Interview : TRANK

Interview TRANK. Entretien le 30 mai 2025 avec Michel André Jouveaux (chant)

Après une première rencontre avec le quatuor au complet pour parler de la sortie de The ropes, le premier album de Trank, puis un entretien avec Johann, leur batteur, fin 2021pour échanger au sujet de la version deluxe dudit album, c’est aujourd’hui avec Michel, l’intarrissable chanteur, que nous parlons (entres autres sujets) du second album, The maze, et de sa sortie en version vinyle. Il en a des choses à raconter!

The ropes remonte à fin 2020. Depuis, The maze est sorti fin 2024 ; quels retours en avez-vous eus ?

Les chroniques ont été très flatteuses jusqu’ici, toutes… Après, j’imagine qu’il y a des gens qui ont écouté cet album, l’ont trouvé tellement nul qu’ils n’ont pas voulu écrire à son sujet, mais on a eu des chroniques extraordinaires, et les chansons de l’album passent très bien sur scène, ce qui est un bon test pour nous. On passe beaucoup de temps à les peaufiner en studio – on est légèrement maniaques du son, de la production, on veut sortir des chansons dont on pense qu’elles sont les meilleures possible. Mais le but, c’est de les jouer sur scène. Les chroniques et l’accueil des chansons sur scène sont incroyablement positifs.

Si on se parle aujourd’hui, c’est parce que vous sortez maintenant une version vinyle de cet album. Déjà, pour The ropes, vous aviez sorti quelques mois plus tard, une version double de l’album avec un second CD de vos titres réarrangés par d’autres. Y a-t-il, avec cet album, des choses particulières ou doit-on arrêter maintenant cette interview ?

(Il explose de rire) C’est un vrai rêve de gosses pour nous ! Deux d’entre-nous sommes très fans du format vinyle… On aurait déjà voulu le faire pour The ropes, mais c’était un peu compliqué pour plein de raisons, pour la supervision… The ropes, c’est un album de 52’, qui est une durée batarde. Si on met plus de 44, 45’ sur un vinyle, la qualité du son s’en ressent vraiment. Au-delà de 50’, la dynamique est bâclée, le volume général est assez bas…

Et c’est trop court pour faire un double…

Voilà, et faire un double, ça coute deux fois plus cher. Ou alors, il fallait qu’on retire une chanson ou deux mais c’est comme te demander lequel de tes enfants tu veux mettre sur EBay ! A l’époque, on avait discuté et la sortie du vinyle n’était pas une priorité. Il y a beaucoup d’artistes, d’ingé sons… qui sont venus nous voir en nous disant qu’ils voudraient bien remixer tel ou tel morceau, en faire autre chose, de l’électro, de l’indus. On a priorisé ça et on a laissé tomber le vinyle, ce qui pour moi était un crève-cœur, mais il faut faire des choix. Du coup, quand on a attaqué ce nouvel album, je leur ai dit : « Ok, les mecs, mais on fait 44’ maximum ! Comme ça, on pourra faire le vinyle ! » (rires) Ça a entrainé un processus de sélection d’autant plus brutal pour savoir quels titres se retrouveraient sur l’album mais ça nous a permis de le sortir en vinyle. On en est très contents, d’autant plus qu’on a été très bien entourés pour la sortie de cet album, en particulier par Andy Van deck qui a fait le mastering. Il travaille à New York, il est très réputé en matière de mastering – il s’occupait notamment de celui de Porcupine Tree avant que ce soit Steven Wilson qu’i s’en occupe lui-même. Il est aussi réputé pour la qualité de ses mastering pour des albums vinyles, et quand il a masterisé l’album, il l’a fait en plusieurs versions : une version CD, une version plus haut débit pour le numérique, et une version pour le vinyle. La raison pour laquelle le vinyle sort un peu plus tard que le CD, c’est qu’on voulait aussi qu’il soit pressé dans une usine où on avait une garantie de qualité sur le résultat final. Les usines capables de très bien presser, il n’y en a que deux en Europe. Elles ont des listes d’attente assez longues, mais on espère que quand les gens vont écouter l’album, ils se diront que ça valait vraiment le coup d’attendre.

Encore faut-il avoir le matériel pour écouter le vinyle dans de bonnes conditions…              

C’est vrai, il vaut mieux avoir une bonne platine… L’intérêt du vinyle, il est là, sans passer par une numérisation du son qui ruine tout. Brancher un vinyle sur une enceinte connectée, non, ça marche pas, c’est un peu comme mettre un moteur de deux chevaux dans une Ferrari…

On n’avait pas eu l’occasion de discuter à la sortie de The maze, alors comment décrirais-tu la musique de Trank à quelqu’un qui ne vous connais pas encore ?

Oh, c’est la question la plus difficile… On a déjà du mal à la décrire nous-mêmes…

Je me rappelle que dans votre communiqué de presse de The ropes, vous aviez mentionné le fait que Deep Purple disait que s’ils se formait aujourd’hui, ils sonneraient comme Trank…

C’est vrai, ils avaient dit ça, c’est extraordinairement flatteur. Après… Je ne suis pas trop certain de savoir ce qu’ils voulaient dire par là (rires), mais ça nous a fait très plaisir. Du coup, ça nous a aussi mis la pression parce que dans le même communiqué, ils disaient à leur public de venir à l’heure, « on les a choisis, ils sont bien ». Donc, on s’est pointés, et là où d’habitude, en tant que première partie, tu commence à jouer avec une salle à moitié vide qui se remplit quand tu joues, on est monté sur scène à la Riga Arena, et la salle était blindée avec 16.000 personnes ! Des gens qui étaient là, les bras croisés, genre « vas-y, montre-moi ce que tu fais, on est venus pour ça… » Heureusement, ça s’est bien passé mais ils nous avaient bien mis la pression quand même (rires).

Revenons à ma question : comment tu décrirais la musique de Trank ?

