Interview HEADCHARGER : entretien avec Romain Neveu (basse) le 8 mai 2025

Juste avant qu’on ne parle de votre actualité, je voudrais que l’on revienne quelques années en arrière. Comme tout le monde, vous avez subi la crise sanitaire, Hexagram était sorti en 2017 et, en 2021, est arrivé Rise from the ashes. Avez-vous utilisé la période de crise sanitaire, d’enfermement et de restrictions pour peaufiner cet avant dernier album.
C’est exactement l’idée… De plus, juste avant la crise sanitaire, notre batteur a préféré arrêter, et notre guitariste aussi. Ce n’est pas évident de gérer la vie de musicien et la vie de famille… Sont ensuite arrivés Antoine (Cadot) à la batterie et David (Vallée) à la guitare – un autre David, c’est le prénom de nos deux guitaristes…
C’est un critère aujourd’hui ?
(Rires) De s’appeler David ? C’est très important, oui, il faut s’appeler David à la guitare ! On avait commencé à bosser et là, pouf, le couperet tombe. On sait que ça va être difficile de bosser sur les concerts, etc, mais finalement, on l’a plutôt pas mal vécu parce que, malgré ce petit mois où on a tous été bloqués, on a eu des dérogations grâce à notre tourneur pour pouvoir répéter. Finalement, pendant ce mois et demi, on s’est envoyés beaucoup de fichiers, ce que la technologie permet aujourd’hui, et Rise from the ashes est né comme ça. On a beaucoup bossé les morceaux en amont, on avait le temps. La seule chose qui est dommage, même si on avait des dérogations pour pouvoir répéter, c’est que c’est un album qui a plutôt été fait sur internet et assez peu en live. Ce qui fait qu’on n’a pas pu vraiment bien se connaitre musicalement, même si on se connait depuis très longtemps, jouer ensemble c’est autre chose : il fallait trouver les bons réflexes et des trucs comme ça.
C’est aussi une autre façon d’aborder votre travail…
Oui, c’est sûr. Après on travaille beaucoup dans l’optique du live, on se retrouve dans notre petit local de 15m² et on joue beaucoup là-dessus pour se préparer. Là, on n’a pas eu le choix, mais ça a bien marché, c’est un album dont on est super contents même si on n’a pas pu le défendre sur scène. La reprise a été longue, mais à côté de ça, la période a été super productive. On était chez nous, qu’est-ce qu’on avait à faire ? Nous occuper de nos enfants, de nos familles, mais on avait du temps pour la musique. L’interaction du live nous a manqué mais globalement, ça n’a pas été une mauvaise période.
Le titre de l’album était pensé avant ? Rise from the ashes fait évidemment penser au phénix qui renait de ses cendres…
Exactement, c’était ça l’idée. Globalement, on a composé les morceaux et avant la sortie on s’est demandé comment l’appeler, cet album. Il y avait un morceau, Rise from the ashes, qui a la base ne s’appelait pas du tout comme ça mais dont les paroles coïncidaient avec ces choses – tomber très bas puis remonter. C’est David, « Babou », le guitariste d’origine du groupe qui l’a suggéré, et, en fait, ça tombe bien. L’idée collait vraiment avec la période, et les paroles sont liées au fait que Sébastien, notre chanteur, avait eu pas mal de soucis dans sa vie personnelle et c’était une manière de remonter. Ce n’était pas qu’un clin d’œil.
Un an après, je vous ai vus au Hellfest sur la Mainstage 1, en plein jour. Quels souvenirs gardes-tu de ce concert ?
C’était complètement incroyable… On l’avait déjà fait en 2011… Le seul truc c’est qu’à chaque fois qu’on est invités au Hellfest, c’est en dernière minute, en remplacement de quelqu’un… Mais ça fait super plaisir quand tu reçois un message de Ben Barbaud qui te dis que tel groupe a annulé, « ça vous dit de jouer sur la main à telle heure ? », tu ne dis pas non parce que c’est une telle opportunité. Et c’est un concert de plus… avec un peu plus de monde qu’en temps normal… C’était une expérience de oufs.
Moi, je vous ai trouvés un petit peu perdu sur cette grande scène… Je n’ai pas senti un Headcharger au top de sa forme…
Je te dirai qu’on s’est donné comme on le fait à chaque concert, mais c’est vrai que la scène est gigantesque, que le snakepit n’était pas très fun… Là où d’habitude tu as 3 ou 4 mètres qui te séparent du public, avec les crash, là on est beaucoup plus loin. Mais on l’a vécu comme une belle date. Evidemment, devant 30.000 personnes, ça change la donne, sur une scène de plus de 20 mètres… C’est aussi pour ça qu’on a joué serrés, comme dans une sorte de club.
Mais ce n’est ni un club ni tout à fait le Hellfest de 2011…
Non, mais on aime jouer. Tout le stress était la journée d’avant. Quand on est arrivés sur scène pour les balances, on a fait ce qu’on sait faire : du rock. On a joué comme on le fait toujours, que ce soit devant 50 personnes, 300 ou 6000.
