ABHCAN: Build & break

France, Heavy metal (Ep, M&O, 2023)

Abhcan est un groupe parisien qui a déjà publié un premier album, The Pit, en 2020. Trois ans plus tard, le groupe revient avec ce Build & break, un Ep de 5 titres qui lie la puissance du heavy metal traditionnel à des sonorités plus modernes. Fondé en 2000, le groupe est rejoint en 2017 par Lina au chant (elle tient également le micro de Sleeping Romance depuis peu, cf notre récente interview) aussi doux et bienveillant, acidulé et presque pop, que brutal et rageur à la Alicia Whit-Gluz. Bien que le site du groupe ne mentionne pas d’autre vocaliste, il est difficile de croire que Lina soit seule au micro, passant d’un registre à un autre avec une facilité déconcertante. La belle est cependant accompagnée par des guitares inspirées par la NWOBHM (Maiden n’est jamais très loin) autant que par un thrash naissant de la Bay area. Si l’on pourra regretter un certain manque de rondeur et de générosité dans la production, les cinq titres foncent dans le tas avec une énergie non feinte. Simplement, malgré une bonne volonté évidente, et bien que l’envie et le savoir faire soient là, il manque ce quelque chose qui pourrait donner à Abhcan une vraie identité sonore et le distinguer de cette scène metallique hexagonale plus que vivante mais décidément très encombrée. Le potentiel est là, la concurrence aussi…

SWARM: Mad in France

France, Metalcore (Autoproduction, 2023)

Mad in France est la nouvelle déflagration des Frenchies de Swarm. Un Ep de 6 titres qui foncent dans le tas, mélangeant metalcore et hardcore. Dès Another Choice, il est clair que ces gars sont dignes d’enflammer une Warzone de vouçavékelfestival tant la puissance du propos musical a tout pour faire craquer les nuques. Ca bastonne à tous les étages tout en lorgnant vers un thrash à la Slayer des débuts, du punk anglais ou un heavy d’antan. Malgré son titre qui sonne japonais, Sanbiki no saru est une explosion chantée en français. La rage vocale, d’ailleurs, ou plutôt la colère déterminée est en parfaite adéquation avec des compositions parfaitement maitrisées. Swarm nous avait épatés avec son précédent opus, les gars confirment ici leur potentiel. Si la puissance d’exécution est toujours là, le groupe sait varier ses interprétations en allant chercher des moments plus… heu… »calmes » pour mieux repartir. Et diantre que ça joue! Imparable de bout en bout, ce nouveau CD, bien que court, pourrait bien faire franchir à Swarm un pas décisif.

RED CLOUD

France, Hard rock (Autoproduction, 2023)

Formé en 2018 à la suite de la rencontre entre la chanteuse Roxane Sigre et le guitariste Rémi Bottriaux, Red Cloud ne stabilise son line-up qu’en 2021 avec l’arrivée, dans le désordre, du bassiste Maxime Mestre, du batteur Mano Cornet Maltet et de l’organiste Laura Luiz. Ce qui est une évidence dès The battlefield, le premier morceau – même avant, il suffit de se pencher sur le livret pour avoir quelques indicateurs – le groupe puise son influence au cœur du rock quelque peu psyché des années 70. Bien sûr, l’orgue évoque immanquablement Jon Lord et Deep Purple (qui a dit « redondance »?), les guitares cherchent du côté bluesy de Led zep ou plus heavy chez le Sab’, mais il y a bien plus. On ne s’encombrait guère d’étiquettes restrictives en ces temps immémoriaux où tout était prétexte à explorer de nouvelles sonorités. Il y a ici des clins d’œil à Janis Joplin ou, plus encore, Patti Smith dans le phrasé vocal, la gentille folie allumée du Greatful Dead, la marque pure rock d’AC/DC. Et on a de quoi rire en lisant le dossier de presse qui évoque des « influences plus modernes (DeWolff, Monster Truck ou Rival Sons) ». Si eux ne sont pas typés 70’s… Rien de surprenant, donc, et Red Cloud perpétue ce revival 70’s avec plus que brio. Le chant anglais est parfaitement maitrisé, la production est au top permettant à chacun des membres du groupe de s’exprimer librement. Les fulgurances guitaristiques sont mise en concurrence par des claviers hypnotiques et une voix chaleureuse. Avec ce premier album éponyme, Red Cloud a tout pour frapper un grand coup et séduire bien plus que les fans de 70’s. Quand la musique est bonne… C’est une de mes premières grosses claques de ce début d’année.