La plaisanterie qu’on faisait au début, c’est de dire que c’est un peu comme si Soundgarden et Depeche Mode faisaient un bébé. Mais c’est un peu ça, il y a une base hard rock assez typée 90’s qu’on trouve dans la plupart des morceaux, avec une colonne vertébrale axée sur un gros riff, et des choses plus proche du rock alternatif, façon Muse des grandes années. Il y a cette base qui se mélange avec une influence post punk. Je suis le plus grand fan de Depeche Mode parmi les gens que je connais, et, forcément, ça s’entend, dans la façon d’utiliser l’électronique, par exemple. Là où les deux références se retrouvent, c’est dans ce qu’on trouve intéressant chez eux, cette capacité à composer de la musique avec une certaine noirceur et un côté très accrocheur et entrainant qui fait que tu rentre dedans immédiatement. Et ça, ça nous parle. A l’époque de The ropes, un chroniqueur avait commencé sa chronique en écrivant « gros son et émotions fortes », et ça nous va complètement. On ne fait pas de la musique extrême, avec du bruit non stop et des hurlements continus, on aime l’idée de susciter de l’émotion chez les gens. Le travail sur le son aussi est important. Mélanger des parties de guitares qui alternent entre une forme de puissance et une richesse de textures, d’ampleur d’atmosphère, avec de l’électronique va amplifier le côté « cinématographique » de la musique. Le fait d’avoir une rythmique basse batterie apporte aussi cette puissance et ces nuances. Johann, notre batteur, c’est le fan ultime de Toto, et a priori, tu ne va pas trouver cette référence chez la plupart des batteurs de metal ou de hard rock, souvent plus dans un style « tape-dur ». Cette étiquette de « gros son émotions fortes », ça nous va bien. Quand tu lis les chroniques de l’album, on cite un nombre de références incroyable. Certains ont parlé de A Perfect Circle, Nine Inch Nails, Disturbed, dont on avait aussi fait la première partie… Tout un tas de noms très flatteur, et ce que tous ces noms ont en commun, c’est une certaine façon de combiner une énergie intense avec une mélodie tout de suite accrocheuse. L’identité de Trank, c’est un peu ça.

On est d’accord que Trank ne se contente pas d’un style et puise dans de nombreuses références (il acquiesce). Si tu devais ne retenir qu’un seul titre de The maze pour définir ce que Trank est aujourd’hui, ce serait lequel ?

C’est une très bonne question ! Comme ça, au débotté, je te dirais Miracle cure qui est une chanson qui résume pas mal la personnalité du groupe. Pour moi, c’est peut-être celle qui nous résume le mieux, d’abord parce qu’elle a ce côté accrocheur et sombre, elle est sur un mid tempo assez lourd et elle mélange des moments de très forte intensité au niveau guitare et voix – on se rapproche du metal, souvent – avec des moments qui relèvent beaucoup plus d’une forme d’électro planante. Et puis, il y a un passage inattendu, qui marche très bien sur scène, c’est quasiment du rap. C’est plus de la parole rythmée que du chant. Le résultat donne quelque chose de très cohérent et qui, pour nous, sonne comme un mini film de 4 ou 5’. Il résume assez bien tous les contraste qu’on peut trouver dans notre musique.

Je reviens sur ce mot de « contrastes ». C’est quelque chose qu’on retrouve sur les deux versions de votre premier album (l’original est blanc, la seconde édition rouge et noire) que sur The maze avec ce labyrinthe sombre traversé par ce couloir de lumière.

La notion de contraste et de paradoxe dans la musique et dans l’image est très intéressante pour nous. J’aime beaucoup l’idée d’écrire des chansons qui vont traiter de sujets par définition assez lourds, mais de chercher transformer ce matériau en quelque chose qui permette d’établir une connexion avec les gens. Il y a un côté « alchimie » dans la musique que j’aime beaucoup. Même si on n’est pas tous angoissé au même niveau dans le groupe, àA un moment ou un autre, tu vas forcément plonger au tréfonds de ton estomac, ressortir une espèce de nappe de goudron a=et toutes les saloperies – la peur, la colère, l’angoisse, l’anxiété – et tu en ressors quelque chose de particulier, surtout dans le chant. Je me trouve très privilégié dans la mesure où je peux faire ça. Tu transformes, tu transmutes tes propres angoisses en quelque chose de positif, et c’est quelque chose que les gens ressentent, ce qui crée une connexion entre eux et toi. Ce contraste est au centre de tout. De manière générale, dans le contraste on trouve les nuances. On aurait tous 22 ans, on ferait la musique qui correspond à l’âge, on serait peut-être plus monolithique, monocorde ou monocouche. On est tous passés par là, et on recherche maintenant cette notion de contraste. Oui, elle est au cœur de tout ce qu’on fait.

On sait aujourd’hui qu’un groupe de rock, qui plus est français, ne vit pas, ou très difficilement de sa musique. Quelles sont vos métiers autres ?

On a des métiers très variés : David, qui est un gros costaud, fait de la sécurité privée, Johann fait du marketing dans une grosse société, ce qui était aussi mon cas jusqu’à il y a une dizaine d’’années, maintenant je suis indépendant, consultant en stratégie le jour et musicien la nuit, et j’ai aussi une boite de musique de pubs, ce qui fait que j’ai trois métiers ! Pas toujours facile à gérer… Emma, notre manageuse, travaille pour une concession automobile à Genève. Arnaud est informaticien et Nico est financier. On a tous des métiers, et des familles, et on considère Trank comme un métier… qui nous coûte de l’argent et qui est financé avec nos autres métiers ! On fait Trank par passion. La dernière chose qu’on veut entendre c’est « si voulez que ça se vende, que votre clip soit diffusé, il faut faire ci et ça ». on a la chance de pouvoir faire les choses comme on le veut sans avoir à se demander si ça va se vendre ou pas.

On en a vu des artistes qui se sont fourvoyés parce que leur management ou label leur disait quoi faire et le public n’a pas répondu présent… Trank c’est un groupe de rock. Le rock, c’est aussi la scène. A quoi faut-il s’attendre avec Trank en concert ? Va-t-on pouvoir vous voir un peu partout en France ?

Oui… On aime beaucoup jouer dans les festivals, on vient d’en enchainer trois d’affilée, et il y en a quelques-uns qui arrivent cet été. On y croise des gens qui sont exactement comme nous, des mordus qui font ça par passion, pas pour s’enrichir. On se retrouve à jouer pour des gens très demandeurs de musique. On aime beaucoup jouer dans ce contexte-là aussi parce que les gens qui organisent ces trucs deviennent rapidement des potes. On a le même virus, et ça crée des liens.

