Interview ARKAN: entretien avec Samir (basse) Propos recueillis par téléphone, le 9 octobre 2020
Metal-Eyes : Samir, Arkan sort son cinquième album. La première chose : pourquoi ce titre Lila H qui est l’anagramme de Hilal, votre album de 2008…
Samir : Ahhhh ! Tu as trouvé le truc (rires) ! C’est quelque chose qu’on n’a pas dit, on la laissé en mode « off », donc, chapeau ! En fait, il veut dire beaucoup de choses… c’est en effet l’anagramme de notre premier album, Hilal, mais en arabe, ça veut dire « pour Dieu ». Tu connais le concept de l’album, qui parle de ces fous de Dieu qui ont fait tous ces massacres pendant la décennie noire en Algérie. Lila, ça veut dire « la nuit », donc cette période sombre de l’Algérie, cette période sombre dans nos vies, pour tous ceux qui ont grandi pendant cette période-là. Et Lila, c’est aussi un prénom féminin. Pour nous, c’est un peu le petit enfant qui se balade dans les décombres. C’est un personnage que tu vas trouver dans un de nos clips, Broken existences.
Metal-Eyes : Ces décombres qui remontent à 1991 d’après le making of que vous avez posté… Comment en êtes-vous arrivés à faire ressortir ces évènements ? Vous ne les avez pas tous vécus ?
Samir : Non, pas tous. Mus (El Kamal, guitares) avons grandi en Algérie. Je suis arrivé en France, j’avais 25 ans. Toute cette période-là, effectivement, on l’a vécue de plein fouet. On avait 11 ans en 90, et toutes les années qui ont suivi, de 11 à 21 ans… Normalement, ces années là, celles de l’adolescence, sont les plus belles d’une vie, ben, voilà, nous on l’a vécu comme ça : entre des attentats, des alertes, des massacres… On en entendait tous les jours. On a eu de la chance, on n’a pas été touchés dans notre chair, mais c’est toute une génération qui a vécu cette époque.
Metal-Eyes : J’imagine qu’écrire un album comme ça est aussi une sorte d’exutoire. Qu’est-ce qui a été le déclencheur ?
Samir : A la sortie de Kelem, notre quatrième album, on se posait la question du suivant. On aime bien composer, Mus arrive toujours avec de nouvelles idées, et au fur et à mesure de nos discussions, Manu (manuel Munoz, chant), qui est arrivé pour Kelem, apprenait à nous connaitre. Il commençait à entendre toutes nos histoires et je pense qu’e ça l’a un peu choqué. En plus, nous, quand on les raconte, on met un peu de légèreté, mais c’est une sorte de défense… Florent (Jannier, chant et guitare) a proposé de raconter ça pour l’album suivant. C’est comme ça que c’est venu.
Metal-Eyes : Et ça fait du bien ?
Samir : Ecoute… Je n’ai pas suivi de psychothérapie après cette décennie, mais c’est clair qu’en parler, vulgariser quelque chose que tout le monde ne connait pas forcément, c’est important. Nos potes, nos amis qui ont vu ça quand ils étaient ados, ils l’ont vécu de loin. C’est important qu’ils sachent comment on l’a vécu, et aussi, pour les générations actuelles en Algérie, c’est important de retranscrire cette époque pour qu’ils ne retombent pas dans les mêmes travers …
Metal-Eyes : Justement : l’Algérie, c’est ton pays d’origine. Quelle est la situation d’Arkan en Algérie, quel impact pouvez-vous y avoir ?
Samir : On a déjà joué en Algérie il y a trois ans pour un festival, ça s’est super bien passé. Je pense qu’à un certain moment, quand on fait des gros concerts – on a déjà joué avec des groupes comme Paradise Lost, Arch Enemy ou Sceptic Flesh – nos compatriotes sont contents de voir que certains Algériens qui ont commencé dans la scène metal algérienne – on avait déjà un groupe quand on était en Algérie – ont évolué. Je pense qu’on est plutôt bien perçus.
Metal-Eyes : Dans la vidéo de présentation de Lila H, vous dites « Arkan a le souhait de transmettre des valeurs ». Quelles sont les valeurs d’Arkan ? C’est seulement pour te démontrer que je suis allé le voir, hein…
Samir (il rit) : Ben… C’est bien ! Déjà, tu m’as bluffé avec l’anagramme, donc, c’est bon (rires). Nos valeurs ? Chaque album qu’on fait, c’est un concept, on cherche à raconter des histoires. La musique, c’est un langage universel, qui raconte plein de choses. Que tu comprennes ou pas un titre, tu es emmené, c’est un peu un voyage. On veut pouvoir faire voyager nos auditeurs et nos fans. Nos valeurs, c’est surtout cette musicalité qu’on veut partager.
Metal-Eyes : Justement ? en parlant de musiclité… La musique d’Arkan est à la fois très extrême et très variée, vous avez deux chanteurs qui ne se cantonnent pas que aux hurlements caractéristiques du death mais qui vont moduler tout au long de l’album. Vous travaillez comment ces voix ? Par rapport au message de chaque chanson ?
Samir : Il faut savoir que nos chanteurs bossent ensemble. Beaucoup. Et le chant, death ou clair, est travaillé d’un commun accord. Comme je te disais, nous, on travaille par rapport à des concepts, eux travaillent en rapport avec les paroles. Si l’intensité des paroles requiert quelque chose de très dur et percutant, ce sera du death, s’il faut un peu d’aération, c’est Manu qui reprend avec un chant clair, aérien. C’est un tout, travaillé d’après la musique et les paroles.