PRAETOR

France/Luxembourg, Thrash (Meatal East, 2023)

Praetor déboule à 200 à l’heure avec un premier album de thrash ultra speedé et redoutablement efficace. Amateurs de finesse, passez votre chemin, même si cet album en est bourré. Le son clair, le chant puissant et éraillé, les guitares qui cisaillent, les doubles grosses caisses, tout est réuni pour que les crinières s’agitent et que se brisent les nuques. De No return à Distant road, Praetor ne laisse pas une seconde de répit. Ca tabasse dans tous les sens avec une violence contrôlée et salvatrice. Il y a tout au long de cette sublime carte de visite des références et influences incontournables puisées dans le metal old school et le thrash des grands jours. On pense aussi bien à Death Angel que Nuclear Assault, Sepultura, Machine Head ou encore, dans certaines structures à Slayer ou même Maiden. La précision et la vitesse d’exécution sont d’une imparable brutalité – ces guitares de Noémie Bourgois me rappellent la folie de Sibylle Colin Toquaine (Witches) en plus rapide encore. Le groupe aurait pu speeder pied au plancher et foncer droit devant écrasant tout sans pitié mais a l’intelligence de ralentir par instants apportant ainsi quelques moments de respiration bienvenue. Formé en 2019, le quatuor fait preuve avec ce premier album d’une maturité exemplaire. Il ne fait aucun doute que nous entendrons rapidement parler de Praetor à qui de grandes scènes sont promises. Pas étonnant, là où tant d’autres s’autoproduisent, que Metal East, label qui monte, se soit penché sur son cas. Impeccable!

L’IRA DEL BACCANO: Cosmic evoked potentials

Italie, Doom/prog instrumental (Subsound rec., 2023)

Quelle découverte que ce L’Ira Del Baccano! Le quatuor italien nous régale avec ce nouvel album – qui semble être le troisième effort studio – Cosmic evoked potential. Composé de seulement 5 titres. certains seraient tentés d’appeler ça un Ep, mais avec quelques 40′ de musique, il s’agit en effet plus d’un album véritable. Quoiqu’il en soit, ce CD est une merveille d’instrumental progressif à laquelle la simple étiquette Doom ne rend pas justice. Il y a tant de pépites et de trouvailles musicales tout au long des 5 titres… Tout comme l’illustration de couverture – une œuvre signée Fabio Listrani qui évoque un univers dominé et observé par un Zeus qui ressemble étrangement à Rob Zombie… Débutant avec un The strange dream of my old sun, le groupe nous plonge dans son univers sonore à la fois spatial (Hawkwind et tout la vague psyché sont évoqués à plus d’une reprise) et heavy, se faisant ici puissant et là simplement envoûtant. On plonge dans cet univers sonore d’une remarquable et indiciblement attirante beauté sans pouvoir y opposer la moindre forme de résistance. On retrouve aussi des traces d’inspiration Pink Floydienne ainsi que d’autres plus proche de Dream Theater. La construction en plusieurs tableaux de chacun des titres fait que jamais l’auditeur ne se lasse, passant d’un univers sonore à un autre, d’une ambiance clame et feutrée à un décor de science fiction sans que L’ira Del Baccano ne se – nous – perde dans son propos. Une réussite de bout en bout et un coup de maitre instrumental pour un groupe qui mérite bien plus qu’une reconnaissance polie.

CARCARIASS: Afterworld

France, Metal (Autoproduction, 2023)