Mais en dehors des festivals, vous allez visiter les villes de France ? Il y a des gens qui se déplacent aussi en clubs…

Alors laisse-moi dire ceci : appel aux bookers et aux tourneurs ! Nous, on va là où on nous demande, la seule contrainte, c’est que maintenant, on est 6 sur scène. L’album, on l’a fait à trois, puisqu’on a eu un gros changement de line-up puisque Julien (guitare), avec qui j’avais cofondé le groupe a décidé de se consacrer à sa vie perso, le rythme de Trank n’était plus compatible avec sa vie. Il a participé à trois chansons sur l’album, mais on l’a fini sans lui. Mais maintenant, sur scène, on est six : Emma, notre manageuse, joue des claviers et s’occupe des samples, Arnaud, notre nouveau bassiste qui nous a été recommandé et qui partage à la fois notre éthique de travail, notre niveau d’exigence et notre sens de l’humour de débiles… et on a un second guitariste, Nico, qui était avec moi dans un groupe de reprise. On voulait un son plus étoffé sur scène, ce qui implique d’avoir deux guitares. Lui et David se répartissent les guitares, on n’a pas de lead ou de soliste, chacun joue en fonction de ce qui lui correspond le mieux. Donc on est six, et la logistique est forcément plus compliquée. Et on met un point d’honneur à essayer de répondre positivement à toutes les demandes, mais ce n’est pas toujours possible… Après, à quoi s’attendre ? Sur scène, la formule est proche de ce que tu trouves sur album, l’esprit musical ne change pas. Si sur album l’équilibre entre noirceur et lumière est de 60/40, sur scène, c’est l’inverse, l’intensité est là mais on communique beaucoup avec le public, on fait beaucoup participer les gens.

On parle de contraste, mais il y a aussi un point commun à vos deux albums qui entraine une question sur le prochain : ils commencent par l’article « The » (il rit). Le prochain va aussi commencer ainsi ?

C’est vrai ! Je ne sais pas… J’ai plaisanté l’autre jour en disant que le prochain s’appellera The end, comme ça il y aura « The » dedans et on aura encore une lettre en moins – cinq, quatre puis trois ! En fait, le titre de chaque album est venu du lien thématique qui unit la presque totalité des chansons. Un lien pas intentionnel, à la base. C’est moi qui écris les paroles, et je les écris à la fin. On travail un instrumental ensemble, que je laisse, comme en cuisine, « je réserve », quelques semaines ou jusqu’à 5 ans… A un moment, je ressors le morceau et je cherche dans mon bloc note l’idée qui pourrait coller, sur la rythmique ou autre. A partir de là, le texte et la mélodie vocale s’écrivent autour de ce thème. Pour les deux albums, au bout de cinq ou six chansons écrites, je me suis rendu compte qu’elles étaient liées par un thème commun. Dans The maze, c’est la quête de l’identité. C’est un thème qu’on retrouve partout, il y a une obsession identitaire, tant dans les discours de la gauche que de la droite, d’ailleurs, qui n’a jamais été aussi forte et, paradoxalement, il n’a jamais été aussi difficile de trouver sa propre identité et de l’affirmer. On reçoit tellement d’injonctions contradictoires qu’on ne sait plus où aller… on vit une époque où les gens doivent, ils ne sont pas encourager, ils sont forcés de se définir non pas en fonction de ce qu’ils font ou accomplissent, ce qu’ils créent, mais en fonction de qui ils sont, que ce soit une origine ethnique, réelle ou supposée, une appartenance religieuse, réelle ou supposée, un propos qui suffit à les définir « entièrement » et à les réduire dans l’esprit de gens qui sont les premiers à les juger et les condamner… Tu dois naviguer en permanence dans cette espèce de tir de barrage d’injonctions contradictoires sans vraiment jamais savoir ce qui va passer ou pas dans l’affirmation de ton identité. En plus de la pression naturelle imposée aux enfants et aux ados… The maze, c’est ça, ce labyrinthe intérieur et extérieur dans lequel on se trouve aujourd’hui avant de pouvoir répondre à cette question fondamentale : « qui suis-je ? » Elle est beaucoup plus complexe que cette vision simpliste, manichéenne, binaire – le mot qui tue ! – on met les gens dans des cases d’une manière simpliste, c’est effarant !

Quelle pourrait aujourd’hui être la devise de Trank ?

C’est une question, un exercice que j’aime bien qui m’évoque Depeche Mode qui, à une certaine époque prenait une phrase tirée de son contexte, issue d’une chanson et qui était imprimée en bas de la pochette et qui résumait un peu l’album… une devise pour Trank ? Il y en a plein de possible, celle qui me vient à l’esprit tournerait autour de – allez, je vais faire le vieux con – je vais citer Yoda : « fait ou ne fait pas ». On est très jusqu’au-boutistes dans le groupe, on est très exigeant sur notre façon de faire les choses. Être passionné c’est en soi une bonne chose. On vit dans un monde où il y a une sorte de fénéantise, d’apathie, un monde post téléréalité qui depuis 20 ans te montre que le meilleur truc à faire c’est de reste assis en espérant qu’une équipe de télé débarque pour démontrer à quel point tu es extraordinaire ! Pour nous, nous sommes tous des passionnés, l’idée c’est de faire ce que tu fais à fond.

As-tu quelque chose à rajouter avant de terminer ?

Oui, on parlait de la sortie de l’album en vinyle. S’il y a des gens intéressés, le meilleur moyen de se le procurer, c’est d’aller directement sur le site trankmusic.com. Je crois qu’il reste aussi quelques copies du premier album, plus beaucoup, mais il en reste. On parlait de passion il y a deux minutes, et je crois que, ce qu’i y a de plus gratifiant pour nous, en studio ou sur scène, c’est qu’on rencontre des gens aussi mordus que nous. La musique n’est plus le phénomène de masse culturel que c’était quand on était gosses, et ça fait d’autant plus plaisir de connecter avec des gens qui écoutent notre musique. C’est une des choses les plus incroyables et on a vraiment le privilège de faire ce qu’on fait !

TRANK: The maze

France, Heavy rock (M&O, 2024)

Mais comment se fait-il qu’une formation aussi talentueuse que Trank reste encore autant dans l’ombre? Après avoir découvert le groupe en 2021 avec The ropes, un premier album simplement époustouflant, les voilà qui reviennent avec The maze, tout aussi exceptionnel. Au travers de 11 titres, Trank explore divers horizons musicaux, tous aussi entraînants que variés. Car jamais le groupe ne se répète, démarrant avec le très électrique Adrenalin pour terminer avec l’envoûtant The morning after. Au passage, les musiciens s’offrent de petites escapades du côté du punk (Chameleon) dans lequel une vérité est énoncée (« I am what I am told » – « je suis ce qu’on me dit d’être » – qui semble dénoncer le manque de libre arbitre ou d’esprit critique de la société actuelle), explore des aspects qu’on pourrait étiqueter « heavy new wave » (Pray for rain) avec toujours ces fils conducteurs que sont la diversité musicale des sources d’inspirations (dont Pink Floyd dont le groupe reprend Hey you), l’originalité et l’excellence – tant dans l’interprétation que dans la production, irréprochable, grasse, gourmande et généreuse à la fois. Trank a cette capacité à composer des morceaux taillés pour les foules, ce rock fait pour retourner des stades tout entiers. Jamais vulgaire, toujours efficace – d’autant plus que Michel chante dans un anglais parfaitement maitrisé et compréhensible – classieux même, The maze a tout pour mener Trank vers les sommets internationaux . Si seulement on (les majors internationales) daigne lui accorder un peu plus qu’une oreille distraite… On tient peut-être ici un futur géant du stadium rock. Celui qui, comme ils l’écrivent dans leur bio, « fait sauter les foules ET réfléchir ».