Après, ce sont aussi des impressions différentes liées au point de vue : vous êtes sur scène, je suis devant, vous jouez, je fais des photos…
Evidemment. Là, on avait fait venir toute l’équipe technique qui nous suit depuis toujours, notre éclairagiste, notre sondier de face, celui des retours… En plein jour, c’est pas évident, on a quelques lumières qui scintillent, ça fait un peu plat… On aurait joué en pleine nuit, le ressenti aurait été différent, mais c’était un moment plaisant, vraiment !
Parlons maintenant de votre actualité : Sway, votre dernier album, est sorti en septembre 2024. Quels sont les retours que vous en avez eus ?
Ecoute, on a eu plein de bons retours ! Et même nous, on a eu le temps de se redécouvrir en tant que groupe pendant cette période, et ça, c’est hyper cool parce qu’on a beaucoup plus répété ensemble, on a pu travailler les arrangements. En répète, il se passe des choses, quand tu es devant un ordi, c’est différent…
Déjà, il y a l’interaction humaine.
Absolument, après, c’est bien, aussi, d’avoir déjà une base de morceaux que tu as travaillés pour la jouer en live. Si tu n’as rien, tu as un peu « ah, tiens… on compose aujourd’hui ? Euh… comment on fait ? », alors que là, on a déjà quelque chose. Ce qui a été vachement bien perçu, c’est qu’on a pu en quelques sortes synthétiser nos 20 ans de vie du groupe, depuis les prémices en 2005 (avec Doggystyle) qui étaient très hardcore à aujourd’hui, plus rock. Petite info, le prochain album… On commence à en parler et il y aura du hardcore, du scream, aussi, le côté un peu rock, on va encore essayer de faire cette petite sauce. Mais du coup, Sway a été bien reçu, là où on a peut-être pu dérouter certaines personnes avec Rise from the ashes sur lequel on est sans doute un peu trop allés dans le rock. Le stoner a toujours été plus ou moins là, et là, on a réussi à remixer le tout…
Il y a autre chose, une grande différence que les amateurs ont pu noter : dans le chant de Sébastien, il y avait du scream, de la rage, qui a disparu sur Hexagram…
… Sur Hexagram, il y avait zéro scream, et quasiment pas sur Black diamond snake.
Et là, ça revient. Qu’est-ce qui vous donné envie de revenir à ce côté plus hardcore ?
En fait, c’est marrant : c’est les deux nouveaux, Antoine et Dav’. Ceux qui écoute du hardcore, c’est beaucoup moi, je suis même plutôt le seul, mais david aussi, post hardcore… Mais Antoine, lui, écoute peu de metal, il est plutôt dans des styles « classic rock » et des choses complètement différentes. Mais les deux nous ont dit que Headcharger, c’est aussi ça, ce rouleau compresseur enragé. Ils ont été les premiers à inciter Seb à regueuler, parce que c’est aussi ça, l’essence du groupe. Pour ceux qui nous connaissent depuis avant Hexagram, ils le savent que c’est nous…
On sentait déjà le changement venir avec Slow motion disease…
Ouais, Slow motion avait effectivement pas mal entamé ça. Je ne vais pas te dire qu’on s’est perdus, mais ce coté chanté et screamé, ce côté lourd avec de gros riffs, ce côté planant, c’est l’esprit de Headcharger. Donc pour le prochain, on s’est dit qu’il nous fallait quelque chose de bien burné mais pas que. Si c’est trop burné tout le temps, ça te lasse. Il faut varier les plaisirs, tu le verras ce soir, il y a des moments speeds, d’autres lourds, plus calmes. C’est ce qu’on aime.
Comment analyses-tu l’évolutions de Headcharger entre Rise from the ashes et Sway ? Il y a déjà deux choses dont tu as parlé, le fait que vous avez pu travailler ensemble et mieux vous connaitre humainement…
Oui, en tant que musiciens…
Et le côté qu’on vient d’aborder sur le retour des parties plus gueulées. Mais en dehors de ça, en quoi Headcharger a-t-il évolué ?
Déjà, on a évolué parce qu’on devient de meilleurs musiciens au fil des albums. On sait ce qui va marcher ou pas, et je pense que c’est la base d’un groupe. A la base, on est des copains, et on a grandi ensemble, du coup, on découvre ensemble quelles sont les limites, comment on peut aller plus loin. Entre ces deux albums, on a deux personnes qui « sont encore fraiches », qu’on connait depuis toujours et il y a de l’émulation, on a envie de faire de nouveaux trucs. Tu parlais de Slow motion disease, si on avait eu un peu plus de temps pour le faire, on aurait pu pousser certaines choses. Black diamoind snake a été un poil trop vite fait, aussi. Il le fallait, il y avait des demandes du label à l’époque. Mais ce qu’on apprécie toujours, c’est qu’on avance toujours. On ne se pose pas de limites : le fait d’avoir deux nouvelles personnes apporte de nouvelles idées, d’autres influences, de la fraicheur… et c’est comme ça qu’on a évolué. Il ya quelque chose de plus naturel sur Sway et Rise from the ashes, on a trouvé une autre manière de fonctionner. Et notre autre « routine » – qui n’en est pas une – c’est qu’on expérimente d’autres choses. On sait qu’il y a une sorte de cahier des charges Headcharger, mais on expérimente. Sur Sway, le morceau le plus calme, Against the storm fait très années 90 – le côté grunge, c’est ce qui nous lie – et ce morceau monte en puissance. Le dernier morceau, Obsessed, commence comme une comptine. On voulait quelque chose qui commence gentiment. A la base, quand je l’ai composé, il été vénère du début à la fin, mais on a rajouté cette guitare acoustique, un peu de chant enfantin et à la fin, c’est une grosse dévastation sonore ! Souvent quand on compose, on se laisse porter : j’ai une idée, les gars en ont d’autres et on voit ce que ça donne. On a toujours fonctionné comme ça.