Metal-Eyes : Elle a commencé quand la conception de cet album ?
Samir : Ouh, il y a très longtemps ! En 2018, fin 2017…
Metal-Eyes : Donc après la sortie de Kelem, qui est paru en 2016…
Samir : Voilà. On a commencé à travailler dessus en 2017, et il a eu le temps de mûrir, de changer, de bouger. On est assez perfectionnistes dans notre musique, donc un titre finalisé le dimanche peut être remis en cause le jeudi.
Metal-Eyes : Comment analyserais-tu l’évolution d’Arkan entre Kelem et Lila-H ?
Samir : Je pense qu’il y a une certaine continuité. La particularité de Kelem, c’est l’arrivée de Manu au chant. Il a réussi à retranscrire cette voix claire dans notre univers. Je pense que là, il s’est vraiment affirmé sur certains titres, comme sur Crawl où il s’occupe du chant de bout en bout. Il retranscrit très bien l’univers de la musique et des textes.
Metal-Eyes : Et vous avez fait évoluer voter manière de composer ?
Samir : A la base, c’est toujours la même… Mus, c’est un volcan d’idées, de riffs et de mélodies. On essaie de travailler autour de la guitare, des mélodies, et à partir de là, le chant arrive avec tout ce qui vient en parallèle. Après, on s’occupe des arrangements. C’est vraiment un travail de groupe.
Metal-Eyes : Il a été enregistré où et produit par qui ?
Samir : Il a été enregistré au studio XXXXXXX, à Goteborg, chez Frederik Norstom.
Metal-Eyes : C’est pas le première fois que vous travaillez avec lui…
Samir : Non, c’est la quatrième fois ! C’est une sommité, et pour cet album, on voulait un son puissant, le bon détail, la bonne sonorité entre les instruments traditionnels et les guitares. On sait ce qu’il fait, c’est un super pro qui nous connait très bien, il sait où on veut aller et il sait aussi nous arrêter quand, parfois, on en fait peut-être un peu trop. C’est le gars qu’il nous fallait pour cet album.
Metal-Eyes : Parlons maintenant de Lila-H : comment pourrais-tu me le vendre, me convaincre d’aller l’acheter la semaine prochaine ?
Samir : Mmmhhh… bonne question ! Je ne suis pas un bon commercial ! Mais je dirai que c’est un album sincère, authentique. On a essayé de retranscrire des émotions, des petites histoires. Ce n’est pas un album documentaire, on ne se met pas à la place de médias, on a simplement raconté des choses que nous avons vécues, Mus et moi. On a été sincères dans notre démarche.
Metal-Eyes : Alors, pour quelqu’un qui ne vous connait pas, comment pourrais-tu décrire votre musique ?
Samir : Notre musique ? C’est un mélange, un brassage de cultures. C’est effectivement du metal, musique qu’on a toujours aimée et écoutée depuis notre adolescence, avec une culture, qui, pour ma part, est celle dans laquelle j’ai grandi, la culture arabe, berbère… On a voulu retranscrire ces sonorités dans cette musique metal qu’on aime, comme l’ont fait déjà certains groupes.
Metal-Eyes : Donc c’est un peu plus fusion que folk comme certains aiment à vous décrire ?
Samir : Ben, c’est un peu le problème, qu’on ne puisse pas nous coller une étiquette… Quand certains festivals nous disent que c’est un peu prog, mais le festival est plus pagan… Nous, dans notre musique, on fait ce qu’on aime, au moment où on veut le faire. C’est-à-dire que si on a envie d’une sonorité pagan, alors ce sera du pagan. On ne fait pas uniquement du death, ou du pagan, ou du prog. On y met tout ce qu’on sait faire et tout ce qu’on aime. Tant que ça colle à ce qu’on veut faire, aux paroles, s’il faut que ça passe par un changement de tempo, d’autres instruments, changement de voix… On a deux chanteurs dans le groupe, c’est justement pour nous accorder cette possibilité de changer d’ambiance.
Metal-Eyes : Si tu devais ne retenir qu’un seul des titres de Lila-H pour expliquer ce qu’est Arkan aujourd’hui, ce serait lequel ?
Samir : Il y a tellement de différentes ambiances que c’est un peu compliqué…
Metal-Eyes : Je sais, mais tu dois séduire ton auditeur avec un seul titre…
Samir : Un seul… Alors je choisirai Broken existences… C’est un titre que je trouve percuttant, on rentre directement dans le vif du sujet avec un gros son de guitares, une basse très profonde et une batterie très présente, ainsi qu’un chant growl hyper percutant et on arrive sur un refrain plus clair, très entrainant. C’est un titre qui représente bien la variété de ce que fait Arkan.
Metal-Eyes : Et le titre lui-même, « les existences brisées », colle bien au thème de l’album. Une dernière chose : quelle pourrait être la devise d’Arkan ?
Samir : Une devise ? Je sais pas… En fait, aujourd’hui, tu veux me poser que des colles, toi ! (rires)
Metal-Eyes : Non… En tant que journaliste amateur, je fais quelques recherches et j’attends avec impatience le jour où un musicien fera pareil et me dira « attends, je suis allé voir les questions que tu poses, et celle-là, elle revient tout le temps, alors voilà ! »
Samir (il rit) : Tu as raison ! Alors… Une devise ? « Fraternité ». Parce que, simplement, on est de vieux potes, ça fait 15 ans qu’Arkan existe.
Metal-Eyes : As-tu quelque chose à rajouter ?
Samir : J’espère que cet album parlera au gens et qu’il leur permettra de s’informer sur ces années 90 en Algérie.