Interview: TRANK

Ils ont osé! Après à peine un (superbe) premier album, ben… vous savez quoi? Les quatre Trank, ils (oh, facile le jeu de mots pourri, mais j’assume!) ressortent The ropes en une version dite Monolith composée de l’album original pour ceux qui l’auraientt raté et d’un second sur lequel on trouve des remixes version généralement électro (mais pas que) de certains titre dudit premier effort. Même si Metal Eyes est revenu sur cette édition (chro ici), une question se pose: pourquoi aussi tôt? Il fallait en découvrir le pourquoi et le comment, ainsi que le comment du pourquoi , chose qui se fit avec Johann, le batteur le 20 décembre dernier qui nous explique que « l’idée de faire une version deluxe, on l’avait dès le départ, avant la sortie de l’album. On se disait que de moins en moins de gens achètent des albums physique alors tant qu’à faire, offrons leur quelque chose qui soit le plus riche possible, une version un peu plus élaborée (…) Pour le CD bonus, on avait plusieurs options, dont faire des versions acoustiques des morceaux. Et, ne fait, assez rapidement après la sortie de l’album, on a été contactés par des producteurs électro nous disant avoir entendu tel titre et vouloir en faire un remix. On dit quoi par rapport à ça? Bien évidemment, on a dit Oui! Au final, 4 producteurs extérieurs ont retravaillé les morceaux et quand on a entendu le résultat, ça nous a beaucoup plu, ça donnait une relecture différentes des versions originales et ça marchait très bien. On s’est dit qu’on n’allait pas refaire un album entier de remixes faits par d’autres – déjà il faut les trouver les autres, et jusque là, c’est les autres qui sont venus jusqu’à nous et ça nous allait bien – donc on s’est dit qu’on pouvait s’y mettre. Michel, notre chanteur, est un énorme fan de tout ce qui est claviers, électronique, etc. Il s’est mis aux manettes, et on a commencé à travailler en se disant qu’un jour, ce serait pas mal de faire une version comme ça de ce titre. Si ça marche, on garde, sinon, on passe à autre chose. En tout cas, ça n’était pas un calcul, ça s’est fait naturellement. Quand on nous a proposé de faire des remixes, chose à laquelle on ne s’attendait pas du tout, on a trouvé l’approche intéressante. La plupart des gens qui nous écoute a une culture musicale très variée, et ça nous va très bien de ne pas être catalogués dans une case restrictive, on s’est dit qu’on pouvait pousser le curseur plus loin. »

Quel regard les musiciens de Trank ont-ils porté sur la création de ces nouvelles versions? « Les gens sont venus à nous nous disant être intéressés par tel morceau. On a eu une ou deux discussions avec eux pour avoir une idée de ce qu’ils voulaient en faire, une idée vague. Mais chacun a fait à sa sauce. Les 4 qui nous ont proposés des remixes, à chaque fois, la première version, on leur a dit qu’on adore. C’est plutôt bon signe. » Ok, c’est bien beau, mais y a-t-il eu des morceaux que Trank ait refusé parce que ça ne le fait pas? » Non, en revanche il y a un remix, la première version qui nous a été proposée on lui a dit qu’il pouvait aller encore plus loin, s’écarter encore plus de l’original. Au final, si la musique fonctionne, peu importe si ça ressemble à notre musique d’origine. Si ça marche, ça marche! »

En effet, certains remixes sont totalement exploratoires, mais l’ensemble reste surprenant. « C’était le but du jeu… Si c’est pour faire une version où on change deux trucs, ça ne sert pas à grand chose. Que ce soit nous ou des producteurs externes, on a pris les pistes de base et on est repartis de zéro en nous demandant comment on pouvait retravailler le son, les ambiances. C’était un travail intéressant. L’électro, il n’y a pas beaucoup de guitares, ou de batterie, il y a du rythme et c’est souvent « basique » – et je dis ça dans le bon sens du terme. Une fois que tu enlèves ça, il reste quoi? Comment garder l’intérêt de l’auditeur afin qu’il ne se dise pas « j’aurai bien aimé un peu plus de ça » mais qu’il prenne le morceau tel quel. » Force est de constater que le projet est une réussit. Quiconque a craqué pour l’album original se penchera sur les nouvelles versions et devrait se laisser emporter par ces versions électro et revisitées.

Chacun remarquera que seuls certains titres sont remixés, certains deux ou trois fois. « Les titres finalisés sont sur l’album, d’autres ne sont pas terminés parce qu’on pensait que ce nouveau traitement n’était pas assez bon pour finir sur l’album. Mais on travaille comme ça sur les albums dits classiques. On ne va pas composer 50 chansons, les enregistrer pour n’en garder que 15 sur album. L’écrémage se fait au fur et à mesure. Il y a certains morceaux qui sont toujours dans les tiroirs depuis 3,4 ou 5 ans. Il y en a certains, il y a une idée intéressante mais on n’a toujours pas trouvé le truc. On les met de côté, on les réessaye plus tard. Pour les remixes, comme pour les originales, si au départ il y a un peu de prise de tête pour se demander ce qui marche c’est probablement que, au départ, l’idée n’est pas bonne….Les bons morceaux, chez nous, se composent assez vite. Je ne dit pas que c’est facile, simplement que ça nous inspire tous les 4. »

On ne pourra que remarquer que, au-delà des chansons, c’est tout le visuel qui a subit un lifting. La pochette passe du blanc au noir, comme un effet de négatif. Apparaissent même quelques signes « cabalistiques » qui ne sont pas sans évoquer Led Zep. Levons le mystère sur la signification de ces symboles: « Les deux design sont l’œuvre d’Alban Verneret, notre directeur créatif qui travaille avec nous depuis 4 ans, qui nous a fait 5 clips. Il avait créé ces 12 icones, une par chanson, mais elles étaient un peu cachées dans le livret de la version originale. De façon assez discrète. On s’est dit, pour la version Monolith, que ce serait sympa de les voir plus. J’aime l’idée de pouvoir (il sourit) créer un alphabet pour Trank… Vous avez 12 symboles qui, aujourd’hui, représentent l’univers de Trank. Il y en aura d’autres par la suite – en tout cas, des chansons, c’est sûr, des symboles, on ne sait pas, mais l’idée nous plait bien« . Lorsque je lui suggère l’idée de remplacer les titres des chansons de leurs setlists par ces symboles, ce qui serait sympa pour ceux qui les photographient au début des concerts, Johann se marre. « C’est une très bonne idée, je n’y avais pas pensé… « Ils parlent quoi comme langue ces gens »… »

