’est positif de jouer tôt. Au milieu de la journée, le public peut avoir un coup de mou, et en fin de nuit, ils sont rincés. Et nous avons joué sur tous ces créneaux… En festival, j’aime bien jouer tôt. Et ça a un avantage : une fois que tu a donné ton concert, la pression retombe, tu peux aller voir les concerts des autres, boire, prendre du bon temps.

 

Metal-Eyes : Donc on se retrouvera là bas !

Justin Sane : Et à la fin de la journée, il y a de fortes chances que je sois bourré ! (rires)

 

Metal-Eyes : Il n’y a pas que le Hellfest, quels sont vos autres projets de tournée ?

Justin Sane : Nous commençons à tourner en Europe le 7 janvier et l’album sortira le 17. Ensuite, nous retournons aux USA, puis ce sera les festivals d’été, et nous resterons ensuite en Europe, donc beaucoup de concerts en vue. Je ne sais pas encore quand nous serons en France, j’espère à l’automne 2020.

 

Metal-Eyes : Quelle pourrait être la devise de Anti Flag en 2020 ?

Justin Sane (avec un large sourire, avant d’ éclater de rire) : Ne laissez pas les bâtards vous abattre !

 

Metal-Eyes : Facile, mais elle est efficace !

Justin Sane : Oui, mais on s’en sert… On a fait des bannières qui le disent. Je veux rappeler aux gens qu’il ne faut pas baisser les bras. Les gens au pouvoir conservent leur pouvoir en nous faisant croire, de manière cynique, que nous n’avons aucune chance. Je ne ferais pas tout ça, je n’écrirais pas ces chansons si je croyais que nous n’avions aucune chance. C’est marrant, on en parlait plus tôt : en France il y a eu mai 1968, et là, il y a ces grosses manifestations qui arrivent mardi (NdMP : l’interview a eu lieu avant la première mobilisation contre la réforme des retraites du 5 décembre). En 1968, beaucoup de gens pensait que ça n’allait être qu’un week end de manifestations, mais ça a complètement changé la société. Il se pourrait qu’il ne s’agisse pas que « d’une autre grève », ça pourrait être à l’origine de quelque chose de plus important. L’étincelle qui embrase tout, et c’est cela dont les pouvoirs en place ont toujours peur. C’est pour cela que ce type de mouvement puisse mettre le feu, et que tout change, que cela leur fasse perdre leurs pouvoirs. C’est pour cela qu’il faut toujours pousser plus loin, résister, car quand il y aura cette ouverture, ça peut donner quelque chose de très grand.

 

Metal-Eyes : Quelle est alors ta vision du monde en 2020 ?

Justin Sane : Je crois que notre album traite simplement du fait que nous vivons dans une sorte de dystopie. Il existe littéralement des camps de concentration aux frontières américaines, il y a des camps de concentration en Chine, il y en a beaucoup un peu partout dans le monde. Regarde de quelle manière les réfugiés ont été traités en Europe. Que se passe-t-il aujourd’hui, d’un point de vue écologique, économique, humain ? C’est insoutenable et je crois que notre vision est de dire que les enjeux du monde de actuel sont tels que la sortie ne peut pas être positive… Il faut une nouvelle vision de comment faire les choses, et cela commence par reconnaitre que tout le monde a droit à la dignité, à l’humanité. Ce serait un bon point de départ…

 

Metal-Eyes : Allez, cessons d’être sérieux et terminons avec ceci : quelle est ta blague préférée ?

Justin Sane : Ma blague ? Ah, fuck !!!

 

Metal-Eyes : Non, ça, ce n’est pas une blague…

Justin Sane : Comme ça, j’en sais rien…

 

Metal-Eyes : C’est la première fois que je la pose celle là…

Justin Sane : Elle est super, j’adore. Mon frère est un magicien, et il est aussi maitre en arts martiaux, une sorte de ninja. Il donne un spectacle où il mélange les deux c’est impressionnant, moi ça me fait rire. Ce n’est pas une blague, je sais, m’ais si mon frère était là, il aurait une très bonne blague à te raconter (il explose de rires). Et toi, c’est quoi ta blague préférée…

 

Metal-Eyes : Merde, comme toi, j’en ai aucune qui me vienne ! J’aurai dû m’y préparer aussi ! En tout cas, merci pour cette interview et nous nous reverrons au Hellfest.

Justin Sane : Si on se croise au Hellfest, viens prendre un pot avec moi. Je ne suis jamais trop bourré pour un autre verre (nouvelle explosion de rires) !

 

 

ANTI FLAG: American reckoning

Punk acoustique, USA (Spinefarm, 2018)

Anti Flag a décidé de prendre son public un peu de court… Les punks anarchistes américains sont de retour avec un nouveau volet de la série « American »: après American spring et American fall, ils nous offrent aujourd’hui American reckoning. Il s’agit en réalité de versions acoustiques des deux albums précités, et le résultat est plus qu’intéressant. Si le chant garde ce côté narquois qui sied tant au punk, le reste est dépouillé et sobre. 7 chansons sont ainsi revisitées, Anti flag leur apportant une autre couleur. Puis, le groupe décide d’un contre pied total avec 3 reprises retravaillées à leur sauce. Autant dire que s’il est surprenant d’entendre Gimme some truth de Lennon aussi électrifiée, la chanson en devient rageusement séduisante, au même titre que For what it’s worth (Buffalo Springfield) et Surender (Cheap Trick). Judicieux et efficace, comme choix qui permet à ce disque de se démarquer de la concurrence. American reckoning, s’il doit être la conclusion d’une trilogie, vient superbent la clôre.

ANTI-FLAG: American fall

Neo punk, USA (Spinefarm, 2017)

Ils ont quoi, tous ces groupes US nés dans les 90’s qui se disent issus de la mouvance punk à nous pondre des albums aujourd’hui tout sauf dangereux? Anti-Flag semble suivre les traces des Sum 41, The Offspring ou autres Green Day. C’est efficace, certes, mais trop popisant pour être vraiment l’oeuvre d’un groupe encore en colère. Attention: le chant de Justin Shane a toujours ces intonations narquoises et irrévérencieuses, les influences punks ou ska sont bien présentes un peu partout, cependant le son est trop propre pour le genre, manque de crasse. Selon mes critères, évidemment! Les Ohohoh que l’on retrouve partout sont toutefois une invitation à faire la fête et foutre un gentil bordel. American fall est un album festif, efficace, loin du punk mais, après tout, bigrement entraînant.