Et on arrive au consensus…
C’est ça, et chez nous, la notion de consensus est hyper importante. On dépend les uns des autres…
Justement, un album c’est un travail d’équipe où chacun apporte sa personnalité. Qu’y a-t-il de toi dans Sway ?
Ce qu’il y a de moi dans Sway ? Eh ben… beaucoup de chose, parce qu’il n’y a pas que la musique, il y a aussi l’investissement, pour que le groupe continue à vivre. Mais si on parle de musique… C’est tout, on s’investit tous et chacun a un domaine où il excelle… Je ne suis pas le plus aguerri des musiciens, les plus aguerris…
Je parle de toi, pas des autres !
Moi, ce que j’y ai mis, c’est des compos. Comme je viens du hardcore, je fais des trucs assez basiques, après, c’est avec Babou qu’on rebosse, il remanie tout avec une oreille de guitariste. Je ramène une partie des morceaux, de la passion, je suis peut-être le mec le plus positif de la planète ! Globalement, j’ai tendance à … J’ai commencé à 14 ans avec Seb, après j’ai fait du booking et d’autres choses, mais j’ai envie que le projet continue parce qu’il y a toujours des trucs cools. Mais on l’amène tous cette passion, sinon on aurait arrêté depuis longtemps…
Headcharger aujourd’hui, ne vit pas de sa musique. Quelles sont vos activités annexes ?
On ne vit pas de notre musique mais on vit de la musique. Il faut que les gens comprennent que tu as beau faire 40 dates par an, ce qui n’est pas énorme, ça ne suffit pas pour faire une intermittence. On est tous intermittents du spectacle, les autres ne font que de la musique, ils ont d’autres projets musicaux qui leur permettent de tourner l’été. Les « anciens », on est aussi techniciens à côté, on bosse en théâtre, en festoches, dans des Zénith, on est techniciens plateau, backliner…
Vous travaillez tous autour du spectacle donc.
Oui, on ne pourrait pas faire tout ça autrement. On a fait le choix de l’intermittence, et, il faut le souligner : en France, on a la chance d’avoir ça – pourvu que ça dure ! On est peut-être encore plus dans la technique que dans la musique, mais on arrive maintenant à avoir des cachets à chaque concert qu’on fait. On n’est pas milliardaires, je le précise…
Il y a aussi une différence entre milliardaire et millionnaire…
Oui, c’est ça (rires). On n’est pas « dix millaires », si je peu dire ça. On arrive à s’en sortir, on a cette chance. On arrive quand même à faire pas mal de dates et bosser comme il faut.
Si tu devais ne retenir qu’un titre de Sway pour expliquer au public ce qu’est l’esprit de Headcharger aujourd’hui, ce serait lequel ?
Sur Sway… Je dirais peut-être Against the storm. Il a beau être le morceau le plus calme, il démarre calmement et il monte en puissance. Headcharger, c’est ça, on aime bien jouer sur les nuances, envoyer le boulet tout d’un coup, mais on aime aussi quand ça retombe. Against the storm, c’est un peu cet esprit, c’est un morceau assez typique de Headcharger. Un concert de Headcharger, c’est ça : des morceaux qui t’en mettent plein la gueule, et après, on te réécrase avec un morceau plus lourd, plus posé.
Si aujourd’hui tu devais – « devais », pas « pouvais » – réenregistrer un album de Headcharger avec le line-up actuel, ce serait quel album ?
Certainement Black diamond snake, qui était une sorte de transition un peu rock un peu stoner, et qui avait encore une base de Headcharger. Mais il manque des choses. Je pense que ce serait celui-là, oui.
Quelle pourrait être la devise de Headcharger aujourd’hui ?
Se faire plaisir ! S’il n’y a pas de plaisir, on n’est plus là… La musique c’est ça : continuer à faire de la musique et se faire plaisir. Être connu ? On s’en bat la rate, ça fait 20 ans qu’on fait ça, et on va continuer. Si les gens sont là, tant mieux, sinon, tant pis, nous on continuera de se faire plaisir !
As-tu quelque chose à rajouter ? On se retrouve de toutes façons pour le concert tout à l’heure…
Simplement merci à toi, merci de nous suivre depuis toutes ces années, merci aux gens qui nous suivent et nous soutiennent. On est un groupe qui aime bien remercier (rires). C’est une belle histoire de vie !