Personne ne l’avait vue venir, Carcariass pas plus que les autres. Lorsque le groupe a publié Planet chaos en décembre 2019, et en avait assuré la promotion un mois plus tard, qui pouvait se douter que notre monde allait justement sombrer dans le chaos d’une crise sanitaire mettant un coup d’arrêt brutal à tous les espoirs du groupe de revenir en force sur le devant de la scène? Trois ans plus tard, Carcariass nous propose un Afterworld bien nommé même si, contrairement à sa pochette, notre monde n’est pas à feu et à sang. Quoique… Mais c’est un autre débat. Ce nouveau disque nous propose 10 titres aussi mélodiques qu’entraînants, rythmés par une batterie hypnotique et un chant guttural engagé et doucement enragé. On appréciera rapidement le soin apporté au mélodies et aux arrangements qui sont partout finement travaillés. On est souvent proche du progressif – je détecte même quelques touches à la Pink Floyd et Rush – et les claviers, omniprésents mais discrets, apportent une forme de mélancolie à cet ensemble très réussi, qui parfois invoque le côté martial de Rammstein (Angst, ben tiens, un titre en allemand, comme par hasard! Mais chanté en anglais). Pour se convaincre du potentiel musical de Carcariass, de la diversités de ses influences, on peut aisément se plonger dans cet instrumental à tiroirs qu’est Fall of an empire qui démontre bien que le groupe est bien plus varié et fin que le death de ses origines. Afterworld est un album brillant et efficace qui confirme que l’on peut aujourd’hui plus que miser sur le retour de Carcariass, plus en forme que jamais. Bravo!

YOU ME AT SIX: Truth decay

Angleterre, « punk » pop (Underdog records, 2023)

Depuis sa formation au début des années 2000, You Me At Six, malgré une ténacité remarquable, 7 albums au compteur et un line-up assez stable, n’a jamais réussi à véritablement percer. Avec ce nouvel essai, Truth decay, le groupe parviendra-t-il à s’extraire de la masse? D’une durée d’un peu plus de 45′ pour 13 titres, le groupe nous propose une musique inspirée de ce punk popisant – ou de cette pop punkisante, au choix – tant prisé des ados un peu révoltés. Les 5 ont souhaité se replonger dans la musique avec laquelle ils ont grandi autant que dans leurs premiers albums pour en offrir un condensé à leurs fans. Le résultat est un album de rock festif et entrainant, du genre à être joué dans des stades devant des milliers de bras qui tanguent en cadence de gauche à droite. La production donne à l’ensemble une touche de bienveillance énergique au sein de laquelle, comme sur le morceau titre, trainent un peu de rage et de rugosité. Mais est-ce suffisant? Souvent trop consensuelle et « easy listening », ce Truth decay n’apporte rien de neuf dans le genre mais pourrait séduire des foules adolescentes (un peu comme le firent à une époque les One D). Il semble loin le temps où You Me At Six recevait le Kerrang ! Award du « meilleur groupe britannique » en 2011. Il n’est jamais bon de se reposer sur une (éphémère) gloire passée…

KAMALA: Karma

Brésil, Thrash (M&O music, 2023)

Oh, punaise, comment ça bastonne sévère! Ils sont trois (ils ne sont « que « 3!), arrivent du Brésil, ont choisi le patronyme de Kamala et nous proposent aujourd’hui leur 6ème album, un Karma explosif à souhait. Dès Forgive the weak (qui aurait tout aussi bien pu se nommer Bury the weak), le ton est donné: une production parfaite qui met en avant une boucherie guitaristique que ne renieraient ni Machine Head ni Sepultura (tiens donc? D’autres Brésiliens..), une rythmique aussi oppressante qu’un bombardement en règles – cette frappe de Isabela Moraes – également aux chœurs (pour un apport de douceur). Les guitares taillent dans le gras avec une précision chirurgicale. Les 9 titres de ce Karma se révèlent d’une puissance et d’une efficacité sans pareille, et clairement, si, comme moi, vous découvrez Kamala avec ce déjà 6ème album, il y a fort à parier que vous voudrez en connaitre un peu plus. On les accueille quand sur nos scène en France? Ma découverte internationale de ce premier trimestre.

JIRFIYA: W

France, Metal (Autoproduction, 2023)