Un remix qui puisse être représentatif de ce Trank version remix, un titre qui convaincrait un non amateur d’électro de se plonger dans ces versions? « C’est une question difficile… Je dirai Shining. J’ai un faible pour cette version. D’une part parce que c’est Michel, notre chanteur, qui l’a faite à peu près du sol au plafond, et aussi parce qu’il y a un côté assez électro mais pas agressif comme on peut parfois l’avoir dans l’électro. Un truc sur lequel on peut sautiller mais pas forcément quelque chose qu’on doit écouter à 4h du mat’ en rave party avec 18 grammes dans le sang! Je vais même me permettre une entrave à ta règle: le dernier morceau, Refugee, qui lui aussi a été fait par Michel, pour les gens qui n’aiment pas l’électro, c’est une version assez orientale. Au départ, Refugee, c’est des samples de gens qui communiquent par radio des années 70, les boat people, au même type de communication en 2015 avec les migrants. 40 nas d’intervalles et les mêmes discussions. Je trouve qu’avoir ajouté ces arrangements orientaux, avec des instruments africains, nord africains, ça donne une couleur supplémentaire, et j’aime beaucoup celle-là. »

Question finale désormais habituelle, quelle devise Johann peut-il imaginer pour Trank? « Alors… La devise que nous avons, qu’on utilise avant de monter sur scène, c’est une devise des samouraïs qui disaient « on n’a rien à perdre, on est déjà morts ». Je sais que c’est un peu morbide, mais ça me convient parfaitement. On est déjà là alors on y va à fond! » Je le rassure en lui rappelant que lors de notre précédente rencontre (oui, une interview en vrai, ça remonte…) c’est déjà ce que Michel avait dit. Ces gars sont fidèles à eux mêmes, même si « on reçoit pas mal de demandes d’interview par mail, souvent d’Angleterre. Parfois, il y a des questions qui se répètent et, souvent, c’est Michel qui y répond. Je vois, au fil du temps, qu’il prend de plus en plus de liberté avec la réponse et maintenant, ça me fait bien rire. » Fidèles à eux-mêmes et fun, Trank est vraiment un groupe à suivre de très très prêt. Vivement la scène! Johann confirme en ajoutant « qu’il y a des nouveaux morceaux déjà prêts, pas encore un album, mais on avance. 2022 devrait, si tout va bien, être une année plutôt sympa. »

TRANK: The ropes – monolith edition

France, rock (M&O, 2021)

Ils osent tout ces gars de Trank! Un album à peine et voici déjà une version de The ropes en « monolith edition » dotée du CD original – je vous en rappelle tout le « mal » que j’ai pu en écrire ici même? – et d’une seconde galette composée de versions alternatives, étonnantes et originales de certains morceaux de l’album. Plutôt que de reprendre l’ensemble des titres de The ropes, Trank a sélectionné des remix variés, travaux de divers ingés son, DJ et tripoteurs de manettes. In troubled times est ainsi revisité deux fois, tout comme Take the money and run ou Bend or brake.  Quel intérêt me demanderez-vous? Eh bien, ceci: Trank propose des versions alternatives plus techno, plus indus aussi sans pour autant renier son propos d’origine. Alors, certes, il faut être amateur de ces styles plus hypnotiques et « dancefloor » pour totalement adhérer à la démarche. Et reconnaissons que c’est un excellent moyen de s’attirer les faveurs d’un public de boites de nuit! Mais pas que, écoutez cette versions très rock/indus/punk – j’y entends même un peu de The Clash – de Take the money and run dans sa version police and thieves, sa basse et son rythme irrésistibles! Ceux qui, comme moi, ont craqué pour The ropes seront forcément interpellés par ces versions alternatives, qui, avouons le, me séduisent assez. Force est de reconnaitre que Trank a une approche originale et joliment décalée de sa musique – et ça fonctionne comme pas deux!

Interview: TRANK

TRANK (de gauche à droite): David, Johann et Michel

Interview TRANK: entretien avec Michel (chant, programmation), Julien (guitares), David (basse), Johann (batterie). Propos recueillis à Paris, Black Dog, le 10 septembre 2020

 

Retrouver le chemin des interviews en face à face… Enfin ! Et quand en plus la première rencontre post Covid se fait avec la découverte française de l’année, comment se plaindre. C’est donc Trank au complet qui me reçoit dans la bonne humeur pour une longue interview « en vrai ». Humainement aussi chaleureux que leur musique est entraînante, Trank est sans aucun doute le groupe à suivre et à soutenir.

 

Metal-Eyes : Commençons par une première question sans surprise : pouvez-vous nous raconter l’histoire de Trank, en quelques mots ?

Michel : On s’est formé en 2016. On a commencé par sortir un premier 6 titres pour se faire la main, mais notre ami David n’était pas encore là. C’est vraiment quand il est arrivé que le son et la personnalité de Trank se sont mis en place. On a sorti 3 singles en 2018 qui nous ont permis de décrocher de grosses premières parties comme Deep Purple, Anthrax ou Papa Roach. On retrouve ces singles sur le premier album – enfin ! On a pris notre temps, on peut dire qu’on est perfectionnistes et qu’on aime bien faire les choses.

 

Metal-Eyes : Et vous êtes originaires d’où ?

Michel : Warf !

Julien : On vit tous dans la région genevoise. On est tous Français, originaires de France mais la vie nous a amenés à aller travailler en Suisse ou à côté, et c’est là qu’on s’est retrouvés.

 

Metal-Eyes : Quel est le parcours musical de chacun ?

Michel : Alors… Parlons de ce que nous avons en commun : on a tous fait de la musique dans des groupes amateurs ou semi pro sans jamais tomber sur le projet qui nous donne suffisamment de motivation pour continuer d’un point de vue professionnel, jusqu’à ce qu’on finisse par se rencontrer. J’ai commencé par croiser Julien. Je jouais à l’époque dans un groupe de reprises à Genève avec qui j’ai tout appris, comment me tenir sur scène, chanter du rock. Ce groupe, pour diverses raisons, ne voulait pas passer à l’étape de la composition, qui, moi, me tentait vraiment. Je voulais trouver un partenaire pour des choses plus rock, sachant que je faisais des choses plus mélancoliques… Je voulais trouver quelqu’un qui m’aide à me pousser dans des retranchements plus rock. Je suis tombé sur… ce mutant qui composait à la chaine des riffs incroyables sur sa guitare high tech improbable. Je connaissais Johann depuis des années et je savais que lui aussi cherchait un groupe dans lequel s’investir. Après, il nous a fallu du temps avant de trouver le bon bassiste – on en a eu trois ou quatre avant que David arrive par le biais classique des annonces. Et c’est vraiment quand il est arrivé qu’on a finalisé ce qu’est l’identité du groupe.

 

Metal-Eyes : Et vous, vous avez commencé dans quoi ?

David : Que de la compo… j’ai commencé avec le punk, guitariste de punk.

 

Metal-Eyes : Punk anglais ou US ?

David : Non, non, punk anglais, d’abord, et US par la suite. Après je suis resté coincé dans le metal sous toutes ses formes, je suis passé par plusieurs instruments avant de finir à la basse. Un choix volontaire de ma part : en étant guitariste, c’était un peu fatiguant de ne croiser que des guitaristes (rire général) … J’aime beaucoup les guitaristes, mais quand tu cherches un groupe ? il y a 40 guitaristes qui se présentent, alors… Je me suis donc mis à la basse et j’y trouve mon compte parce que je fais à la basse ce que je fais à la guitare.

 

Metal-Eyes : Un nouveau Lemmy…

David : Non… Non… D’ailleurs, je n’ai jamais été bercé par Motörhead, ce n’est pas dans ma culture musicale. Je crois que j’ai un style particulier…

Michel : Qui s’intègre à mort dans ce qu’on fait, notamment parce qu’on n’a pas de guitariste rythmique. On est un groupe sans, du coup, il y a une place plus grande pour la basse, en termes rythmiques et mélodiques.

 

Metal-Eyes : Revenons à la guitare : ton parcours, c’est quoi ?

Julien : Alors, moi j’ai commencé par de la guitare classique et du flamenco, donc des guitares percussives, taper dessus, et après, quand j’ai commencé la guitare électrique, j’ai repris du rock français, puis je me suis lancé dans des musiques un peu plus funk, puis du punk… Ce qui m’intéressais, c’était de pouvoir composer, donc j’ai commencé à utiliser les logiciels de l’époque comme guitare pro. C’est comme ça que j’ai rencontré Michel qui voulait lui aussi composer.

 

Metal-Eyes : Donc une éducation assez variée à la guitare, différents styles qui vont s’intégrer à Trank (il confirme). Enfin, à la batterie…

Johann : J’ai commencé à apprendre la batterie il y a une trentaine d’années, avec différentes percussions – xylophone, caisse claire, cymbales… J’ai fait ça pendant une dizaine d’années, avec solfège et tout ça…

Michel : Il a cassé son triangle, ça a été le drame…

Johann : J’étais dégouté, c’était la pièce maitresse de mon jeu et puis… il est plus là…Au fil des années, j’ai joué dans différents groupes aux styles très divers – de la pop au metal progressif style Dream Theater, les groupes qu’on reprend quand on est jeune histoire de dire « ouais, j’ai réussis à reprendre un truc compliqué ! ». Je n’ai pas rejoué en groupe parce que j’ai déménagé, même si je faisais des petits trucs de temps en temps. Et quand Michel m’a proposé ce projet, je me suis dit « pourquoi pas ? ». Et quand on est ensemble, il y a vraiment (en chœur avec Michel) un truc qui se passe… A la fois d’un point de vue musical et personnel. On s’entend bien… enfin, moi, je m’entends bien avec eux ! J’ai joué de tout et j’écoute de tout ce qui fait que chaque chanson est un challenge, je me demande ce qui va le mieux coller à la chanson, et j’aime bien ça…

 

Metal-Eyes : Avant de parler de la musique elle-même, on ne peut pas passer à côté de la signification du nom du groupe (ils explosent de rire). En allemand, ça vient du verbe Trinken, boire, au passé, donc « buvait ». Quelle est votre relation à la bouteille ? Je vois beaucoup d’eau et de café…

Michel : Alors, pour certains d’entre nous, du mal à les ouvrir (clin d’œil à Johann qui oublie d’ouvrir ses bouteilles d’eau avant les concerts…)

Johann : … Alors, c’est le moment embarrassant pour moi. On s’échangeait des message en se demandant ce qu’on pourrait trouver comme nom de groupe, et, à un moment, je leur fais une blague toute pourrie, comme toutes mes blagues, et je leur dis « pourquoi on ne s’appellerait pas Trank ? Ça fait comme un Tank, mais tranquille » … Blague pourrie, donc, mais retour de bâton, ils me disent tous que c’est génial. Moi je me dis « oh, merde… » (rires)

Michel : On voulait un nom simple qui soit prononçable dans toutes les langues. On ne s’est jamais dit que notre musique pouvait marcher dans notre coin, on s’est toujours projetés à l’extérieur, donc on voulait quelque chose qui puisse se prononcer où qu’on se trouve, et quelque chose en une syllabe, ça nous allait bien. Avec Julien, en studio, on se disait qu’on voudrait bien un K dans le nom, une petite rigueur germanique. Il y a une influence un peu industrielle parfois, un son un peu monolithique, parfois… Et ce qui a déclenché le jeu de mot de Johann, c’est qu’on jouait avec des noms comme Krank, le film avec Jason Statham, et avec un mot d’une chanson de Kraftwerk… Il a joué avec les deux et ça a donné Trank. Effectivement, c’est un nom qui vient d’une grosse blague, mais il fait partie de ces noms qui n’ont aucune signification particulière – OK, en allemand, c’est l’imparfait de boire, c’est l’abrégé aussi de « C’est du rock alternatif dans lequel on trouve plein d’influences diverses, qui est parfois assez intenses. Il est parfois sombre, mais toujours accessible et qu’on veut toujours accrocheur. Il y a une forme d’intensité et de noirceur dans la musique du groupe mais on veut que les gens y répondent en se joignant à nous.