Après 2 Ep, Wait for dawn (2019) et Still waiting (2020) – plus proche de l’album que du Ep avec ses « 6 titres + 2 bonus » – Jirfiya nous propose aujourd’hui son premier album éponyme. Le groupe aura pris quelques temps avant de nous offrir ce premier véritable album. Covid oblige, soit, mais n’y a-t-il que ça? Le groupe a pris son temps pour peaufiner des compos alambiquées, taillées dans un metal protéiforme, puisant autant dans le thrash que dans le prog. Ce dernier est omni présent dans les risques pris – débuter avec un Asylum alambiqué de plus de 9′, fallait oser – que dans ses explorations hors metal. Les inspirations orientales (Sister in blood, The factory, voire aussi cette illustration qui évoque l’entrée d’une pyramide ou d’un temple autant qu’un univers de SF) sont en effet toujours présentes, certes, la mélancolie aussi, mais on retrouve aussi d’autres choses, comme ces cuivres (toujours sur Asylum, pardon… mais, oui, j’ai aussi écouté la suite!) ou la mélancolie de qui évoquent l’univers radicalement différent de La Maison Tellier (rien à voir ici avec le fondateur guitariste, chanteur et compositeur Jérôme Thellier). Le chant d’Ingrid Denis est toujours torturé et ses envollées accompagnent à merveille les instrumentations exploratoires d’univers souvent improbables. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne (ou le mérierait sans doute plus…), le combo a une nouvelle fois eu recours aux services d’Andrew W aux Hybreed studios. Si ce premier véritable album ne souffre aucune critique, une question demeure: qu’est-ce qui peut aujourd’hui distinguer Jirfiya d’une scène très encombrée? Sans doute, justement, la scène. A suivre.

DEWOLFF live à Paris: La Maroquinerie, le 28 février 2023

Sous l’empire Romain, le 28 février était le dernier jour de l’année. Alors pour célébrer ça, je me rends à la Maroquinerie de Paris pour soutenir nos voisins néerlandais de DeWolff qui viennent de publier un nouvel album, Love, death and in between, et tournent pour le soutenir à travers l’Europe. Si le concert est annoncé sold-out, le public est accueilli dès l’ouverture des portes par une étonnante première partie. DJ Wim, un sexa/septuagénaire qu’on dirait échappé du far-west avec ses tiags en peau de serpent, son Stettson rivé sur la tête et sa barbe blanche, s’amuse avec ses vinyles à diffuser de vieux standards su rock US – ou typé US. C’est dans ces moments qu’on se dit que notre culture musicale est plus qu’incomplète… Mais le bonhomme ne fait que passer morceau après morceau sans jamais communiquer avec le public, sans jamais l’inciter, l’inviter à danser, bouger, réagir. 45′ durant, le temps que la salle se remplisse… C’est long.

Le changement de plateau se fait en à peine 20′ et lorsque les frangins Van Den Poel (Pablo à la guitare et Luka à la batterie) et leur complice Robin Piso (aux claviers) arrivent sur scène, une scène illustrée du sol au backdrop de la pochette de leur dernier album, la température monte d’un cran. Le trio est ce soir accompagné de deux choristes et d’un bassiste – qui fait le job, guère plus – et dès Nightrain embarque le public avec lui.

L’énergie et la bonne humeur sont les deux constante de ce soir, Pablo nous offrant une incalculable nombre de lancer de jambe et déchanges avec un public ultra réceptif. Témoin cet échange avec cette spectatrice au premier rang qui, après Live like you, se retrouve avec une bière à la main alors que Pablo lance « je crois qu’il est temps de se rafraichir avec une bière! Hey, je croyais que c’était ma bière, ce que tu as entre les mains! Ce soir on est là pour tout vous donner, alors je te la donne. Et je te donne tout, si tu veux! » Et ça repart aussi sec sur  Sugar moon.

L’esprit 70’s transpire de tous les port des musiciens, le trio portant des vestes brodées à la country man, les choristes toutes de rouge vêtues, mini short et bottes, se dandinant en rythme au son de ces morceaux au son vintage mais toujours d’actualité et d’une efficacité sans pareille. Et puis, surtout, le groupe nous offre des solos à faire pâlir de nombreux musiciens…

Pablo à la guitare nous offre un instant d’émotion intense, une leçon de style et de maitrise comme on aimerait plus souvent en entendre, Robin joue avec le touches de son clavier pour en tirer des sons d’un autre âge… Sans jamais s’étendre, DeWolff fait preuve d’un professionnalisme exemplaire. Et l’on se dit que le groupe mérite des salles de plus grande capacité pour pouvoir pleinement s’exprimer. Ce ne serait que justice…

Il est 22 h à peine passées lorsque le rappel a lieu. Un seul titre, Rosita, qui vient conclure un concert inhabituellement long pour cette salle (1h45, quand même) et qui fini de convaincre le public qu’il a assisté à un moment de rock comme on n’en fait (presque) plus. Nous ne sommes plus sous l’empire romain, et ce premier concert de l’année – pour Metal-Eyes – augure de beaux moments à venir. Une superbe soirée!

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