 

Metal-Eyes : Je n’ai pas trouvé de noirceur…

Michel : Oh, il y a, on peut dire, quelques touches un peu menaçantes dans certains passages…

 

Metal-Eyes : Il y a de la cold wave, de la new wave, du metal, mais je ne peux pas parler de « noirceur » dans ce que j’ai écouté… On ne peut pas dire que ce soit inquiétant. Il y a de la puissance, de l’entrain et beaucoup d’envie…

Michel : Ça me fait plaisir que tu dises ça parce que, justement, c’est le but. Réconcilier ces influences du prog, de l’alternatif, du metal, de la cold wave dans quelque chose qui soit cohérent, quelque chose qui reflète cette petite part d’ombre mais qui reste accrocheur et qui donne envie venir. Ce n’est pas de la musique extrême qui repousse les gens avec une sorte de barrage sonore – c’est très bien, mais la musique qu’on veut jouer ensemble, elle n’est pas comme ça : elle invite plus qu’elle ne repousse

 

(A ce moment, Julien nous quitte pour aller répondre à une autre interview)

Metal-Eyes : Vous avez enregistrés plusieurs Ep avant de sortir cet album. Michel disait tout à l’heure que vous avez besoin de répéter les choses, mais pourquoi ne pas avoir choisi de sortir un album plus tôt ? Qu’est-ce qui vous a ralentis, freinés ?

Michel et David : Le perfectionnisme…

Michel : Le perfectionnisme d’une part… On a enregistré notre premier Ep en 2016, il y avait 6 titres, on l’a envoyé à droite à gauche. Après, on a composé 2 ou 3 nouvelles chansons qu’on a enregistrées pour pouvoir après aller démarcher et présenter Trank. C’est ce qu’on a fait, et ça a plutôt bien marché parce qu’on a commencé à avoir des propositions de premières parties prestigieuses, et, d’autre part, avec ces premières parties, on s’est rendus compte que ces chansons prenaient vraiment toute leur dimension sur scène, avec ce gros son derrière. Du coup, on s’est dit que si le son qu’on veut c’est ça, il allait falloir enregistrer un peu différemment. Donc, on a repris tout ce qu’on avait arrangé et on s’est demandé ce qui pouvait rentrer dans ce nouveau cadre. Je pense que tu t’en es rendu compte avec le CD, il y a pas mal de styles. Mais on voulait avoir cet élément commun d’une musique épique, voire cinématographique, qu’on puisse imaginer une histoire derrière la musique.

 

Metal-Eyes : Je vais même t’avouer une chose : je l’ai écouté plusieurs fois… Je n’arrive pas à voir comment le chroniquer, je n’arrive pas à vous placer dans une case, même s’il y a des éléments reconnaissables…

David : Super, génial…

 

Metal-Eyes : Je n’ai pas dit que j’aime ou que je n’aime pas…

Michel : C’est un très beau compliment, parce que, ce dont on s’est rendus compte c’est qu’il y a une identité sonore. C’est assez facile au bout d’un moment de savoir ce qu’est une chanson de Trank. C’est du rock alternatif pêchu avec cette petite touche de… de froideur, si tu veux l’appeler comme ça. Il ya une certaine influence metal par moments, dans la guitare, le chant, les attaques basse batterie. Oui, il y a des références à ça, il y a aussi des références à la cold wave, à du rock alternatif – il y a une influence de Muse, une patte dans la façon de jouer de laguitare… mais en même temps, il n’y a pas une étiquette facile à mettre sur le groupe en terme de genre « Rock alternatif » ça nous va très bien, parce que ça veut tout dire et rien dire…

 

Metal-Eyes : Comme « Metal moderne »…

Michel : Ouais, c’est un peu ça ! Exactement…

 

Metal-Eyes : Vous avez retravaillés les morceaux des singles avant de rentrer en studio pour l’album ?

Johann : On les a refaits intégralement, on a retravaillé tout ce qui était arrangements, programmation, etc. parce que, d’une part, il y a toujours la version studio et la version live… On a toujours travaillé les deux versions en parallèle sachant qu’en live, ça joue… live (ndmp : bravo l’évidence…) Sur la version album, si on veut que les instruments marchent ensemble, il ne faut pas que ça se marche dessus. Sinon, il y en a partout et l’auditeur ne comprend plus rien. Donc, on a dû faire pas mal de ménage en cherchant ce qui pouvait compléter le son et ne pas se clasher avec.

Michel : Aussi, comme on les avait déjà joués sur des grandes scènes, on avait une idée d’une musique un peu épique. En plus de pouvoir leur rendre justice en les jouant sur des grandes scènes, ça nous a donné de nouvelles idées… Des morceaux comme Take the money and run, on avait ça en tête depuis très longtemps. La version qu’il y a sur album est radicalement différentes de celle du Ep : la partie basse/batterie n’a rien à voir, la guitare a beaucoup évolué aussi, il n’y avait pas de séquences… Ces dates en premières parties de grands groupes ont été un réservoir d’idées, du coup, ça aurait été dommage d’insérer ces morceaux sur l’album alors qu’on avait les moyens de les faire sonner encore plus gros et plus accrocheurs ! Ce groupe, c’est une histoire d’équilibre. Clair – Obscur. Puissance – Accessible. Il y a un autre équilibre qui est important, c’est au niveau du son : qu’il soit suffisamment riche et fouillé pour qu’on sente qu’il se passe quelque chose. Que le son soit au service de ce qu’on veut véhiculer. On a fait l’enregistrement en mode « très vieille école » avec notre ingé son et producteur, avec des vieilles consoles analogiques, des préamplis à tubes… ce qui nous a donné un matériau très riche harmoniquement. On l’a fait mixer à New York par Bryan Robbins, l’ingénieur du son de Bring Me The Horizon, qui nous a aidés à donner la même puissance, la même trempe, le même tranchant, la même masse que ce qu’on arrive à avoir en live.

 

Metal-Eyes : ça s’entend, il y a un son très massif, gros, ce qui n’est ^pas très habituel pour un groupe hexagonal. Il y a autre chose qui n’est pas habituel : c’est un bon accent anglais dans le chant (Michel rit).

Michel : C’est gentil, merci…

 

Metal-Eyes : Il ne sait plus quoi dire…

Johann : Vas-y, donne tout, t’es bien parti là (rires) !

 

Metal-Eyes : Si vous deviez chacun ne retenir qu’un seul titre de The ropes pour définir ce qu’est Trank aujourd’hui, ce serait lequel ?

Michel : Compliqué, ça… On aurait du mal…

David : Chaque morceau a une histoire différente…

 

Metal-Eyes : Je sais, ça… « C’est un ensemble », « on ne sépare pas une famille », je les ai toutes entendues mille fois !

David : Pose plus la question alors (rires) !

Michel : Vous m’arrêtez si vous n’êtes pas d’accord

Les autres, en choeur : Pas d’accord (rires) !

Michel : Il y a des morceaux prototypes, je crois que le choix se ferait entre la première, The shinning, et la chanson titre. Elles ont toutes les deux ce mélange entre la puissance des guitares metal, la rythmique de l’alternatif et de la cold wave, et ce passage par des moments plus rentre dedans… Toutes ces choses, ce sens de la dynamique qu’on essaie d’avoir, c’est le cœur du territoire sonore qu’on cherche à avoir.

Johann : Il y a quelques semaines, on a fait une interview sur une radio suisse et le journaliste nous disait « j’ai l’impression que c’est comme si vous popisiez le metal ». Il le disait dans le sens le plus positif du terme. Ce qu’on essaie de faire, c’est qu’il y ait une mélodie qui marche, dès le départ. Une mélodie vocale, instrumentale, mais que ça marche. C’est le cœur de la pop, et derrière, il y a cette dimension accrocheuse, punchy, et ce sera toujours une dimension supplémentaire par rapport à une mélodie qui marche.

 

Metal-Eyes : Donc ce serait soit Shining soit The ropes, qui sont tous les deux accrocheurs (ils approuvent). (à part) Il faut que j’arrête de faire des compliments, j’ai pas encore écouté l’album..

(Michel explose de rire)

Johann : Non, mais tu fais super bien le gars qui a écouté !

David :  Carrément ! Nous on était embarqués là…On sent le métier là !

Michel : Ah ouais, trop fort !

 

Metal-Eyes : Quelle pourrait être la devise de Trank en 2020 ?

Michel : On a toujours la même qu’on se dit avant de monter sur scène… Il y a une phrase qu’on se dit toujours avant : « Rien à foutre, déjà morts ». C’est une phrase qui vient de la prière des samouraïs avant la bataille. Si tu choisis d’aller à la bataille, quelque part, tu as déjà renoncé à rester en vie, tu es déjà mort. Et ça reflète un état d’esprit. Quand on monte sur scène, qu’on entre en studio, on est assez combatifs. On se bat contre nos propres limites, on cherche à repousser nos propres limites. C’était un privilège de faire ces premières parties, mais c’est aussi une énorme pression, de même que de jouer devant 5.000 personnes. Tu ne peux pas te cacher derrière des milliards de watts… si quelque chose n’est pas bon, ça va s’entendre ! On investit énormément émotionnellement dans la musique qu’on fait, pour y prendre du plaisir et en donner aux gens qui nous écoutent. Donc c’est une façon de nous dire « on y va comme on va à la bataille, mais on se calme au niveau pression ».

Johann : Et un groupe qui s’éclate sur scène, en général, ça se voit et le public suit. Un groupe qui n’a pas envie d’être là…

Michel : C’est le pire concert…

 

Metal-Eyes : Une dernière chose : comment se fait-il que Ian Gillan, le chanteur de Deep Purple, ne soit pas avec vous sur la photo avec les deux groupes ?

Julien : Parce que Ian… il refusait de faire des photos avec qui que ce soit…Tous les musiciens de Purple étaient adorables, mais pour la petite histoire, à la fin du concert, il y avait un van qui venait se garer directement backstage, dans la salle. Ils ouvrent la porte. Nous on pense que dès la fin du concert, Deep Purple grimpe dans le van et quitte la salle, mais non, il n’y en a qu’un, c’est Gillan. Les autres sont restés, ils sont venus discuter avec nous, boire des bières, ce qui est un énorme privilège, mais faut savoir que ce n’est pas par rapport aux premières parties qu’il part…

Michel : A sa décharge, on voit qu’il a des difficultés, il a du mal à marcher sur scène et je crois qu’il est dans une démarche pour conserver toute son énergie pour le chant. Le fait est qu’il a sa voix ! Le soir où on l’a vu, il était en très grande forme. On a eu la chance de les voir en side stage, et franchement, je croyais que ça allait être mauvais… Le contraste entre sa souffrance physique et les notes qu’il sortait ! La clarté, le niveau de puissance, c’était phénoménal… Et contrairement à d’autres que je ne citerais pas, il n’y avait pas de Pro Tools derrière pour rattraper les notes difficiles. C’est tout en direct…

 

Metal-Eyes : Une dernière chose à ajouter ?

Johann : Comme disait Michel tout à l’heure, on fait avant tout de la musique pour nous amuser. Et, tu le disais, on a du mal à coller une étiquette sur notre style. C’est à la fois un grand compliment et ça rend aussi notre vie, et la tienne, plus difficile (Michel explose de rire). Ce n’est pas un calcul commercial, on a tellement de belles choses à faire, on les fait le mieux possible. On espère que ça va plaire aux gens, des publics variés, d’ailleurs, mais c’est d’abord ce que nous, on, voudrait écouter.

Michel : C’est un groupe qu’on a monté par passion, ça plait, génial !

 

TRANK: The ropes

Rock, France (Autoproduction, 2020) – Sortie le 15 septembre 2020

Oh, cette claque! Une de celles d’autant plus appréciables quand on ne s’y attend pas… Trank, groupe fondé en 2016, a déjà publié 4 singles, tourné en première partie de groupes à l’influence discutable comme Anthrax ou Deep Purple, aux style opposés. C’est déjà dire l’intérêt que différents univers portent à Trank. Et, avec son premier album, The ropes, on se rend vite compte que la musique du quatuor est en effet difficilement étiquetable. Toujours puissant et mélodique, le groupe propose des morceaux puisant autant dans le metal actuel que dans une certaine forme de new wave, dans le punk US festif ou dans le rock au sens le plus large du terme. Parfois rentre dedans, à d’autres moments quelque peu mélancolique (Forever and a day), aucun des 12 morceaux ne se répète ou ne laisse indifférent. Les guitares sont enjouées, la batterie entraînante et variée, le chant – dans un anglais parfaitement compréhensible – la basse groovy… Comment dire? La musique de Trank est aussi attirante qu’un aimant, aussi goûteuse et alléchante qu’un plat concocté avec amour et passion. Voilà, « passion », c’est le fil conducteur de The ropes, album à découvrir d’urgence. Comment résister à Shining, Undress to kill ou au cinématique et quelque peu rammsteinien In troubled times ou Again ? Il y a de la rigueur et de l’envie, même dans le plus calme et aérien The road. Et lorsque les concerts reprendront… Pour l’heure, The ropes entre vite fait dans le cercle de mes grosses découvertes de l’année. A suivre, à soutenir. Nous avons sans doute avec Trank l’avenir du rock français, un rock d’envergure internationale!